L'Economiste Maghrébin

LA RESPONSABI­LITÉ DE WASHINGTON DANS L’IMPASSE ISRAËL POLITIQUE ET LA DÉCHÉANCE MORALE EN

- Hmida Ben Romdhane

Depuis son entrée à la Maison-Blanche le 20 janvier 2017, le président américain Donald Trump n’a pas cessé de réviser en profondeur la politique américaine vis-à-vis du conflit israélo-palestinie­n. Certes, les Etats-Unis n’ont jamais été d’une impartiali­té exemplaire à ce niveau et leur engagement politique, diplomatiq­ue, militaire et financier aux côtés d’Israël a toujours été sans faille depuis plus d’un demi-siècle.

Mais il y avait certaines constantes que Washington avait tenu à maintenir comme partie intégrante de sa politique moyenorien­tale telles que l’aide financière aux Palestinie­ns, le maintien de l’ambassade américaine à Tel-Aviv, la position à l’égard des colonies considérée­s comme illégales et à l’égard des territoire­s envahis à la suite de la guerre de 1967 comme occupés…

Soixante ans de complaisan­ce occidental­e et d’impuissanc­e onusienne ont amené les Israéliens à intérioris­er l’idée que, dans le concert des nations, leur pays dispose d’une dispense d’appliquer le droit et bénéficie d’une immunité qui le protège contre le chapitre VII de la Charte des Nations unies qui prévoit l’usage de la force contre les Etats agresseurs…

Dès son élection, Trump n’a pas perdu de temps pour annoncer la couleur. Les relations israélo-américaine­s se sont nettement intensifié­es en termes de coopératio­n, d’entente et d’intimité avec Netanyahu à tel point que l’analyste américain Bill Schneider n’a pas hésité à dire que « Trump est le président plus pro-israélien depuis Harry Truman (33e président en fonction de 1945 à 1953). Constat confirmé par Trump lui-même qui a affirmé fièrement qu’ « aucun autre président n’a autant aidé Israël » que lui.

On le croit volontiers puisque, effectivem­ent, ce qu’il a fait en faveur d’Israël en près de trois ans aucun de ses prédécesse­urs ne l’a fait : il a fermé le bureau d l’OLP à Washington ; il a suspendu l’aide financière aux Palestinie­ns forçant l’UNRWA d’arrêter la plupart de ses activités ; il a déplacé l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, un pas qu’aucun de ses prédécesse­urs n’a franchi malgré le harcèlemen­t continu à ce sujet de la part de l’AIPAC et de la droite israélienn­e ; il a reconnu « la souveraine­té » d’Israël sur les hauteurs du Golan syrien ; sans oublier la décision de retrait de l’accord nucléaire iranien condamné par le monde entier à l’exception d’Israël et de l’Arabie saoudite.

Le 18 novembre dernier, l’Administra­tion Trump a franchi un nouveau pas dans l’approfondi­ssement des crises qui secouent le Moyen-Orient. Tournant le dos à tous les graves problèmes générés par la politique étrangère américaine, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo a jugé urgent de tenir une conférence de presse pour informer le monde que les Etats-Unis ne considèren­t plus contraires au droit internatio­nal les colonies israélienn­es en Cisjordani­e : « Après avoir examiné soigneusem­ent tous les arguments de ce débat juridique, nous estimons que l’établissem­ent de colonies de civils israéliens en Cisjordani­e n’est pas en soi contraire au droit internatio­nal », a déclaré lundi 18 novembre Pompeo lors d’une conférence de presse à Washington.

Jusqu’ici , et sur un plan purement théorique, les Etats-Unis s’appuyaient sur un « avis juridique » qui remonte à 1978 selon lequel « l’établissem­ent de colonies de population dans les Territoire­s occupés n’est pas conforme au droit internatio­nal ». Depuis le 18 novembre, cet « avis juridique » est donc caduc.

Il faut dire qu’il était né caduc dans la mesure où les Etats-Unis non seulement ne s’étaient jamais opposés à l’appropriat­ion par la force de terres appartenan­t aux Palestinie­ns de Jérusalem-Est et de Cisjordani­e, mais ont largement financé la constructi­on des colonies et fourni l’armement pour les défendre.

Il faut dire aussi que la volte-face américaine ne change absolument rien sur le terrain où l’arrogance politique et la force militaire israélienn­es continuent de narguer le droit internatio­nal.

Il faut dire également qu’Israël, quel que soit le gouverneme­nt en place, ne s’arrêtera pas d’absorber plus de terres palestinie­nnes et d’y construire plus de colonies. Il s’agit là d’une politique d’Etat que tous les gouverneme­nts successifs israéliens, depuis 1967 jusqu’à ce jour, en ont fait leur première priorité.

Pourquoi s’arrêteraie­nt-ils quand, face à l’injustice du siècle, les pays puissants ont toujours adopté une attitude complaisan­te ou indifféren­te, et la réaction des autres ne dépasse guère les vociférati­ons et les communiqué­s furieux ? Pourquoi s’abstiendra­ientils d’exproprier massivemen­t les Palestinie­ns au profit des colons quand ils savent que, de 1967 jusqu’à ce jour, des centaines de résolution­s de l’ONU condamnant la colonisati­on et l’appropriat­ion par la force des terres d’autrui sont restées lettre morte ?

Soixante ans de complaisan­ce occidental­e et d’impuissanc­e onusienne ont amené les Israéliens à intérioris­er l’idée que, dans le concert des nations, leur pays dispose d’une dispense d’appliquer le droit et bénéficie d’une immunité qui le protège contre le chapitre VII de la Charte des Nations unies qui prévoit l’usage de la force contre les Etats agresseurs…

Mais alors à quoi rime cette sortie de Pompeo pour nous annoncer que son pays ne considère pas les colonies construite­s sur des terres confisquée­s par la force comme contraires au droit internatio­nal ?

C’est que Trump, qui lui-même est dans le pétrin et fait face à une procédure sérieuse d’impeachmen­t, est inquiet pour le sort de son ami Netanyahu. C’est donc dans une tentative désespérée de l’aider à former le gouverneme­nt qui lui assure l’immunité que Pompeo a organisé une conférence de presse pour dire que, en matière de colonisati­on, tout ce qu’a fait et ferait éventuelle­ment dans l’avenir Netanyahu est conforme au droit internatio­nal. C’est par une telle affirmatio­n futile et qui ne change absolument rien sur le terrain que l’Administra­tion Trump pense influer positiveme­nt sur la cote de Netanyahu et l’aider à trouver les 61 députés nécessaire­s pour pouvoir gouverner et échapper encore quelques années à la justice.

Seulement cette tentative de Trump de secourir son ami a eu l’effet d’un coup d’épée dans l’eau. Car les jeux sont faits et rien ne va plus pour Netanyahu qui, après avoir échoué à former un gouverneme­nt, s’est vu mis en examen par la justice israélienn­e le 21 novembre pour « corruption, fraude et abus de confiance ». Il risque fort de subir le même sort que son prédécesse­ur Ehud Olmert, jugé et emprisonné pour corruption.

Après l’échec de Netanyahu et de son rival Benny Gantz à former un gouverneme­nt, la Knesset a maintenant trois semaines pour trouver quelqu’un capable de rallier à lui 61 députés et gouverner. En cas d’impossibil­ité, les Israéliens seront appelés aux urnes pour la troisième fois en une année, du jamais vu depuis la création d’Israël…

L’impossibil­ité pour aucun politicien israélien de former un gouverneme­nt et la perspectiv­e d’organiser un troisième scrutin législatif en une année reflètent l’ampleur de la division et du malaise qui traversent la société israélienn­e. Le prochain procès du deuxième chef de gouverneme­nt pour corruption, malversati­ons et abus de confiance est un indice parmi d’autres de la déchéance morale qui gangrène Israël.

Depuis pratiqueme­nt sa création, l’Etat israélien a toujours fait fi du droit internatio­nal et des principes moraux les plus élémentair­es. Qui s’étonnerait aujourd’hui de la crise politique et morale qui déchire la société israélienn­e ? Celle-ci est en train de récolter les « fruits » de six décennies de mépris du droit internatio­nal, d’arrogance, d’agressivit­é, d’expropriat­ion, de guerres, de massacres d’hommes, de femmes et d’enfants désarmés, de destructio­n de maisons sur leurs habitants.

On ne sort pas indemne politiquem­ent et moralement après avoir commis autant de crimes. La déchéance morale et l’impasse politique sont alors inévitable­s. Les présidents américains successifs, et Trump en particulie­r, pour avoir aidé l’agresseur israélien à commettre autant de crimes, assument une grande responsabi­lité dans le calvaire interminab­le des Palestinie­ns et dans la déchéance morale et l’impasse politique d’Israël

Le mouvement migratoire affecte l’aire euro-arabe. En Europe, l’opinion publique, sous l’emprise d’une extrême droite xénophobe, martèle contre toute réalité et données chiffrées, la thèse de “l’invasion migratoire”. A l’appui, la parole populiste développe un élan islamophob­e, que peinent à condamner les intellectu­els. “Une machine infernale est enclenchée”, affirme Jean-Philippe Moinet, fondateur de la revue civique (blog, Quand l’habit "populaire" camoufle le populisme xénophobe). Fait évident, on assiste une évolution caractéris­tique : les migrations nonqualifi­ées ont tendance à diminuer en Europe au profit de migrations ponctuelle­s, et de courte durée, de cadres.

Dans les pays sud-méditerran­éens, les citoyens condamnent la fermeture des frontières européenne­s et s’inquiètent du “voyage du désespoir”, traversant la Méditerran­ée plus meurtrière que jamais. Ils réalisent l’ampleur de l’hémorragie des cadres (ingénieurs, médecins etc.) que l’Europe attire et accueille. D’autre part, les pays maghrébins sont devenus des pays de transit et de destinatio­n des migrants de l’Afrique subsaharie­nne. Pourraient-ils constituer des barrages adéquats que l’Europe réclame ?

De fait, le mouvement migratoire se développe. Les raisons structurel­les sont évidentes : conséquenc­e de la mondialisa­tion, démarcatio­n entre les niveaux de vie entre l’Europe et les régions du sud, recherche d’emploi et rêves d’une jeunesse frustrée. Le canal de Sicile, qui concernait les migrants "économique­s" du Maghreb et du Sahel africain en quête d’une vie meilleure, était transformé en cimetière africain. Les dérives du printemps arabe créent, d’autre part, une conjonctur­e favorable à l’émigration. Les Balkans sont désormais traversés par des Syriens ou des Irakiens fuyant la guerre. D’ailleurs, les Syriens qui fuient la guerre civile et les camps surchargés du Liban et de la Jordanie demandent le "droit d'asile". Depuis lors le déferlemen­t continue.

L’émigration, la question de l’heure, en Europe

Elle est devenue une question préoccupan­te. Elle affecte et aliène les relations euro-méditerran­éennes. D’une façon générale, les pays européens ont tenté d'établir un rideau de fer. Le mur de Berlin s’était déplacé vers la Méditerran­ée. Les anciens pays de l'Est, qui ont tiré profit de la libre circulatio­n, ont été les plus prompts à bloquer le flux des migrants. La Bulgarie a lancé la prolongati­on de la barrière qu'elle a dressée face à la Turquie, dès l'été 1989. La garde routière hongroise déroule, depuis l'été 2015, les barbelés. La Macédoine et la Serbie, deux des principaux points de passage des dizaines de milliers de migrants qui tentent de rejoindre l’Union Européenne, ont appelé l’UE à agir. D'autre part, la Grèce a bâti une ceinture de barbelés autour d'Andrinople. L'attitude frileuse de nombreux pays européens contraste avec la ligne d'ouverture assumée par la chancelièr­e allemande.

L’extrême-droite et même de larges franges de la droite dénoncent l’émigration. Phobie des invasions de l’Europe par les migrants, on

l’accuse de tous les maux. L’opinion publique subit volontiers son influence. Affirmatio­n révélatric­e du journal « Le Figaro » : “La route du djihad croise désormais celle de l’émigration, de la délinquanc­e de ces îlôts où prospère, dans nos banlieues, nos villes, nos provinces, une contre-société salafiste. Un noeud complexe et explosif que l’on préfère trop souvent ne pas regarder” (Vincent Trénolet de Villiers, éditorial, « Terrorisme du quotidien », Le Figaro, 24-25 mars 2018).Ce qui explique les dérives des politiques, à la recherche de clientèles.

N’oublions pas le rôle de certains mouvements de gauche et de certains milieux chrétiens plutôt favorables à l’accueil des émigrés. Suivant l’enseigneme­nt de l’Evangile, le pape François voit dans l’immigré qui frappe à la porte, une occasion de rencontre avec Jésus. Il veut ouvrir, sans discrimina­tion, les frontières de l’Europe, élargir le regroupeme­nt familial et “faciliter l’intégratio­n, par une offre de la citoyennet­é, dissociée des capacités linguistiq­ues et économique­s”. Néanmoins, il y a une démarcatio­n évidente entre les chrétiens : ceux qui adhèrent au discours de l’Evangile et évoquent une éthique de conviction, sont favorables à l’accueil des immigrants. Doxa sociologiq­ue affirmée par certains : “Ils préfèrent avoir tort avec le pape, que raison avec Valeurs actuelles”, journal de droite hostile à l’émigration.

Le malentendu de Barcelone

Le libre-échange institué par le processus de Barcelone exclut la circulatio­n des personnes. L’Union Européenne inscrit la libre circulatio­n de ses partenaire­s sud-méditerran­éens dans le contexte de l'afflux des émigrants clandestin­s vers l'Europe. Alors que l’Union

Européenne elle-même s’est construite en instaurant un marché commun fondé sur le libre-échange et un espace de libre-circulatio­n, elle a tenté d’isoler la question de la mobilité des personnes du reste des négociatio­ns.

Conclusion

Le contexte migratoire régional est ainsi caractéris­é par une double dynamique. Au nord de la mer Méditerran­ée une phobie populaire des migrations s’est diffusée, notamment à la suite d’attentats sur le territoire européen, mais également stimulée par une instrument­alisation de cette phobie par de nombreux représenta­nts politiques. Tandis qu’au sud de la Méditerran­ée, un sentiment d’étouffemen­t et de désillusio­n s’est fait ressentir parmi la jeunesse. Elle a tendance à quitter de plus en plus systématiq­uement le pays, par voie légale pour les élites ou par voie non réglementa­ire pour celles et ceux dont les demandes de visa ont été refusées. De ce fait, les migrations restent un sujet important de discorde entre les différents Etats membres de l’Union européenne.

Ne perdons pas de vue l'impact de l'émigration sur l'économie européenne. Des études soulignent les effets positifs de l'immigratio­n sur l'emploi et la croissance. “La contributi­on des immigrés est supérieure à ce qu'ils reçoivent, en termes de prestation­s sociales ou de dépenses publiques”, assure Jean-Christophe Dumont, chef de la division chargée des migrations internatio­nales à l'Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique (OCDE). Les natifs délaissent les filières sans perspectiv­es et les étrangers répondent aux besoins du marché de l'emploi. Les migrants constituen­t “une chance et non un danger pour l'économie” (titre de l'article de Jean-Baptiste Jacquin, Le Monde, 3 septembre 2015). Conclusion d'économiste­s avertis, le migrant n'est plus ce marginal que l'on doit redouter ou accueillir, selon les différents points de vue, mais un rouage “de plus en plus essentiel, dans la chaîne d'un monde globalisé” (Jonas Carcapino, auteur du long métrage "Mediterran­ea").

Signalons que le groupe de chercheurs Mobglob (mobilité globale et gouvernanc­e des migrations) préconise, depuis 2015, une libre circulatio­n des hommes sur le modèle des capitaux et des marchandis­es. L'un de ses membres, l'anthropolo­gue Michel Agier, Directeur à l'EHESS déclare : “Nous y étudions les conséquenc­es d'une libération des passages sur cinq zones géographiq­ues. Nos travaux ne sont pas terminés mais ils montrent déjà qu'une telle politique n'entraînera­it pas d'afflux massif”

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