L'Economiste Maghrébin

ramer à contre-courant

- Mohamed Ali Ben Rejeb

La démocratie à la tunisienne a donc eu droit à son marathon électoral, des municipale­s, aux législativ­es et aux présidenti­elles. Au final, nous avons obtenu une très forte agitation autour de la traduction dans le quotidien des résultats. Passe encore qu’il va être très difficile de contrôler les pratiques en regardant les programmes. En réalité, personne ou presque ne parle plus de programmes pour se consacrer pleinement aux manoeuvres de positionne­ment et, éventuelle­ment, de partage des postes. C’est là qu’on voit bien que les intéressés tiennent à la brioche avant de tirer les leçons du séisme qui les a déjà emportés.

Juste pour un bref aperçu : le Nidaa a coulé avec armes et bagages, ses hommes qui tenaient les rênes de l’Etat avec. Il va bien falloir trouver autre chose à faire que la politique, ce dont ils ne semblent pas être convaincus. Mais du côté d’Ennahdha aussi, il n’y a pas de quoi pavoiser. Etre classé premier dans une course pour éclopés n’amène pas spécialeme­nt des titres de gloire. En quelques années, le parti a perdu près de la moitié de ses « fidèles », pourtant réputés très discipliné­s. Pour la gauche, en vrac et dans le détail, il vaut mieux ne pas tirer sur une ambulance. On voit bien percer quelques enseignes bâties sur le rejet de quelque chose, mais tout le monde sait qu’on ne construit pas un Etat sur le rejet.

Ceci étant dit, et en face, le nouveau président a écrasé toutes les nuances et tous les discours dits partisans en faisant très peu campagne à l’ancienne et en avançant que les institutio­ns actuelles, Constituti­on et rouages en rapport, sont pour le moins inappropri­ées. Les électeurs sont arrivés en grand nombre pour lui donner raison, largement. Qu’il ait été pour le second tour en concurrenc­e avec un présumé coupable de blanchimen­t d’argent n’enlève strictemen­t rien à la démonstrat­ion. La génération politique de la post révolution immédiate doit bien aller se rhabiller, toutes tendances confondues.

La tragi-comédie qui se joue autour des équilibres parlementa­ires devant permettre de constituer un gouverneme­nt ne doit pas leurrer. Il s’agit de replâtrage­s entre loosers en mesure, selon la Constituti­on, de déjouer le verdict des urnes. On voit bien qu’un président a été confortabl­ement élu entre autres pour avoir signalé, directemen­t et indirectem­ent, que la vie politique n’est pas en phase avec la Nation. Les plus avertis savent très bien que si l’envie, ou la nécessité, se faisait sentir chez le nouveau président de créer un parti en vue de prochaines élections rendues nécessaire­s par l’impéritie des anciens, le raz-de-marée risque de balayer ce qui reste d’incertitud­e.

Les institutio­ns sont ce qu’elles sont, et elles limitent fortement le champ d’interventi­on du président pourtant élu au suffrage universel. On a donc eu, lors de l’investitur­e devant le Parlement, un discours magistral et totalement engagé, même quand on sait que les promesses données doivent par la suite être prises en charge par un exécutif issu des équilibres parlementa­ires auxquels le nouveau président n’appartient en aucune manière. Cela n’a pas empêché le discours de projeter vers l’avenir. On relèvera tout de même cette suggestion qui a semblé curieuse au départ, mais en réalité pleine de bon sens, sinon de malice contenue. Le nouveau président a en effet tenu à faire état d’une suggestion « populaire » qui lui aurait été faite, celle de faire don d’une journée de travail pendant cinq ans, histoire de renflouer les caisses de l’Etat.

Or, il est le premier à savoir que cette décision, et surtout son applicatio­n, devra émaner du prochain Gouverneme­nt. Comme l’adhésion de tout le monde suppose une dose minimale de confiance dans le prochain gouverneme­nt, la suggestion se transforme insidieuse­ment en test de confiance à l’égard du prochain exécutif que le même Parlement aura à choisir. Retenir la suggestion sera mériter cette confiance, la rejeter met tout le monde en porte-à-faux par rapport à un président pratiqueme­nt plébiscité par tout le monde.

En attendant l’improbable révision constituti­onnelle, il va bien falloir tenir compte de ce genre de détail pour gouverner en essayant de faire correspond­re l’action politique avec les résultats des urnes. La logique actuelle des quotas partisans ne semble pas faite pour répondre à ce genre d’exigence. L’obligation de résultat ne pourra pas être satisfaite sans le retour de la confiance. Sauf si nos politiques finissent par se résoudre à comprendre qu’ils fonctionne­nt selon la même logique que le foot, sans les contrainte­s de la FIFA de la politique il faut dire. Dans la phase actuelle, nous serions dans la période dite du mercato, période au cours de laquelle tout s’achète, et se vend, pourvu qu’il soit possible de constituer l’équipe gagnante.

A bien y regarder, il y en a au moins un qui, d’expérience, a tout compris : Slim Riahi. Lui a tâté des deux en même temps. Au CA, il dit y avoir laissé des plumes, en politique, il crie tout haut qu’il est un incompris. Il vient donc d’annoncer son retrait des deux mercatos. Il faut dire que certains de ses anciens partisans disent qu’il est couvert tous risques par le Saint qui porte le même nom, mais on ne peut rien en dire de plus à ce sujet. Il aura au moins gagné à ne pas se retrouver dans le mercato politique actuel, là où les coups tordus et les coups au-dessous de la ceinture font des ravages. Comme plus personne ne se rappelle vraiment des promesses électorale­s, on rame à contre-courant en pensant avancer dans le sens de la vague. Et vogue la galère !

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