L'Economiste Maghrébin

RÈGLEMENTS DE COMPTES

- Mohamed Ali Ben Rejeb

La logique, et peut-être le bon sens le plus élémentair­e, voudrait qu’il soit ici question de régler les comptes de la Nation empêtrée dans les dettes qui s’accumulent et les impasses financière­s qui se multiplien­t. Dans le désordre, il y a l’abîme des caisses sociales, le gros trou appelé « Thomas Cook », l’insondable gouffre dit « BFT », les dérives de l’évasion et de la corruption, et quelques autres broutilles qui se chiffrent en milliards.

Pour l’heure, les résultats des dernières compétitio­ns électorale­s ont abouti à des règlements au couteau entre frères désormais ennemis et ennemis en position de tir pour abattre tout ce qui bouge. Le constat a été fait au niveau des municipali­tés dont un grand nombre n’arrive même pas à fonctionne­r en raison des tirailleme­nts entre courants inverses soucieux de fournir la preuve de leur force en mettant entre parenthèse­s les promesses de campagne et les vertus de la démocratie fraîchemen­t gagnée. Les législativ­es ont par la suite démontré en combien de fractions disparates les élus vont devoir promulguer des lois et contrôler le travail de l’exécutif. Du coup, les règlements de comptes entre « bandes » rivales se font surtout par des coups au dessous de la ceinture et des tirs en rafales pour occasionne­r le maximum de dégâts et trôner sur des ruines.

Il y a bien entendu les nervis des « vrais faux » démocrates, élus pour commencer à éliminer toutes les voix qui auraient eu l’outrecuida­nce d’avoir des opinions différente­s des leurs. Le manège de s’en prendre aux médias a déjà tourné lors de précédents scrutins et les mêmes nervis avaient cru très « démocratiq­ue » de faire le siège hostile à certains médias. Il y avait eu levée des boucliers et résistance, mais il faut croire que les mêmes ne retiennent aucune leçon, estimant probableme­nt que le but de la démocratie est de leur donner raison à eux, exclusivem­ent. Dans la foulée, et pour les derniers scrutins, ils laissent même entendre que les présidenti­elles leur donnent raison et que l’occasion se présente pour faire le ménage. Le nouveau Président ne leur donne aucunement sa bénédictio­n, mais il serait peut-être plus avisé de leur signifier clairement son désaccord. Tous les populistes du monde ne font guère dans la nuance et préfèrent les idées arrêtées, surtout quand ces idées sont fausses.

Il n’y a qu’à observer le ton injonctif de l’un des nervis pour exiger presque du nouveau Président de « dégommer » quelques uns des grands portraits de l’histoire du pays. La manoeuvre de contournem­ent consiste à faire table rase de l’histoire pour installer les délires de nouvelles gloires puisant la quintessen­ce de leur discours dans les bas fonds de ce qui a généré les dérives du terrorisme qui a dénaturé la Nation. L’histoire en accordéon peut amuser un moment les badauds de la place du village, elle ne fait pas revenir la confiance tout à fait nécessaire par temps de gros nuages. Le même a cru tout aussi bien pertinent de chercher des poux à l’UGTT, ce qui fait peut-être le « buzz » mais risque de mettre en oeuvre le boomerang qu’ont évité jusque-là tous les autres politiques.

La saison post-électorale est, sans surprise, celle de tous les règlements de comptes dont le citoyen lambda ne comprend pas toujours les tenants et les aboutissan­ts. Même Ennahdha, jusque-là feutré sur ses conflits internes, est traversé par des courants vindicatif­s qui ne se gênent plus pour étaler les états d’âme sur la place publique. Certains voudraient même la tête du chef quand ils ne font pas dissidence pour jouer en solo. La cacophonie qui tient lieu de compétitio­n politique reflète bien les animosités suicidaire­s, mais beaucoup ont déjà sombré après avoir nourri quelques illusions, illusions transformé­es le plus souvent en soif de revanche.

On comprend que ce qui reste du fantôme de Nidaa Tounès soit bourré de rancunes rentrées et d’accusation­s verbeuses. On voit moins pourquoi le nouveau venu, Tahya Tounès, de Y. Chahed, ait eu à régler les comptes de beaucoup de ses cadres juste après les élections. On parle de défections sinon de trahisons, mais depuis quand les trahisons et le tourisme partisan donnent lieu à des sanctions ? Il va bien falloir que nos politiques se mettent une fois pour toutes dans le crâne qu’ils doivent se renseigner sur la conduite à adopter auprès des responsabl­es du foot.

Résumons rapidement la situation : les stratèges de l’Etat, anciens et à venir, ne trouvent aucune solution aux problèmes financiers qui s’accumulent. Pourtant, juste à côté, et sur un claquement de doigts ou presque, un club de foot vient de ramasser des milliards et remettre ainsi à flot les compteurs de sa trésorerie. Dans le même intervalle, l’appel à peine voilé du nouveau Président pour une journée de travail devant aider à renflouer les caisses de l’Etat a donné lieu à une levée de boucliers réprobateu­rs. Il ne serait donc pas totalement idiot de s’inspirer des mêmes leviers pour obtenir des résultats similaires.

A moins de concéder une bonne fois pour toutes que la démocratie qui a plébiscité un Président ne tient pas la route face à la diabolique machine à faire des sous dirigée d’une manière magistrale par l’indéboulon­nable Président Jery, à ne pas confondre avec Jerry le partenaire de Tom dans les dessins animés de W. Disney. A ne pas confondre aussi avec l’auteur français Jarry, créateur du personnage haut en couleur, Ubu. Même si, au fond, le feuilleton actuel au sujet de la compositio­n de l’équipe gouverneme­ntale a quelque chose d’ubuesque

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