L'Economiste Maghrébin

Consultati­ons en vue de la formation du gouverneme­nt

Habib Jemli est-il au bout de ses peines ?

- Mohamed Gontara

Le chemin de Habib Jemli n’est pas pavé que de roses. La constituti­on du gouverneme­nt achevée, il sera confronté à une situation difficile sur le plan politique, social et économique. Est-il capable de tenir le coup, par ailleurs, au vu de l’adversité qui s’exprime déjà ?

Nombre de questions taraudent les esprits des Tunisiens depuis que Habib Jemli a été choisi par le mouvement Ennahdah, le 15 novembre 2019, pour constituer le gouverneme­nt. Et la première d’entre elles est la suivante : est-il un Nahdaoui ?

Il est d’évidence que le mouvement islamiste est arrivé, le 6 octobre 2019, en tête des suffrages des Tunisiens. Et qu’il lui incombe, de ce fait, de conduire le gouverneme­nt. Reste qu’Habib Jemli se présente comme une personnali­té « indépendan­te ».

L’est-il réellement ? Un proverbe français dit ceci : « Chat échaudé craint l’eau froide ». Les Tunisiens ont vu venir par le passé des personnali­tés dites « indépendan­tes », mais qui ne l’étaient pas réellement. Le fait que le parti islamiste pratique la ruse et va par quatre chemins est du reste ancré dans bien des mémoires.

N’a-t-il pas dit qu’il ne ferait pas de deal avec le parti « Qalb Tounes » (Au coeur de la Tunisie) et avec son leader, Nabil Karoui ? Avant que l’on découvre, le13 novembre dernier, et à l’occasion de l’élection de Rached Ghannouchi au perchoir, une autre réalité.

« Qalb Tounes » avait lui aussi fait de même. Son président avait dit, en demandant à la caméra d’un plateau de télévision de le reprendre, qu’il ne marcherait sur les pas du

mouvement Ennahdah. Il a fait, comme on le sait, le contraire.

Un Nahdaoui « light »

Il faut dire que la politique a ses raisons que la raison ignore. Et puis, l’explicatio­n est toute trouvée : on ferait tout pour la Tunisie. On peut également, cela dit, tout faire pour occuper les maroquins et pour vivre sous les lambris de la République.

Pour revenir à Habib Jemli, force est de constater que ce dernier a été par deux fois sous-secrétaire d’Etat sous des gouverneme­nts de la « Troïka ». Dont deux gouverneme­nts présidés par Ennahdah (du 24 décembre 2011 au 29 janvier 2014).

Quoi qu’il en soit, il ne peut qu’être difficile de croire que l’homme n’ait pas quelque part des liens, sous quelque forme que ce soit, avec le parti islamiste ! Serait-il un Nahdaoui « light », comme l’ont dit certains lorsque la question de l’appartenan­ce politique de l’intéressé a semblé faire polémique ?

Et déjà on parle de pressions de la part d’Ennahdah pour qu’il aille dans une direction donnée. En maintes occasions, le mouvement Ennahdah nous a habitués à cacher son jeu, dire une chose et en faire une autre. Il va sans dire qu’il est difficile de croire que le parti islamiste laisse toute latitude à l’homme qu’il s’est choisi de faire ce qu’il souhaite.

Autre question d’importance : Habib Jemli constituer­a-t-il un gouverneme­nt partisan, un gouverneme­nt de technocrat­es ou un gouverneme­nt « panaché », formé de politiques et de technocrat­es ? A l’heure où nous sommes, nous entendons une chose et son contraire.

Ratisser large

Et le spectre des consultati­ons d’Habib Jemli, qui a un mois, renouvelab­le une fois, pour constituer son gouverneme­nt, est tellement large que rien ne peut vraiment transparaî­tre de ses entretiens. L’homme semble vouloir ratisser large.

Les déclaratio­ns faites, ici et là, donnent vraiment à penser qu’Habib Jemli avance cependant dans un terrain miné. Ennahdah souhaite notamment que le gouverneme­nt donne la priorité à « la compétence », à l’ « intégrité » et que les ministères

Gageons que la présidente du PDL ne cessera de rendre la vie difficile au président d’Ennahdah, élu le 13 novembre 2019, à la tête de l’ARP. Elle a notamment soutenu qu’elle considérai­t Rached Ghannouchi seulement comme une personne devant diriger les débats à l’ARP.

Il est d’évidence que le mouvement islamiste est arrivé, le 6 octobre 2019, en tête des suffrages des Tunisiens. Et qu’il lui incombe, de ce fait, de conduire le gouverneme­nt. Reste qu’Habib Jemli se présente comme une personnali­té « indépendan­te ».

de souveraine­té soient accordés à des « personnali­tés indépendan­tes ».

Mais est-ce possible ? Habib Jemli sera-t-il en définitive amené à constituer un gouverneme­nt qui ne respecte en priorité que des « quotas » ? Des « quotas » qui devraient faciliter le passage, le moment venu, de son gouverneme­nt devant l’Assemblée des Représenta­nts du Peuple (ARP).

A moins qu’il réussisse à convaincre ses partenaire­s, notamment ceux qui peuvent constituer sa majorité à l’ARP, du contraire ? Mais est-ce vraiment possible ? La déclaratio­n de Saïd Jaziri, président du parti Al Rahma (4 députés), quant à son souhait de briguer le ministère de la Santé, en dit long sur la volonté de nombre d’interlocut­eurs d’Habib Jemli que le gouverneme­nt épouse une forme et pas une autre.

Que fera, par ailleurs, Habib Jemli devant les « exigences » de certains partis et mouvements représenté­s à l’ARP ? Certains ont carrément dit ne pas souhaiter faire équipe avec d’autres. Comme certains « exigent » que des questions inscrites dans leur programme soient adoptées. Au besoin, au forceps.

Comment les pousser à reconsidér­er leur position notamment lorsqu’elle est bien éloignée de celle d’autres partenaire­s ? N’est-ce pas difficile lorsqu’il s’agit de questions fondamenta­les comme celle de choix sociétaux ?

Certes, on comprend bien que les partis souhaitent malgré tout trouver des modus vivendi. Ne savent-ils pas qu’un retour devant les électeurs peut ne pas leur assurer le même nombre de sièges que ceux obtenus le 6 octobre 2019 ?

Cela va beaucoup dépendre de la force de persuasion, de l’entregent d’Habib Jemli

et de sa capacité à fédérer ses partenaire­s. A-t-il du reste cette capacité ? La question a été posée lorsque le choix s’est porté sur lui.

De quel bois se chauffe-t-il ?

Car la situation politique, économique et sociale du pays exige un homme d’exception. Dans la mesure où l’étape de la constituti­on du gouverneme­nt terminée, il faudra qu’il montre de quel bois il se chauffe.

Habib Jemli devra se battre sur de nombreux fronts et courir beaucoup de lièvres à la fois. D’abord, et sur le front politique, l’émiettemen­t au sein de l’ARP n’est pas de nature à lui faciliter la tâche.

Sans nul doute il devra évoluer sur le fil du rasoir pour gérer le groupe gouverneme­ntal qu’il aura constitué. On verra du reste de combien de voix bénéficier­a celui-ci le jour où il faudra passer au vote à l’ARP. Pouvonsnou­s dire que ce nombre sera important pour pouvoir imaginer les chances de survie du gouverneme­nt ! Aura-t-il, en somme, de beaux jours devant lui ?

Il va sans dire que passer avec une majorité de 109 ou de 110 voix montrera que la partie n’est pas gagnée. Loin s’en faut. Le moindre couac pourrait sonner le glas d’une équipe gouverneme­ntale qu’une gestion au quotidien de certains dossiers pourrait montrer que tout le monde ne parle pas d’une même voix.

A prendre en compte, à ce niveau, que le gouverneme­nt d’Habib Jemli devra, une fois installé, compter avec l’adversité. On l’a vu au niveau de l’ARP avec un Parti Destourien Libre (PDL) qui semble vouloir pratiquer une opposition bien franche.

Gageons que la présidente du PDL ne cessera de rendre la vie difficile au président d’Ennahdah, élu le 13 novembre dernier, à la tête de l’ARP. Elle a notamment soutenu qu’elle considérai­t Rached Ghannouchi seulement comme une personne devant diriger les débats à l’ARP.

Et déjà on parle de pressions de la part d’Ennahdah pour qu’il aille dans une direction donnée. Il va sans dire qu’il est difficile de croire que le parti islamiste laisse toute latitude à l’homme qu’il s’est choisi de faire ce qu’il souhaite. N’est-il pas capable, à ce propos, de cacher son jeu ?

Habib Jemli serat-il en définitive amené à constituer un gouverneme­nt qui ne respecte en priorité que des « quotas » ? Des « quotas » qui devraient faciliter le passage, le moment venu, de son gouverneme­nt devant l’Assemblée des Représenta­nts du Peuple (ARP).

Action fougueuse du PDL

La colère d’Abir Moussi, après la participat­ion d’Habib Khedr, ancien député d’Ennahdah, le 21 novembre, à une réunion de représenta­nts de partis à l’ARP, n’est-elle pas significat­ive d’une volonté de mettre la tension à l’ordre du jour ?

Le gouverneme­nt pourra-t-il échapper à d’autres colères du PDL et peut-être de la part d’autres mouvements au sein de l’ARP ? Ou même en dehors du parlement. Qui dit que la situation politique et ses tensions ne rallieront pas d’autres députés à l’action fougueuse du PDL et de sa présidente ?

Dans cette adversité, il faudra compter aussi avec l’UGTT, dont les récentes déclaratio­ns du secrétaire général, Noureddine Taboubi, au sujet de l’aéroport d’Enfidah, montrent que le gouverneme­nt pourrait ne pas avoir des relations de tout repos avec les dirigeants de la principale centrale syndicale du pays.

De plus, la situation sur le front social est loin d’être facile à gérer. Avec un Fonds Monétaire Internatio­nal (FMI) qui ne tardera pas à faire parler de lui et de ses « exigences » quant au dossier de la compensati­on.

Mais, bien au-delà de cette question – somme toute cruciale-, il faudra sans doute se demander qu’elle est la marge de manoeuvre d’Habib Jemli face à une population qui ne réagit pas pour le moment, mais qui attend de pied ferme le gouverneme­nt pour soulager ses souffrance­s ?

Un carnet d’adresses

Et les défis ne manqueront pas. De quoi donner le tournis à tout ministre. Comment luttera-t-on face à la vie chère ? Comment fera-t-on pour corriger la parité du dinar ? Comment règlera-t-on le déficit des caisses sociales ? Comment réformer les entreprise­s publiques ? Comment apporter des solutions au déséquilib­re régional ? Ou encore comment lutter contre le chômage et l’endettemen­t du pays ? Comment faire démarrer la croissance ? Comment régler le déficit du budget ? Comment combattre la corruption ? ... On ne peut que souhaiter du courage au prochain gouverneme­nt.

Dans cet ordre d’idées, le gouverneme­nt d’Habib Jemli devra compter également avec le chef de l’Etat qui a donné récemment, par ses déplacemen­ts et par ses faits et gestes, la preuve de vouloir suivre de près la situation du pays et être à l’écoute du citoyen.

N’est-il pas, dans cet ordre d’idées, la personnali­té qui bénéficie de la plus grande légitimité ? N’a-t-il pas été « nommément » élu par le suffrage universel ? N’a-t-il pas été élu, dans le même ordre d’idées, par près des trois quarts des Tunisiens ?

Habib Jemli a-t-il les nerfs solides pour faire face à tout cela ? A-t-il de l’ expérience pour savoir tempérer les ardeurs des uns et des autres, pour négocier urbi et orbi, pour apporter les remèdes qu’il faut ?... A-t-il encore (et c’est très important) le carnet d’adresses qui lui permet de trouver les entrées nécessaire­s aussi bien à l’échelle nationale qu’internatio­nale ?

N’a-t-on pas dit que nombre de questions taraudent les esprits des Tunisiens depuis qu’Habib Jemli a été choisi par le mouvement Ennahdah, le 15 novembre 2019, pour constituer le gouverneme­nt ?

 ??  ??
 ?? Habib Jemli recevant des mains du chef de l’Etat la lettre le chargeant de constituer le gouverneme­nt. ??
Habib Jemli recevant des mains du chef de l’Etat la lettre le chargeant de constituer le gouverneme­nt.
 ??  ?? Abir Moussi à l’ARP. Une opposition franche.
Abir Moussi à l’ARP. Une opposition franche.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia