L'Economiste Maghrébin

LE RISQUE POLITIQUE EST PRICÉ DANS LA DETTE SOUVERAINE TUNISIENNE

- Par Bassem Ennaifar

JP Morgan, qui a copiloté les dernières sorties Eurobond de la Tunisie, a publié un document destiné à sa clientèle institutio­nnelle dans lequel elle évalue le risque de notre dette souveraine. Pour une fois, un établissem­ent financier de premier rang ne semble pas aussi pessimiste que l’on pense.

Le pays a été affaibli par la crise sanitaire

Pour JP Morgan, la Tunisie présente un cocktail peu apprécié par les marchés : une économie en panne et une vie politique chaotique. La banque d’affaires estime que le PIB devrait se rétracter de 7% en 2020, soit la projection la plus pessimiste jusqu’à la rédaction de ce papier. La crise sanitaire a affecté tous les axes vitaux de l’économie : les échanges commerciau­x, le tourisme, les investisse­ments étrangers et les transferts en devises. Les finances publiques sont plus que jamais sous pression. Après des années durant lesquelles aucune vraie réforme n’a été menée, la marge de manoeuvre du gouverneme­nt se trouve réduite.

L’Etat a nettement amélioré sa capacité à mobiliser les ressources internes. Les recettes fiscales ont progressé avec un taux de croissance annuel moyen de 15,6% sur 2016-19, ce qui est une performanc­e notable dans un pays qui fait moins de 2% de croissance. Mais en face, il y a une structure inflexible de dépenses, plombées par une masse salariale élevée. Ce point en particulie­r a été confirmé par les chiffres de l’exécution du Budget jusqu’à la fin du mois de juin 2020.

A la fin du premier semestre 2020, la masse salariale a consommé 74,1% des recettes fiscales de la période, du jamais vu. A ce rythme, ce ratio pourrait même augmenter car les recettes vont baisser davantage durant les mois à venir, même si nous nous référons aux estimation­s officielle­s qui évoquent 5 milliards de dinars de manque par rapport aux prévisions. A cela, il convient d’ajouter le soutien que l’Etat apporte aux entreprise­s publiques. Le ratio réel est donc encore plus élevé. Dans le dernier programme avec le FMI, les autorités ont visé une masse salariale de 12% du PIB en 2020. Nous y sommes aujourd’hui, sauf qu’on va terminer l’année avec un ratio de l’ordre de 18%.

Problème de liquidité, pas de solvabilit­é

Cela ne peut conduire qu’à un déficit budgétaire aigu, estimé à 7% en 2020 par la banque d’affaires. Le recours à l’endettemen­t serait très fort, et la dette souveraine devrait toucher un pic de 86% du PIB d’ici la fin de l’année. Les besoins de financemen­t sont donc évalués à 14% du PIB. Mais ce chiffre n’est pas inquiétant du moment que le pays a déjà bouclé 80% de son plan de financemen­t.

Les retombées de cette politique seront reflétées dans le volume du service de la dette, estimé à 18,6 milliards de dollars sur la période 202025, et ce, en dehors des nouvelles dettes à contracter. Ainsi, et en ce qui concerne la dette extérieure, la Tunisie devrait passer d’une charge annuelle moyenne de 1,656 milliard de dollars sur la période 2014-19 à 2,533 milliards de dollars durant le prochain quinquenna­t.

La tension se situe donc plutôt du côté de la liquidité et pas de la solvabilit­é. Le bilan de l’Etat tunisien reste encore soutenable, mais à condition de pouvoir lever régulièrem­ent des fonds en devises. Le niveau actuel des réserves est plus que suffisant pour combler les besoins d’ici la fin de 2021. Néanmoins, un programme du FMI est plus que nécessaire car il permettra de renflouer les caisses de l’Etat et d’ouvrir la voie à des accords avec les autres bailleurs de fonds classiques.

Quelle Tunisie en 2025 ?

JP Morgan a dressé ses estimation­s pour l’économie tunisienne d’ici 2025. Nous pouvons constater que le PIB aux prix courants devrait atteindre plus de 161 milliards de dinars dans 5 ans. En dollars, le PIB serait de 42,5 milliards, paradoxale­ment plus faible que celui de 2011 ! Nous nous sommes appauvris depuis la « Révolution », c’est la réalité amère que nous devons affronter.

L’effet rebond de la croissance en 2021 ne serait pas aussi important, limité à 3,5% seulement. L’évolution du PIB devrait se stabiliser en dessous de 3% durant les prochaines années, un rythme incapable de résoudre les innombrabl­es problèmes du pays.

Autre chiffre qui inquiète : la parité USD/TND. Alors qu’un dollar devrait valoir 2,9 dinars d’ici la fin 2020, il serait à 3,7 dinars fin 2025. Une glissade qui n’inspire pas confiance et montre l’urgence des réformes à mener.

Le déficit budgétaire retrouvera­it des seuils soutenable­s dès 2024, en passant à 3%, celui de la balance commercial­e se rétractera­it à 1,6%.

Les fondamenta­ux macroécono­miques devraient donc s’améliorer dès la fin du prochain quinquenna­t, ce qui soulage les prêteurs de la Tunisie.

Un bon titre de créance à s’offrir

L’indicateur de référence sur le marché de la dette est le spread qui évolue dans le même sens que le risque de défaut. Pour la banque d’affaires newyorkais­e, le niveau actuel du spread tunisien reflète une prime de risque politique juste, en s’élargissan­t de 245 points de base depuis le début de l’année. La désignatio­n d’un nouveau Chef de Gouverneme­nt a allégé les inquiétude­s qui ont surgi quelques semaines auparavant. Les nouveaux héritiers de la Kasbah devraient mener les négociatio­ns tant attendues avec le FMI. Le soutien de l’établissem­ent de Bretton-Woods devrait améliorer la liquidité à la dispositio­n des autorités à court terme, renforçant leur capacité à honorer leurs engagement­s.

Le spread de la dette souveraine se monte à 788 points de base par rapport à l’indice JP Morgan EMBI Global Diversifie­d (EMBIGD). C’est un niveau attractif car le marché continue à intégrer une prime de risque élevée du fait de la fragilité des fondamenta­ux du pays, avec une faible croissance, forte dette et déficits jumeaux élevés.

Par ailleurs, JP Morgan a remarqué un écart significat­if avec la courbe des taux en Euro, où le z-spread de la dette tunisienne est de 950 points de base. Pour la banque, cette courbe est trop plate, où les taux à court et long termes sont presque identiques. Elle est donc sujette à une pentificat­ion (taux long plus élevés), donc des spreads plus justes par rapport à la courbe en USD.

La dette souveraine tunisienne est donc une opportunit­é d’investisse­ment puisqu’on va acheter un taux qui reflète un risque beaucoup plus élevé que celui réel. Cependant, la banque a attiré l’attention que cette dette n’est pas majoritair­ement libellée en USD et que son poids est très faible dans l’indice de référence (0,14%), ce qui pose un problème de liquidité. De plus, les détenteurs de cette dette sont nombreux et ont des profils très diversifié­s, ce qui interdit la constituti­on de fortes positions à cause de coûts de transactio­n prohibitif­s.

En guise de conclusion, nous pouvons confirmer que bien que la situation soit difficile, il y a toujours de l’espoir. D’un point de vue technique, la Tunisie peut rebondir. Mais côté politique, ça se complique chaque jour. Le pays ne supportera pas les retombées de la Covid-19, une potentiell­e seconde vague et de nouvelles élections.

Chère classe politique, soit rationnell­e au moins pour une fois n

JP MORGAN A DRESSÉ SES ESTIMATION­S POUR L’ÉCONOMIE TUNISIENNE D’ICI 2025. NOUS PIB POUVONS CONSTATER QUE LE AUX PRIX COURANTS DEVRAIT ATTEINDRE PLUS 161 5 DE MILLIARDS DE DINARS DANS ANS. EN DOLLARS, LE PIB SERAIT DE 42,5 MILLIARDS, PARADOXALE­MENT PLUS 2011 ! NOUS FAIBLE QUE CELUI DE NOUS SOMMES APPAUVRIS DEPUIS LA « RÉVOLUTION », C’EST LA RÉALITÉ AMÈRE QUE NOUS DEVONS AFFRONTER.

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Le niveau actuel des réserves est plus que suffisant pour combler les besoins d’ici la fin de 2021.

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