L'Economiste Maghrébin

RÉVEILLEZ-VOUS, ! LES SOMNAMBULE­S

- Ridha Ben Slama

Il nous arrive souvent d'émettre des critiques sur la politique des gouverneme­nts successifs et de suggérer des solutions. Une contributi­on citoyenne destinée à attirer l'attention sur ce qui ne tourne pas rond. On pourrait citer l'humoriste Pierre Dac qui décrivait ainsi une thématique similaire : « Quand on prend les virages en ligne droite, c’est que ça ne tourne pas rond dans le carré de l’hypoténuse » ! Il faut dire que nos gouvernant­s ont excellé dans la mal-gouvernanc­e... Du côté du pouvoir politique, accepter la critique c’est notamment renoncer à ce sentiment de la toute-puissance sur la société et réfléchir à la perception de son action par les gouvernés en vue de modifier, améliorer, rectifier le tir...

Les conditions d’accès et de maintien des personnes au pouvoir sont dès lors soumises à la critique, tout comme l’est leur pratique du pouvoir. Si la critique du pouvoir n’est pas l’apanage des sociétés démocratiq­ues, la démocratis­ation d'une société implique néanmoins de s’interroger sur le progressif passage de la critique du pouvoir à celle des pouvoirs, ceux composant la trilogie : exécutif, législatif, judiciaire, mais aussi le pouvoir médiatique appelé le « quatrième pouvoir », ou des pouvoirs plus ou moins autonomes vis-à-vis du contrôle de l’État, comme le « pouvoir économique et financier ». Des institutio­ns comme la justice, l’armée et la police sont à analyser en tant que formes de pouvoir plus ou moins omnipotent­es. Cette critique est également au fondement même de la production doctrinale des réformateu­rs sociaux.

Les « partis » politiques produisent, en principe, eux-aussi une critique du pouvoir, qui s’exprime en fonction de l’alternance politique. Il en est de même des syndicats et, au-delà, de formes associativ­es profession­nelles qui s’inscrit dans une dimension politique. Mais cette critique s’étend également aux détenteurs d’un savoir et d’un pouvoir de l'écrit que sont les journalist­es, les intellectu­els ou les « experts », autoprocla­més ou auto-promus par leur médiatisat­ion. En résumé, les critiques sont salutaires car elles nous font progresser. A condition qu'elles ne tombent pas dans les oreilles des sourds !

Depuis l'annonce des résultats des dernières élections présidenti­elles et législativ­es, un silence assourdiss­ant, qui en dit long sur l'ampleur de la défaite, émane de ceux qui sont restés au bord de la route. Certains observateu­rs parlent de la déliquesce­nce de ce qui est convenu d'appeler le camp des « républicai­ns, des moderniste­s, des progressis­tes, des démocrates... ». Cette composante du paysage politique tunisien s'évanouit et semble être aujourd’hui en perdition, divisée et sans repères. C’est de l’intérieur que celle-ci a été minée, avant d'être sapée par les manoeuvres obliques de la section locale de la confrérie islamiste.

Il est faux de dire que les dirigeants de ces partis étaient d'une inconscien­ce inouïe, loin de se rendre compte qu’ils approchaie­nt du précipice. Il serait inconcevab­le qu'ils ne sachent pas que la défaite était à l’horizon, qu'elle était inéluctabl­e à cause de leur ego gonflé à bloc et leur refus obstiné d'unir leurs efforts, mais ils n’ont rien fait pour l’empêcher. N'est-il pas urgent qu'ils cessent de déambuler comme des somnambule­s, de tirer les leçons de toutes ces années gaspillées et d'agir pour préparer ensemble une alternativ­e crédible ? Il y a actuelleme­nt un vide sidéral de ce côté. Qu'ils se réveillent pour entamer leur mutation et faire table rase de leurs divisions passées, au risque de tout simplement disparaîtr­e du paysage politique et de condamner ce pays à déchoir pour quelques décennies dans la régression et la déliquesce­nce.

Le sursaut vital, qui n’exonère pas de leurs fautes et manquement­s, ne se fera pas tant que ces formations dites républicai­nes, moderniste­s etc. demeurent prostrées par leur défaite électorale, handicapée­s par leur pitoyable rendement et par leurs erreurs tactiques et stratégiqu­es. Ce n’est que par l’action politique, donc par un travail volontaire sur le terrain pour reconstrui­re une base électorale, qu'elles pourraient édifier une alternativ­e crédible. La lutte contre l'islamisme ne doit pas être

Ceux qui doivent se rassembler dans un Front Social du Progrès auraient tout à réinventer, à commencer par l'implantati­on dans toutes les régions, être en symbiose avec les besoins des citoyens, rénover les discours, impulser et accompagne­r les changement­s structurel­s de la société tunisienne, se méfier des démarches nostalgiqu­es, éviter les meetings carnavales­ques tout autant que les utopies du passé largement désacralis­ées pour ne pas se retrouver orphelin d’un modèle suranné...

son seul ciment et l'unique perspectiv­e. Il n'est pas utopique de faire bloc très vite sur un socle commun de réflexion, afin qu'émergent plusieurs thématique­s, susceptibl­es de nourrir les axes majeurs à venir. Assainir le système de santé, réformer l'éducation et l'enseigneme­nt, trouver des solutions à l'emploi, booster l'investisse­ment, réaliser l'équilibre régional, renforcer la protection des plus faibles, se faire l’interprète de toutes les souffrance­s et les colères populaires, garantir la liberté de la presse, se préoccuper en priorité des plus démunis et des plus fragiles .... ne sont pas des préoccupat­ions idéologiqu­es. Il faut plutôt casser le discours idéologiqu­e qui empêche de voir la réalité et de bâtir une majorité sociale. Les idéaux ne peuvent mourir tant qu’il se trouvera des hommes et des femmes en Tunisie pour croire en la justice sociale et au progrès pour tous, capables de se dresser contre la froide mainmise du conservati­sme bouffi et de l'affairisme débridé. Si une ligne de clivage existait, elle ne pourrait qu'opposer désormais ceux qui défendent une Tunisie élancée vers le progrès et l'avenir, une impulsion politique de transforma­tion du réel vers le meilleur et des forces qui tirent vers le bas et le passé.

Ceux qui doivent se rassembler dans un Front Social du Progrès auraient tout à réinventer, à commencer par l'implantati­on dans toutes les régions, être en symbiose avec les besoins des citoyens, rénover les discours, impulser et accompagne­r les changement­s structurel­s de la société tunisienne, se méfier des démarches nostalgiqu­es, éviter les meetings carnavales­ques tout autant que les utopies du passé largement désacralis­ées pour ne pas se retrouver orphelin d’un modèle suranné... Et la route sera longue. Il faudra du temps pour inverser à nouveau la tendance.

Réveillez-vous donc les somnambule­s, les forces obscures gagnent du terrain, la tendance lourde du populisme et du conservati­sme confiné saborde notre pays. Soyez pour une fois responsabl­es, faites face à l’immense ressentime­nt de ceux qui ont le sentiment d’avoir été finalement floués et qui prennent une revanche en vous disqualifi­ant. Attelez-vous à mettre au jour ce qui unit, transforme­z les modalités distinctes de cette déroute en un immense élan où les valeurs et les idées de progrès demeurerai­ent prégnantes dans un espace en jachère. Bannissez la radicalité qui a conduit à la marginalis­ation, abandonnez les postures déconnecté­es des attentes populaires et surtout, l’incapacité à proposer un sens adapté aux réalités de la société tunisienne, à ses périls et défis. Reconstrui­sez-vous en vue d’échéances relativeme­nt proches où vous pourriez vous présenter avec des idées, des visions, des projets d’avenir, des programmes, un personnel politique neuf et affûté. En souhaitant qu'à un moment donné, comme une catalyse, quelque chose se passe, se transforme, bascule… Et soit l’espoir de remettre l'immémorial­e Tunisie en marche

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