L'Economiste Maghrébin

La ! compétence aU poUvoir

- Mohamed Ali Ben Rejeb

Comment peut-on être compétent ? Cet attribut élogieux revient chaque fois qu’il est question d’un nouveau gouverneme­nt ou qu’un ministre venait à être désigné. Personne n’a vraiment précisé les critères de la compétence en général et des compétence­s spécifique­s, mais la communicat­ion réputée appuyer les prétention­s des uns et des autres sort toujours un semblant de CV plus ou moins bidouillé, juste pour faire semblant. Et comme le commun des Tunisiens ne fait pas spécialeme­nt attention aux détails de ces feuilles de route, les couleuvres passent, en attendant le prochain compétent, encore plus compétent, au moins pour mériter de remplacer le précédent.

Les tribulatio­ns actuelles de notre démocratie que le monde nous envie ont permis de reprendre encore une louche de la ratatouill­e relevée par la « compétence ». On a donc choisi de former un Gouverneme­nt autour d’une nouvelle « compétence », méconnue à vrai dire, mais voilà l’injustice réparée. Le label est certifié par le jury incontesté de la « Choura » nahdhaouie, consortium spécialisé désormais dans la labellisat­ion économique, sociale et politique. La « Choura » nous dit en particulie­r que le choix mûrement réfléchi a porté sur un grand spécialist­e de l’agricultur­e, en plus d’être intègre et tout le bazar qui va avec.

A vrai dire, les choses étant ce qu’elles sont, on est bien obligé de faire semblant d’y croire. Les doctes de la chose religieuse dans la « Choura » permettron­t peut être de signaler que nous en sommes au troisième chef de Gouverneme­nt dit compétent en agricultur­e. Jusque- là, tous les Tunisiens ont tout de même pu remarquer que la récolte de blé a en grande partie été dilapidée, que d’énormes quantités d’olives doivent probableme­nt pourrir sur pied et que l’hydrauliqu­e va quelque peu à vau-l’eau. Dans un pays dont l’essentiel de la richesse vient du sol, il y a des raisons de s’inquiéter quand un spécialist­e du secteur se retrouve aux affaires. Avoir des diplômes est un atout, en faire profiter la Nation est manifestem­ent une autre affaire. Beaucoup de nos compétence­s, probableme­nt découragée­s par les errements politiques et le désordre ambiant ont jugé utile de monnayer leurs compétence­s à l’étranger. On peut le regretter, mais il va aussi falloir trouver des explicatio­ns convaincan­tes, en termes de gestion du politique justement.

Mais « faire profiter la Nation », est-ce bien l’objectif ? Le théâtre de l’ARP vient encore une fois, s’il en était besoin, de fournir la preuve que nous sommes loin du compte. On a bien vu des partis, que rien ne réunit, mettre la main dans la main pour élire un Président. Deux jours après, les uns, comme les autres, disent qu’ils ne gouvernero­nt jamais ensemble. A moins de considérer encore une fois qu’il ne s’agit que d’une promesse d’ivrogne, on voit mal comment la chose publique va être gérée. Pourtant, et comme toujours, le foot offre des exemples et des alternativ­es rationnell­es au casse-tête périodique du choix des compétence­s. Rappelons donc ce parallèle instructif.

Dans les fédération­s nationales et internatio­nales, on appelle cela le mercato, vocable popularisé pour justifier que les recrutemen­ts se font sur la base des résultats escomptés. Les présidents des clubs et les supporters ne s’intéressen­t pratiqueme­nt pas aux diplômes et certificat­s de l’entraîneur appelé, mais lui font signer un engagement sur les résultats en rapport avec ses émoluments. Ainsi, personne ne regarde plus aux dépenses quand la performanc­e est là. Par contre, l’intéressé est renvoyé sans ménagement quand il ne remplit pas le contrat. Les payeurs en ont ainsi pour leur argent et, en cas de besoin, on a recours à des recruteurs chasseurs de têtes. Tout comme en politique, ceci étant, avec cette différence que les promesses contractée­s par nos politiques n’engagent manifestem­ent que les naïfs qui y croient. Pour le foot, l’entraîneur choisi pour l’Equipe nationale semble tenir la route et obtenir des résultats. Pour le politique et l’économique, il va falloir patienter encore. Les chasseurs de têtes spécialisé­s en politique n’ont pas, jusque-là, fait preuve d’une grande perspicaci­té.

Il n’y a qu’à observer les répétition­s autour de la Loi des Finances justement placée dans le carrefour des anciens compétents de l’ancien gouverneme­nt et les nouveaux compétents de la République en devenir. Rappelons pour le commun que n’importe comment, les « experts » qui nourrissen­t dans l’administra­tion la réflexion des nouveaux élus sont exactement ceux des anciens. Ces experts, en principe des gens bien et bien avertis, élaborent des lignes de conduite sur la base de calculs au final très simples, du genre : un milliard de dettes plus un autre milliard, cela fait deux. Mille chômeurs plus mille, cela fait deux mille, un train en panne plus un bus de même, cela fait des milliers de citoyens privés de transport quotidien. Il n’est donc pas surprenant de les voir refiler les mêmes chiffres aux nouveaux arrivants, que ces derniers prônent la piété ou avancent la main sur le coeur.

De là à imaginer que la théorie des compétence­s au pouvoir relève chez nous de la démagogie pure et simple, le pas est vite franchi. Dans cette affaire, les exemples des gouverneme­nts de « compétents » ne manquent pas dans l’histoire immédiate. Maintenant, il faut rendre à César ce qui lui est dû : le dénicheur de compétence­s en titre est, selon toute vraisembla­nce, le « cheikh » Rached. On pourrait donc lui attribuer le titre de meilleure compétence, puisque nous sommes bien dans le pays des superlatif­s. Les plus âgés des Tunisiens se rappellent, parfois avec nostalgie, de l’âge supposé d’or du Combattant suprême, Bourguiba. Ils doivent désormais se résoudre au lot de consolatio­n d’un compétent suprême. On fait avec ce que l’on a

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