A la veille d’un grand changement
Dans la culture du Tunisien, le terme « banque » signifie un puits sans fond d’argent. Et les bénéfices que les banques ont enregistrés durant les dernières années n’ont fait que consolider cette idée. Mais le secteur n’est pas seulement un moteur générateur de bénéfices, mais de défis majeurs. Il fait aujourd’hui face à un énorme chantier réglementaire qui l’attend dans les prochaines années, avec l’arrivée des IFRS.
Encore plus de produits nets en 2019
Au terme du premier semestre 2019 (S1 19), le Produit Net Bancaire (PNB) total des banques cotées s’est établi à 2,347 MdsTND, une hausse de 14,5% en rythme annuel. La marge d’intérêt s’est établie à 1,237 MdTND, dépassant le seuil du 1 MdTND sur un premier semestre pour la première fois dans l’histoire du secteur. Les banques continuent alors à pouvoir dégager de la marge sur l’argent qu’elles prêtent en dépit de la hausse des coûts de ressources. Le tableau des taux effectifs moyens montre que la tendance des crédits des banques devrait continuer à être haussière pour encore quelques trimestres. (Voir Tableau 1 ).
En partie, cette marge d’intérêt grandissante est justifiée par une structure de ressources de plus en plus dominée par les dépôts à vue, qui constituent une source de financement gratuite pour les établissements de crédit. Durant le S1 19, les dépôts à vue nets collectés se montent à 869,320 MTND contre 247,462 MTND de dépôts d’épargne. Cela permet aux banques de maîtriser leurs coûts de ressources et garder une marge respectable. (Voir Tableau 2 ).
Mais les conséquences de la hausse des taux ne se limitent pas seulement à la marge d’intérêt. Il y a aussi les revenus des portefeuilles (titres commercial et d’investissement) qui ont progressé à 611,685 MTND. Les produits de Fixed
Income et les opérations de change ont rapporté gros aux banques sur la période 2015-18. En 2019, le rythme de croissance de ces revenus est le plus faible sur les cinq dernières années, ce qui montre que les plus belles années sont derrière nous.
Quant aux commissions nettes, elles ont également augmenté de 10,1% à 498,060 MTND. C’est l’une des sources préférées de revenues pour les banques qui tentent de répercuter toute hausse de charges opératoires sur leurs tarifs. Néanmoins, les chances de croissance future de ces commissions à ce rythme sont minimes car les clients sont de plus en plus sensibles aux coûts des services d’intermédiation financière.
Pressions en vue
La structure du PNB des banques a connu plusieurs changements durant les dernières années. Sur la période 2013-18, la part de la marge d’intérêt est passée de 59,1% à 50,9%. Cette baisse a profité aux revenus des portefeuilles dont la contribution est passée de 15,5% en 2013 à 27,1% en 2018. La part des commissions est restée quasiment stable à 21,9%. Mais puisque la capacité des banques à faire évoluer leurs commissions est de plus en plus réduite, nous avons déjà constaté quelques changements en 2019. Selon les chiffres du premier semestre, la part de la marge d’intérêt est de 52,8%, contre 26% pour les revenus de portefeuille et 21,2% pour les commissions nettes. Cette physionomie devrait continuer durant les prochains trimestres.
Le grand challenge reste l’hypothèse de la baisse des taux. Dans ce cas, les banques seront sous une grande pression car la marge d’intérêt et les revenus de portefeuilles devraient diminuer, avec une croissance toujours limitée des commissions. Il ne faut pas oublier qu’avec l’application d’un ratio Dépôts/Crédits de 120%, la BCT a freiné la croissance de l’octroi de prêts. Par rapport à la fin de l’année 2018, l’encours de crédits a progressé de 1,731 Md TND contre 2,233 Mds TND de dépôts supplémentaires. Le PNB du secteur devrait alors croître à une plus faible cadence durant les prochaines années.
Les charges risquent d’augmenter
En même temps, les banques ont des défis réglementaires. D’une part, la BCT est en train d’imposer des règles prudentielles de plus en plus strictes et tente de se rapprocher progressivement de Bâle III. Les banques sont obligées de constituer davantage de provisions. Le rythme observé au S1 19 l’atteste. Le coût du risque a atteint 420,242 MTND contre seulement
300,507 MTND au S1 18. Une hausse aussi significative montre que la qualité d’actifs du secteur commence à se dégrader, ce qui est naturel dans un contexte économique comme le nôtre.
L’autre point important est le rythme de hausse des charges opératoires. Ces dernières ont progressé de 9,9% à 1,059 Md TND sur le S1 19. Les revenus des portefeuilles et les commissions nettes ont été quasiment balayés par ces charges ! Une grande partie de ces dernières est absorbée par les charges de personnel (66,5%), difficilement contrôlables car elles dépendent de conventions collectives très généreuses. Les quelques banques qui ont réussi à maîtriser les coûts d’exploitation sont parvenues à le faire via des recrutements hors ces conventions, à travers les cabinets spécialisés.
Et ces pressions se sont déjà manifestées lors du S1 19. Le résultat net global des banques cotées est de 601,462 MTND contre 598,397 MTND au S1 18. Ainsi, de la hausse de 297,656 MTND du PNB, seuls 3,065 MTND sont retrouvés dans le bottom line.
Le chantier des IFRS
L’application attendue de l’IFRS sera un passage déterminant pour les banques. Nous allons avoir des bilans plus importants vu l’application du principe de la juste valeur à des actifs précédemment enregistrés au coût historique. Au niveau des fonds propres, l’introduction des IFRS se traduira par une plus grande volatilité pusiqu’ils seront affectés par les plus ou moins-values latentes sur les instruments financiers disponibles à la vente et le reclassement de certains instruments en dettes ou en capitaux propres. Au niveau de l’état de résultat, les changements seront plus importants, avec les variations de juste valeur des portefeuilles d’instruments financiers, la disparition de l’amortissement annuel du goodwill, l’actualisation des créances dépréciées et la comptabilisation des avantages au personnel.
Tous ces éléments vont lourdement impacter l’équilibre des banques qui vont devoir s’adapter à ce cadre comptable progressivement à partir de 2021. C’est une étape nécessaire pour moderniser le secteur et construire des établissements en ligne avec les exigences des marchés internationaux. Cette transition sera coûteuse, mais elle pourrait nous ouvrir des opportunités importantes en matière d’IDE, de facilitation de l’accès aux marchés financiers internationaux et de renforcement de la confiance des investisseurs et des bailleurs de fonds. En même temps, il faut penser aux moyens de recapitalisation de nos banques car les tours de table actuels ne mettront pas la main à la poche