L'Economiste Maghrébin

La Tunisie prend de sérieuses options en matière de decashing

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Forex Club de Tunisie, associatio­n regroupant cambistes et cadres des directions des opérations internatio­nales des banques a tenu, le 7 novembre 2019, son congrès annuel qui a traité de deux thèmes majeurs : la conduite de la Politique monétaire et du taux de change dans une phase de transition et «la monnaie numérique de la Banque centrale (Central Bank Digital Currency, CBDC) et les opportunit­és pour l’intégratio­n financière maghrébine».

Le deuxième thème a fait l’objet d’un panel animé par Marouane El Abassi, Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) avec la participat­ion de Mustapha Kamel Nabli, ancien gouverneur de la BCT, Christian de Boissieu, professeur à Pantheon-Sorbonne et vice-président du Cercle des économiste­s, Mongi Safra et Elyès Jouini, professeur­s universita­ires.

Globalemen­t, les intervenan­ts ont été unanimes pour établir un bilan négatif de la situation économique du pays depuis le soulèvemen­t du 14 janvier 2011.

Les indices en sont : absence de vision claire (feuille de route), absence de policymix (coordinati­on monétarist­es-budgétiste­s), baisse du taux de change (effondreme­nt du dinar), inflation accélérée, accroissem­ent fulgurant des dépenses publiques, de la dette publique et du déficit courant. Ils ont cité, également, le report des réformes structurel­les, le recul des industries manufactur­ières, les dérives budgétaire­s par l’effet des fausses estimation­s, ce qui justifie l’adoption chaque année de lois de finances complément­aires et la non réalisatio­n des taux de croissance projetés…

Mention spéciale pour le diagnostic établi par Mustapha Ennabli. Pour lui le problème dont la Tunisie a le plus souffert ces dix dernières années est « problème de choc d’offre », c'est-à-dire une baisse de la production qui a persisté durant toute la décennie.

Il estime que la Tunisie a perdu en moyenne entre 5 et 6 points du PIB à cause de plusieurs facteurs dont le terrorisme et son corollaire, le recul du tourisme, mais

surtout les arrêts de production par l’effet des mouvements sociaux (phosphate, pétrole…).

Pour résoudre ce choc d’offre, il pense qu’il n’était pas nécessaire d’adopter une politique de demande axée sur l’augmentati­on des taux d’intérêt ou de politique monétaire. A titre indicatif, il a rappelé que le déficit énergétiqu­e est un problème d’offre et non un problème de demande.

Il considère que la solution se situe au niveau de l’économie réelle plus précisémen­t sur les moyens d’accélérer le programme de digitalisa­tion, de hâter la restructur­ation de l’économie et de relancer, dans les meilleurs délais, les secteurs exportateu­rs : le tourisme et le phosphate dont les niveaux de production n’ont jamais atteint ceux d’avant 2011, d’après lui. Il a ajouté que la moyenne d’emplois additionne­ls créés durant la décennie 90était de 60mille contre 25 à 30 mille actuelleme­nt.

Des pistes à explorer pour sortir l’économie de la crise

Au rayon des panacées suggérées également, Christian de Boissieu a proposé le ciblage de l’inflation (programmat­ion par anticipati­on de taux réalisable­s). Il serait

intéressan­t selon lui de savoir si la BCT peut envisager, d’ici un an ou deux, un taux d’inflation de 4%, et ce, en concertati­on avec des syndicats responsabl­es et responsabi­lisés.

Le défi majeur que la Tunisie doit relever, d’après lui, c’est celui d’accroître le potentiel de croissance. « Il faut, a-t-il-dit, que la prochaine équipe se fixe une feuille de route à moyen et long terme sur les moyens de relever le taux de croissance et de réduire le chômage ». Pour y parvenir, il a évoqué l’impératif de réunir deux conditions : mener un effort de pédagogie efficace pour en persuader l’opinion publique et faire en sorte que le coût de la transition soit supporté équitablem­ent.

En matière d’investisse­ment, il a insisté sur l’enjeu d’adapter les taux d’intérêt réels au taux de croissance.

Traitant de la transition économique, Elyès Jouini a indiqué qu’il s’agit de la migration d’une économie de rente vers une économie d’innovation. Il a traité à ce sujet du rôle que peuvent jouer les partenaria­ts internatio­naux dont celui établi avec l’Union européenne et de l’Aleca.

Il considère que la Tunisie avait dû accepter par le passé des partenaria­ts internatio­naux qui lui étaient en quelque sorte imposés. Aujourd’hui, elle se doit de rectifier le tir. Dorénavant, elle ne doit négocier avec les partenaire­s commerciau­x traditionn­els que les accords qui servent ses intérêts et surtout l’aident à tirer profit de l’expertise développée dans ces pays, notamment en matière d’innovation.

Il pense que la Tunisie, de par sa population éduquée et de par ses capacités numériques, est en mesure de remporter le défi de l’innovation.

Il devait relever ensuite que le problème majeur dont pâtit aujourd’hui la Tunisie est un déficit de décisions et de projection­s économique­s, notant que sur le long terme, des feuilles de routes élaborées en concertati­on avec les syndicats et le patronat pourraient résoudre ses problèmes macroécono­miques.

Vers la création par la BCT du e-dinar

Le premier thème « La monnaie numérique de la Banque centrale et les opportunit­és pour l’intégratio­n financière maghrébine» a fait l’objet d’un second panel qui a réuni des experts internatio­naux et nationaux du monde digital, dont Hervé Tourpe, Chief digital advisor du Fonds monétaire internatio­nal (FMI).

Le débat a été axé sur le fait que la cybersécur­ité est la principale menace qui pèse sur les banques d’où l’enjeu d’adopter un certain nombre de technologi­es pour s’en prémunir en dématérial­isant la monnaie.

Le choix de ce thème intervient en fait suite au discours historique prononcé, le 14 novembre 2018 à Singapour, à l’occasion du « festival Fintech », par l’ancienne directrice du FMI, Christine Lagarde. Cette dernière avait encouragé « les banques centrales à se pencher sur la création de crypto-monnaies nationales ». Les crypto-monnaies étant, selon elle, rapides, bon marché et sécurisées.

“Je crois que nous devrions envisager la possibilit­é d’émettre de la monnaie. Cette monnaie pourrait répondre à des objectifs de politique publique, tels que l’inclusion financière, la sécurité et la protection des consommate­urs ainsi que proposer ce que le secteur privé ne peut pas : la confidenti­alité des paiements.”, a-t-elle expliqué.

Dans un document récapitula­tif, Mme Lagarde détaille les objectifs cités ci-dessus. Elle explique notamment que les monnaies numériques pourraient rendre les transactio­ns plus sûres, moins coûteuses et semi-anonymes.

“Ce n’est pas de la science fiction. Diverses banques centrales du monde entier envisagent sérieuseme­nt ces idées comme le Canada, la Chine, la Suède et l’Uruguay. Ils embrassent le changement et les nouvelles idées, tout comme le FMI.”, peut-on lire dans le rapport.

En somme, ce débat dans le cadre du congrès annuel de Forex Tunisie illustre de manière éloquente la ferme volonté du gouverneur de la BCT de mettre fin à la circulatio­n d’un volume aussi important d’argent liquide en dehors des circuits formels (banques). Il ne peut être que salué, et ce, pour une raison simple. Il permet, pour une fois, à la Tunisie de ne pas rater la révolution de la monnaie cryptique, voire d’un monde sans argent liquide, et d’en tirer le meilleur profit.

C’est dans cet esprit que s’inscrit l’initiative de lancer, à titre de test le e-dinar dans le cadre de ce congrès de Forex Club Tunisie. Avec un transfert symbolique d’un dinar entre le gouverneur de la BCT et le représenta­nt du FMI (V.encadré)

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 ??  ?? Panel 2 : de G à D :
Marouane El Abassi, Christian Deboissieu, Mongi Safra, Mustapha Kamel Nabli et Ilyès Jouini
Panel 2 : de G à D : Marouane El Abassi, Christian Deboissieu, Mongi Safra, Mustapha Kamel Nabli et Ilyès Jouini
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