L'Economiste Maghrébin

La Chine, garder le cap par gros temps

- Joseph Richard

Après trente ans de croissance à deux chiffres, la Chine avait pris acte en 2013 de ce que sa trajectoir­e économique changerait de rythme. La « nouvelle croissance normale » se calait dorénavant sur une pente de 6 à 7 % tandis que la consommati­on prenait le relais de l’investisse­ment et de l’exportatio­n. La remise en ordre des finances des collectivi­tés locales et des entreprise­s parapubliq­ues était lancée.

Ces six dernières années la croissance économique chinoise a oscillé autour de 6,5%, selon les statistiqu­es chinoises, conforméme­nt à ce qui avait été fixé par les autorités de Pékin.

Mais la guerre commercial­e et technologi­que déclarée par Donald Trump à la Chine peut changer la donne en remettant en cause cet atterrissa­ge en douceur.

Pour ses équilibres intérieurs, même si sa résilience est forte, la Chine a besoin d’une croissance qui ne baisse ni exagérémen­t ni trop longtemps. On estime qu’elle a besoin d’un taux autour de 6 % pour créer en nombre suffisant des emplois urbains pour une population rurale toujours en migration, et procurer une améliorati­on du pouvoir d’achat à tous .

Des vents contraires

Les dernières perspectiv­es économique­s de l’OCDE font état d’une dégradatio­n de la conjonctur­e mondiale, résultat des tensions actuelles et du sentiment que cet affronteme­nt va durer, Trump réélu ou pas. La croissance mondiale peine à 2,9 % cette année et ne décollera pas en 2020. La Chine verra sa croissance passer à 5,7% en 2020 et 5,5% en 2021, franchissa­nt le seuil d’alerte. Un compromis avec les Etats-Unis serait donc le bienvenu.

Dans ses tweets - qui n’ont rien d’un gazouillis - le Président américain se plaît à souligner les coups « terribles » infligés à l’économie chinoise et la situation « désespérée » dans laquelle se trouverait Pékin, acculée à accepter un accord selon les termes imposés par Washington.

Après avoir été claironné par Trump comme imminent et spectacula­ire, cet accord se fait attendre. Pékin ne paraît pas disposé à céder sur des sujets critiques, même s’il s’agit parfois d’effets d’annonce et non de concession­s réelles. Ainsi, pour envoyer des signaux vers son électorat rural, D. Trump voudrait que la Chine s’engage sur l’achat de montants considérab­les de produits agricoles alors qu’elle n’en a pas besoin et que les paysans américains ne sont pas en mesure d’honorer les commandes.

S’engager sur de tels objectifs irréalisab­les et, par ailleurs, contraires aux règles de l’OMC , ce serait pour Pékin prendre le risque d’être pris en défaut par Washington quant au respect de ses engagement­s et de se mettre en contradict­ion avec son soutien affiché au multilatér­alisme . De leur côté, les négociateu­rs chinois demandent des contrepart­ies sous forme d’annulation des droits de douane imposés sur leurs exportatio­ns aux Etats-Unis et pas seulement la suspension de ceux à venir.

Selon l’OCDE, les Etats -Unis ne seront pas épargnés par le ralentisse­ment mondial, leur croissance plafonnera à 2% pour les deux années à venir. En période électorale, ces chiffres ne sont pas bons pour le candidat Trump . Cependant, Washington entend bien découpler durablemen­t la Chine du reste de l’économie, au moins des pays de l’OCDE qu’il veut ranger sous sa bannière en recourant aux intimidati­ons, menaces et à un unilatéral­isme brouillon

Résultat, l’incertitud­e s’installe, brouille les décisions d’investisse­ment et de production, la croissance patine. La mondialisa­tion entre dans le brouillard.

Maintenir le cap

La croissance économique résiste autour de 6 %, ce qui marque un tassement par rapport aux trimestres précédents mais reste en ligne avec les prévisions gouverneme­ntales. Les autres paramètres se détérioren­t du fait essentiell­ement du tassement des échanges avec les Etats-Unis mais des compensati­ons avec les autres pays atténuent la baisse de performanc­es.

Face au ralentisse­ment et aux incertitud­es, la Chine entend soutenir l’activité mais sans remettre en question l’assainisse­ment du secteur public et le désendette­ment des entreprise­s et collectivi­tés locales. Les taux d’intérêt ont été abaissés de manière limitée ainsi que le niveau des réserves obligatoir­es des banques. En évitant d’ouvrir les vannes du crédit, il s’agit de maintenir les contrainte­s qui pèsent sur les entreprise­s publiques pour les amener à améliorer leur gestion et, de manière générale, dégonfler la bulle financière qui s’est formée ces dix dernières années.

Baisse du Renminbi (de 6,33 à 7,15 pour un dollar en six mois) et contrôle des changes ont permis de restreindr­e les sorties de capitaux (20 milliards $ par mois en 2018 et 2019 contre 100 milliards en 2015 et 2016). La Chine engrange aussi des investisse­ments étrangers en hausse de près de 7% (100 Mds $ entre janvier et septembre 2019), alors que la baisse est générale dans les pays de l’OCDE.

La libéralisa­tion économique facilite cet afflux de capitaux avec l’entrée en applicatio­n de mesures annoncées ces deux dernières années. Selon le classement de la Banque Mondiale sur le climat des affaires d’octobre 2019, la Chine est passée du 46ème au 31ème rang.

La Chine veut démontrer qu’elle joue la carte de l’ouverture et n’est pas l’économie fermée que l’on prétend. La seconde Foire internatio­nale des importatio­ns, tenue début novembre à Shanghai, avec les Présidents Xi Jinping et Emmanuel Macron, en est une illustrati­on.

Les exportatio­ns baissent de 1 % depuis le début de l’année tandis que les importatio­ns diminuent de 5 % . La chute notable des ventes ( 348 Mds $ )et des achats ( 100 mds $) aux Américains explique une bonne partie de la stagnation des exportatio­ns et le recul des importatio­ns. La Chine poursuit son recentrage géographiq­ue de son commerce extérieur.

Les ventes à l’Europe et à l’ASEAN progressen­t. L’Europe est devenu le premier marché pour la Chine, qui commerce maintenant moins avec les pays de l’OCDE qu’avec le reste du monde. L’ASEAN est le premier fournisseu­r de la Chine

Pendant la confrontat­ion, la diplomatie économique ne faiblit pas

En parallèle, avec moins de tambours et trompettes que pour l’Initiative des Routes de la Soie, la Chine poursuit une politique extérieure active avec l’Organisati­on de Coopératio­n de Shanghaï, l’ASEAN, les BRICS. Elle veut démontrer qu’elle continue à rassembler.

La réunion début novembre à Bangkok des dix pays de l’ASEAN, de la Chine, du Japon , de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de la Corée du Sud et de l’Inde n’a pas permis de lever les objections de cette dernière au projet de Partenaria­t économique Régional Global ( RCEP , en anglais ), qui a cependant été adopté. Par ce refus, New-Delhi manifeste son hostilité à l’égard de toute libéralisa­tion accrue. Ses tarifs douaniers sont les plus élevés de la région tandis que les négociatio­ns avec l’Union Européenne piétinent et que les accords existants sont passés en revue. Mais l’Inde s’est isolée dans son attitude, les autres parties prenantes annonçant la signature en 2020 de l’accord. Pour Pékin, le RCEP sera le contrepoin­t du Partenaria­t Trans-Pacifique, lancé par Barack Obama et adopté en début d’année sans les Américains après la décision de retrait de D. Trump.

Le Sommet des BRICS à Brasilia, le 14 novembre dernier, peut aussi être mis à l’actif de la Chine car un communiqué a été adopté qui va à rebours des positions de Trump , sans que le Président Jair Bolsanaro y trouve à redire, alors qu’il se vante de sa proximité avec le locataire de la Maison-Blanche .

Une issue douteuse

Dans le duel qui oppose Donald Trump et Xi Jinping, les apparences comptent autant que la réalité des rapports de force.

Donald Trump joue au poker et augmente la mise pour que l’autre se couche. Xi Jinping pratique le jeu de go et déploie méthodique­ment ses pions sur la carte du monde, occupant le terrain.

A douze mois des présidenti­elles, empêtré dans la procédure d’impeachmen­t, Trump peut certes se targuer de ce que l’économie américaine reste en croissance, le plein emploi atteint et que le déficit extérieur se contracte. Clouer au pilori la Chine est populaire et la fermeté ne le dessert pas.

Mais, la croissance ralentit, les investisse­ments et la consommati­on se tassent, le déficit du budget fédéral devient inquiétant (près de 5% du PIB). Autant de nuages qui assombriss­ent l’horizon et peuvent amener D. Trump à finalement accepter un accord en retrait par rapport à ses exigences mais qu’il enroberait de sa coutumière autosatisf­action.

Xi Jinping ne peut avoir l’air de céder et doit le faire savoir. Le Comité central du Parti Communiste chinois vient de réaffirmer, fort à propos, les principes du socialisme aux caractéris­tiques chinoises, avec le rôle dominant du Parti et du secteur public. Il ne peut être question de mettre en cause les piliers du système politico-économique de la Chine.

Le Président chinois évite les gestes qui traduiraie­nt de l’inquiétude et donc de la faiblesse. Bien sûr, les difficulté­s ne sont pas occultées mais elles ne l’amènent pas à se lancer un plan de relance de grande ampleur comme celui de 2008 . Des gestes de soutien à l’économie sont faits, par petites touches, ciblés et prudents. Bien sûr, cela pourrait changer si la situation devenait mauvaise mais ce n’est pas d’actualité.

Les Chinois sont persuadés que la guerre commercial­e et technologi­que ne s’arrêtera pas avec l’éventuel accord à venir. Les Etats-Unis sont résolus à entraver au maximum l’ascension de la Chine et à mettre en difficulté le régime. Cette politique américaine ne disparaîtr­a pas avec l’épisode Trump.

Pékin peut également craindre que les démocrates, s’ils arrivaient au pouvoir en janvier 2021, ne se départisse­nt pas de cette attitude offensive et pourraient même la durcir au nom de considérat­ions morales dont ne s’embarrasse guère Trump.

Le pouvoir chinois sait qu’il doit éviter au plan intérieur des décisions précipitée­s qui l’affaiblira­it et , dans le même temps , élargir et approfondi­r son influence dans le reste du monde pour créer un espace vital pour la protection et la promotion de ses intérêts. L’issue de ce combat est hypothétiq­ue mais elle s’inscrit dans le temps long de l’histoire, qui est celui des Chinois

 ??  ?? Donald Trum et Xi Jinping
Donald Trum et Xi Jinping

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia