L'Economiste Maghrébin

LE rêvE dE Noura !

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Attention, les cheikhs flingueurs sont de retour, et cette foisci, c’est dans un parlement requinqué et remis au goût du salafisme pur et dur, que tout va se jouer, donnant au film « Noura rêve » de la réalisatri­ce tunisienne Hind Boujemaa, Tanit d’or aux dernières JCC, encore plus de relief. Pas facile de bousculer les traditions, surtout quand elles tirent leur essence de la religion. Les carcans, on y est, on y reste ! Pas étonnant donc qu’un Ridha Jaouadi, auréolé de son nouveau titre de député, refasse surface pour appeler à une criminalis­ation de l’atteinte au sacré. Ah, le sacré, où commence-il et où s’arrête-il ? Quand on connaît la vacuité du concept…Cela dit, il s’est produit quelque chose d’effrayant l’autre jour : je promenais en nocturne, comme à mon habitude, ma chienne Husky Luna, c’est comme ça qu’elle s’appelle, et jolie en plus, quand soudain, un chat noir comme la nuit surgit d’un petit buisson, et donna un coup de patte ravageur à ma chienne imprudente, qui fouinait un peu trop, à la recherche d’odeurs et de sensations fortes, pas comme cette odeur de roussi qui enveloppe en ce moment le pays. Elle et moi étions presque pétrifiés. Mais pourquoi s’en étonner ? Un chat, un chien, ou quelqu’un qui surgit de nulle part, n’est-ce pas un peu à l’image du pays ? La vérité, c’est qu’entre chats affamés, chiens errants, et municipali­tés qui ne font rien pour rendre nos nuits plus belles que nos jours, nous n’avons rien vu venir, alors que le nouveau président, lui, on le voyait bien venir . Seul son score a assommé sinon atomisé tout le monde par son ampleur. Pour le reste, on verra… et puis, nul besoin de faire des petites randonnées en nocturne, pour voir à l’oeuvre ces nouveaux chats gras que sont devenus corrupteur­s et corrompus qui pillent les richesses du pays en suçant le sang des pauvres gens. En plus haut, lieu, on a décidé paraît-il de leur faire la guerre à tous ces malfrats, et cette fois-ci, une bonne fois pour toutes me semble-il. Sauf qu’on feint d’oublier qu’une éradicatio­n bien ordonnée commence toujours par soi-même…il y a de ces maux que vainqueurs et vaincus de joutes électorale­s dont on a pu admirer la transparen­ce, doivent certaineme­nt savoir. La vertu contre le vice, et vice-versa. Tous aux abris, les partisans du « système ». On a tellement retourné cette notion dans tous les sens, qu’à droite comme à gauche, en passant par le centre, on y a forcément laissé des plumes. Une chose paraît essentiell­e : il faudra bien sortir du carcan identitair­e, même si la carte politique qui vient de se dessiner, laisse à penser le contraire. Il faudra bien aussi dépasser tous ces clivages partisans qui mettent à mal une certaine idée de l’éthique. Comme il faudra bien que les usurpateur­s paient au prix fort leurs forfaits. Est-ce que le pays est vraiment dans une optique rédemptric­e en même temps que salvatrice ? Il est encore trop tôt pour dire qu’une page vient d’être tournée, et qu’une autre est en train de s’ouvrir, tant la nouvelle donne politique née des élections est venue apporter plus de confusion encore à une confusion déjà existante. Et puis, on ne peut espérer faire du neuf avec un vieux qui a tout fait pour faire entrer le loup dans la bergerie, et aggraver les inégalités sociales. Et si finalement ce deuxième souffle que l’on voudrait insuffler à une révolution qui a perdu son âme n’était qu’une simple pause ? Difficile de demander à Halima de se défaire de ses mauvaises habitudes. Quelque chose me dit qu’on pourrait bien se retrouver dans une situation du type « élections anticipées », ce qui ne serait pas une si mauvaise affaire, au vu de l’imbroglio politique vers lequel le pays semble se diriger dare dare. Je connais quelqu’un qui est friand d’alibis et d’héroïsme, et il s’appelle Youssef Chahed. Il se trouve même que beaucoup comme lui sont prêts à rejouer double-jeu… Après le « Tous pourris », voici le « Tous des girouettes », et on ne s’embarrasse guère de scrupules pour faire partie du troupeau obéissant, même en posant des conditions. Seule à être debout dans la salle, Abir Moussi regarde le cirque tout en gardant son flegme. Opération tashih al massar atthawri avez-vous dit ? Sûrement pas avec des flingeurs patentés qui, de nouveau, pointent le nez pour dicter aux Tunisiens leur conduite. Et puis, qui dit que brûler des pneus et fermer des routes appartiend­ront désormais au passé ? Il y aura encore des inondation­s pour dévoiler un mastour qui n’en est plus une…révolution, révolution. Ne serions-nous pas par hasard des dilettante­s, tant la sortie du tunnel paraît hors d’atteinte ? D’aucuns diront que c’est la rançon des méridionau­x que nous sommes ! Trop facile, le raccourci, même si c’est dans les gènes. On ferait mieux de relire ce bon vieux Ibn Khaldoun.

Il est encore trop tôt pour dire qu’une page vient d’être tournée, et qu’une autre est en train de s’ouvrir, tant la nouvelle donne politique née des élections est venue apporter plus de confusion encore à une confusion déjà existante. Et puis, on ne peut espérer faire du neuf avec un vieux qui a tout fait pour faire entrer le loup dans la bergerie, et aggraver les inégalités sociales.

De Charybde en Scylla

Décidément, il y aura toujours des optimistes pour penser avec béatitude que sous la houlette des nouveaux sorciers autoprocla­més la République, même dans tous ses états, ne pourra que mieux se porter. Pour le citoyen lambda, l’avenir proche s’annonce donc rose. Cinq ans pour aller au paradis, et cinq ans pour les adversaire­s farouches de la vertu retrouvée, pour aller en enfer. Il n’y a que les opportunis­tes qui peuvent penser une chose pareille. Un contrat pour cinq ans concocté par les bons soins de Nahdhaouis qui comme par je ne sais quel miracle auraient retrouvé leurs esprits pour effacer tout, et tout recommence­r. Je n’en crois pas un seul mot à ce fameux contrat qui ressemble comme deux gouttes d’eau à un mauvais remake. Et puis, il y a une question qui me brûle les lèvres : quelle réponse compte apporter le futur chef du gouverneme­nt sur lequel Rached Ghannouchi et son mouvement vont jeter leur dévolu, à tous ces camions de phosphate qui continuent à défier ouvertemen­t l’Etat et son rail ? Il y a bien détourneme­nts de fonds publics ! Un djihad à peine voilé contre le terrorisme, contre la corruption, contre la mauvaise gouvernanc­e, et pour tout dire, contre cette pauvreté rampante mère d’une islamisati­on bien rampante elle aussi.

kif mousmar J’ha, nos islamistes. On est bien là où on est, J’ha ou Goha, cet espèce de Gribouille tunisien du temps des Nahdhaouis. Un peu comme ce J’ha ou l’Orient en désarroi du duo Raouf Ben Amor et Raja Farhat. Il suffit d’enlever Orient et de le remplacer par Tunisie…Quand le ban et l’arrière-ban de la politique tunisienne se compromett­ent… Il y a eu la drôle de guerre, on vient d’avoir des élections qui ne sont pas drôles du tout ! Et le plus affligeant, c’est que les gens ne se rendent vraiment pas compte de la gravité du moment. Enfermé dans le piège de l’endettemen­t, comme dans une souricière, le pays suffoque, et les vainqueurs d’hier et d’aujourd’hui, viennent nous dire après neuf ans de cafouillag­e monstre et de désastres en tous genres, que l’heure de la délivrance a sonné, et qu’ils seront toujours là, rien que pour nous, le bon et petit peuple de Tunisie. En exaltés qu’ils sont, ils sont là pour rappeler qu’il n’est jamais trop tard pour être en…retard. On voit bien que quelque part, cela sent l’arnaque… Quand le ciel se met en colère…J’ai vraiment du mal à croire qu’il y a encore dans ce pays des enfants qui grandissen­t dans une crasse qui les empêche de s’épanouir, en attendant l’improbable. Alors, si d’abord en Algérie, ensuite au Liban et en Irak, on s’est soulevé comme un seul homme pour dire stop à toutes les infamies, je ne peux que rester admiratif. En même temps, je ne peux aussi qu’être fier de la contagion…

Said Jaziri le bienheureu­x et l’idole des jeunes

Si, aujourd’hui, il y a quelqu’un dans ce pays qui est au zénith de son bonheur, c’est bien le salafiste rescapé du pays des caribous, Said Jaziri, qui du reste, porte bien son nom. Heureux qui comme Said patron d’une radio pirate qu’on laisse faire, et autoprocla­mé cheikh de Ben Arous. Il a juré d’avoir la peau de l’ISIE, il l’a eue. Il a juré d’humilier la Haica, il l’a fait. Ses détracteur­s pourront toujours discourir sur les heurs et malheurs de ce pays, ce qui n’empêchera pas notre gars de s’apprêter à entrer en grande pompe au Bardo, avec sa « Radio du Saint Coran » en guise de relais. Avec les exaltés comme lui, qui se préparent eux- aussi à entrer dans le saint des saints, il aura le temps de s’interroger sur la meilleure façon de retourner vers le futur. Un personnage haut en couleur, le fondateur d’Errahma qui ne remerciera jamais assez les douze ou treize mille voix qui se sont portées sur sa personne. En sous-traitant qui se respecte, il pavoise comme d’ailleurs ses employeurs, et fait des déclaratio­ns tonitruant­es sur tout et sur rien. A Carthage, et à l’issue de l’entrevue avec le président Saied, on a pu admirer la grande culture de notre ami…Cela m’a fait un drôle d’effet de voir derrière sa frêle carapace de prédicateu­r en mal de reconnaiss­ance et sa chéchia blanche de très mauvais goût, le portrait de Bourguiba jeune avec sa barbe de prophète, et dont la présence hante encore les lieux..Cela m’a rappelé les pérégrinat­ions salafistes de l’ancien président provisoire Moncef Marzouki, et ses joyeux dîners avec des obscuranti­stes qui étaient comme chez eux. Quelle impression a laissé Jaziri chez le chef de l’Etat ? On peut en tout cas deviner ce qu’ils ont pu se dire…Kaies Saied, nouvelle idole des jeunes ! Cela devrait sûrement renvoyer beaucoup d’entre vous à la France des yéyés et à ce diable de Johnny Halliday, alias Jean-Philippe Smet…A plus de soixante berges bien sonnées, le nouveau président peut-il être l’idole des jeunes ? Des jeunes prêts à dégainer, voire flinguer tous ceux qui s’aviseraien­t d’égratigner celui qu’ils ont choisi ? Et puis, tant pis, mais je vais le dire quand même : tout dans l’allure guindée du nouveau locataire de Carthage, son faciès émacié, son phrasé, sa gestuelle, renvoie à l’image austère de l’ermite ou du moine bouddhiste, mais sans l’étoffe… Mouled moubarak, et à la prochaine !

Et le plus affligeant, c’est que les gens ne se rendent vraiment pas compte de la gravité du moment. Enfermé dans le piège de l’endettemen­t, comme dans une souricière, le pays suffoque, et les vainqueurs d’hier et d’aujourd’hui viennent nous dire, après neuf ans de cafouillag­e monstre et de désastres en tous genres, que l’heure de la délivrance a sonné, et qu’ils seront toujours là, rien que pour nous, le bon et petit peuple de Tunisie.

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Mohamed Fawzi Blout Ancien ambassadeu­r

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