Etat et entreprises publiques
La place et le rôle de l’Etat sont devenus un thème récurrent de discussion voire un enjeu électoral entre ceux qui prônent moins d’Etat et ceux qui, bien au contraire, estiment que, la crise aidant, il faille renforcer le rôle de l’Etat, notamment dans ses fonctions sociales et redistributives. Ce thème central a déjà fait l’objet d’un Forum de l’Economiste Maghrébin sous le titre bien évocateur : « Plus d’Etat, mieux d’Etat ». En revanche, peu de discussion sur l’Etat actionnaire et son rôle dans les entreprises publiques sinon des positions peu nuancées voire tranchées des partisans de l’une ou de l’autre position.
Qu’est-ce qu’une entreprise publique ?
Au sens de l’Article 8 (nouveau) de la Loi 96-74 du 29 juillet 1996 sont considérées comme entreprises publiques :
- les établissements publics à caractère non administratif et dont la liste est fixée par décret ;
- les sociétés dont le capital est entièrement détenu par l’Etat ;
- les sociétés dont le capital est détenu par l’Etat, les collectivités locales, les établissements publics et les sociétés dont le capital est détenu entièrement par l’Etat à plus de 50 % chacun individuellement ou conjointement.
Au sens plus large sont comme considérées participations publiques, les participations de l’Etat, des collectivités locales, des établissements publics et des sociétés dont le capital est entièrement détenu par l’Etat.
En matière de gouvernance, ces entreprises sont depuis la promulgation du décret gouvernemental n° 2018-618 du 26 juillet 2018, sous le contrôle d’une unité de gestion par objectifs à la Présidence du gouvernement pour l’exécution de la stratégie de réforme et de gouvernance des entreprises et établissements publics agissant sous l’autorité directe du Chef du gouvernement.
Les objectifs assignés à cette unité sont la concrétisation des orientations nationales visant la bonne gouvernance des entreprises et établissements publics et la consolidation de leur rôle dans le développement économique et social.
Les entreprises publiques, ainsi définies, tous secteurs confondus, sont au nombre de 104 et se répartissent ainsi :
Situation largement détériorée
Un manque flagrant de données actualisées. Même les sociétés cotées ne se conforment pas à la réglementation en vigueur (i.e. Tunisair qui n’a pas publié ses résultats depuis 2016). L’analyste est obligé de se contenter de données qui remontent à 2016 et de procéder à des recoupements.
L’Etat est tout à fait légitime pour intervenir fortement dans la restructuration d’un secteur stratégique afin de lui conférer l’efficience indispensable et c’est le cas actuellement pour des pans entiers de notre économie. Cependant, ce rôle doit être redéfini par l’amélioration de la gouvernance en termes d’indépendance, de concours de personnalités et de compétences, de définition de missions et d’objectifs.
Tous secteurs confondus, des fonds propres négatifs qui s’élèvent à plus de 3 milliards de dinars, des résultats reportés négatifs de 6,5 milliards de dinars, une masse salariale qui dépasse 4 milliards de dinars.
D’autres, qui sont stratégiques dans le domaine du transport, sont quasiment à la limite du dépôt de bilan et pour lesquelles des mesures d’urgence s’imposent. Outre le cas de Tunisair qui affiche des résultats inquiétants : Fonds propres négatifs -94 MDT, résultat déficitaire (-165 MDT) pour 2016, nombre d’agents qui s’élève à 3765 et pour tout le groupe à 7572, une flotte de 28 avions seulement contre 35 en 2010. A titre de comparaison, la RAM qui dispose de 55 avions n’a que 3 220 agents (contre 5.605 en 2011).
Les entreprises de transport terrestre ne sont pas mieux loties
La SNCFT qui a subi de plein fouet la perte du marché de transport de phosphates désormais assuré par des camions privés, les sit-in réguliers qui empêchent la circulation, la vétusté du matériel et une politique tarifaire obsolète avec des tarifs qui n’ont pas été révisés depuis 2003 sauf une augmentation de 5% en 2010.
La situation de la Transtu n’est pas meilleure :
Un autre cas nécessite également une prise en charge rapide au vu de sa situation, c’est la Sonede qui a vu ses fondamentaux se dégrader, trésorerie négative de 195 MDT, résultat déficitaire, déficit cumulé alarmant, risque opérationnel grave, plus de 300 000 compteurs en panne (10%) :
Cette situation et les réelles menaces qui pèsent sur la pérennité de ces entreprises interpellent sur la responsabilité de l’Etat et sur l’impérieuse nécessité de trouver des solutions rapides. Le secteur public souffre non seulement du manque de vision mais aussi et surtout d’inaction des décideurs plus prompts à privilégier les solutions court-termistes ou autres « stratégie de rustine » qui loin de solutionner les problèmes constituent les problèmes de demain.
L’Etat actionnaire : à redéfinir et à cibler
L’Etat actionnaire est légitime et peut être efficace dans un contexte bien défini. Cependant, ses interventions doivent privilégier le pilotage par la régulation, la fiscalité, la commande publique, l’incitation, etc.
Il n’y a bien entendu aucune loi économique qui définisse le bon niveau du poids de l’Etat ou de l’intervention publique. Il en est de même, sur le plan théorique, de la définition d’un endettement optimal de l’Etat. Et c’est souvent, sinon toujours, l’interférence du politique qui privilégie le court terme qui limite la portée de solutions durables conçues sur le temps long.
A titre d’exemple, et malgré sa présence massive dans le capital des banques, une quinzaine sur vingt-quatre, l’Etat est souvent un actionnaire inefficace. Il est incapable, malgré son statut d’actionnaire de référence dans beaucoup d’entreprises, de leur fixer un cap, une feuille de route claire et des lettres de mission spécifiques.
Le phénomène est amplifié dans un contexte de transition et d’instabilité décisionnelle où des entreprises sont menacées de péricliter à cause de l’absence de décision de l’Etat (i.e. entreprises confisquées) ou carrément de stratégies sectorielles et de vision s’agissant des entreprises dans les secteurs concurrentiels.
Même dans les économies les plus libérales, l’intervention stratégique de l’Etat est parfois indispensable pour sauver un secteur, à l’exemple des Etats-Unis en 2009 en faveur de General Motors ou de la France pour Peugeot Citroën récemment ou pour empêcher la dilution d’entreprises stratégiques dont la défaillance conduirait à un risque systémique.
Il n’est pas illicite que l’Etat intervienne pour sauver un secteur En 2008, dans le cadre de sa réponse à la crise des Subprimes, le gouvernement américain a mis en place un plan de sauvetage de 700 milliards US destinés au secteur financier appelé Troubled Assets Relief Program (TARP). Le programme TARP a accordé au Secrétaire du Trésor américain l’autorité et les moyens nécessaires pour contribuer à la restauration des liquidités et de la stabilité du système financier américain. C’est dans le cadre de ce programme que le gouvernement américain a apporté un soutien financier aux banques de crédit hypothécaire Freddie Mac et Fannie Mae, au groupe d’assurance AIG , ainsi qu’à Citigroup, Bank of America, JP Morgan Chase et plusieurs autres grandes banques et institutions financières non bancaires qui risquaient la faillite.
Récemment en France, l’Etat a décidé de prendre le contrôle des chantiers navals de Saint-Nazaire pourtant convoité par l’italien Fincantieri, numéro un de la construction navale en Europe. L’Etat, actionnaire à 33% de l’entreprise, a exercé son droit de préemption sur le reste du capital, ce qui équivaut quasiment à une nationalisation, même si les négociations seront maintenues avec Ficantieri pour trouver une issue honorable.
Par conséquent, l’Etat est tout à fait légitime pour intervenir fortement dans la restructuration d’un secteur stratégique afin de lui conférer l’efficience indispensable et c’est le cas actuellement pour des pans entiers de notre économie.
Cependant, ce rôle doit être redéfini par l’amélioration de la gouvernance en termes d’indépendance, de concours de personnalités et de compétences, de définition de missions et d’objectifs.
De manière plus générale et au-delà de la restructuration des participations publiques dans les banques, il y a lieu de décider rapidement la création d’une agence indépendante, non régie par les dispositions de la loi 89-9, condition sine qua non de réussite, de gestion des participations de l’Etat à l’abri des ingérences politiques, nourrie de compétences privées et outillée pour assurer une gestion dynamique et agile du portefeuille de l’Etat