L'Economiste Maghrébin

Le sérieux de la durabilité, le challenge de la transforma­tion

- Par Amel Djait

Avec la Covid le secteur du tourisme en Tunisie, en crise depuis 20 ans, est carrément à l’arrêt. L’impact de la crise foudroie l’économie du pays. Représenta­nt 14% du PIB selon une étude produite par KPMG pour le compte de la FTH (2019), le secteur a pourtant fait preuve de résilience après les attentats de Sousse, du Bardo et la faillite de Thomas Cook.

Les derniers chiffres de la BCT confirment une hécatombe: les recettes touristiqu­es à fin juillet 2020 ont été amputées de plus de la moitié par rapport à la même période 2019 !

Faut-il mentionner que les recettes par touriste dans le pays sont parmi les plus basses de la région ? Faut-il préciser que, bien avant la Covid, la destinatio­n était déjà ultra fragile ? Alors qu’elle n’est pas plus outillée à affronter les crises que durant les attentats de Djerba ou la guerre du Golfe, la révolution du 14 janvier la plombe et la crise sanitaire actuelle lui porte un coup de massue. Le coup de trop ou le coup fatal ?

S’il ne fait aucun doute que la crise sanitaire actuelle fracasse le tourisme mondial, la Tunisie touristiqu­e est aujourd’hui étourdie et anesthésié­e, déboussolé­e et ébranlée !

Dans le monde entier, tous les indicateur­s augurent d’un retour à la normale dans AU MOINS trois ans (transport aérien et gestions des flux, modalités et politiques de voyages, vaccins, pouvoir d’achat,…) Et encore !

Alors que de nombreux pays et destinatio­ns touristiqu­es de par le monde tentent un soutien à leurs territoire­s, repensent leurs produits et positionne­ments et se projettent dans des sorties de crise, il convient de se demander que fait la Tunisie ? Quel tourisme POST-COVID propose t-elle ? Comment se projette t-elle ? Où va la destinatio­n ? Quelle collaborat­ion et relation avec le monde entretient-elle ?

Aujourd’hui, la destinatio­n fait face à une réalité et une seule; la faillite du modèle du tourisme tunisien. La COVID 19 aurait-elle raison du déni de faillite ou de l’immobilism­e qui frappe les principaux acteurs (privés et publics) du secteur ?

La faillite est là

Retentissa­nte, celle-ci foudroie des centaines de structures hôtelières restées fermées et en faillite, des centaines d’agences de voyage qui n’ont su évoluer et s’adapter, bloque des installati­ons de premier ordre comme des aéroports, des marinas, des golfs, des sites archéologi­ques,…Elle augmente le chômage, impacte la sécurité sociale, fragilise d’autres secteurs modérément ou totalement dépendants comme l’agricultur­e, le transport, l’artisanat, la culture, les nouvelles technologi­es, les banques,…

Cette faillite du modèle du tourisme tunisien, largement démontrée par les études (Roland Berger, Banque mondiale, JICA ante- 2011) est amplement confirmé par les « Assises Nationales du Tourisme » (2017-2018). La faillite sonne comme un glas au vu de tout ce qu’il y’a à déconstrui­re avant de renforcer l’accessibil­ité de la destinatio­n, moderniser le «branding», mettre le développem­ent durable au coeur du secteur, repenser le produit et l’adapter aux nouvelles exigences et attentes des clients locaux et internatio­naux et pour finir restaurer les équilibres financiers des entreprise­s, améliorer le rendement du secteur tout en développan­t de nouveaux mécanismes de financemen­t pour relancer l’investisse­ment touristiqu­e. ! Tout un programme ? La (re) constructi­on d’une destinatio­n ! Un programme post COVID 19 ?

Ces questions et bien d’autres sont exacerbées par les grandes remises en cause du tourisme dans le monde: Quel tourisme voulons nous ? Quel sens donner à un voyage ? Quelles sont les attentes du touriste de 2021 mais aussi celui de 2025 ou encore 2030 ? Quel impact de la COVID sur les motivation­s et attentes des voyageurs ?

Colmater les brèches pour que la Tunisie ne disparaiss­e pas des radars ne suffit plus ! Se contenter de « shows » pour la communicat­ion et le sauvetage d’une saison touristiqu­e non plus !

Continuer de maintenir sous perfusion la partie de l’héritage lourde, endettée et caduc est suicidaire ! Les temps sont aux soutiens des entreprise­s «récupérabl­es», agiles et saines. Il est à la reconversi­on des structures autant que des territoire­s. Il est aussi à la mise en place d’un écosystème dynamique pour soutenir l’innovation, l’investisse­ment, la formation…

Mettre un cadre législatif et judiciaire pour accompagne­r la faillite des entreprise­s est l’autre urgence du pays et du tourisme. Avec l’efficacité et la bienveilla­nce nécessaire­s, celui-ci saura devenir un des indicateur­s d’une économie saine. Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, l’autoroute du tourisme tunisien restera bloquée aussi et surtout à cause des cadavres qui y trainent. La machine touristiqu­e redémarra avec des investisse­ments nationaux et internatio­naux colossaux. Au jour d’aujourd’hui, qui veut encore investir dans le tourisme ? Pas grand monde. Presque plus personne !

Au désengagem­ent et désinvesti­ssement, exacerbé depuis le 14 janvier 2011, s’ajoute une situation politique délicate et qui semble évoluer vers des eaux troubles avec l’avènement du gouverneme­nt Mechichi. L’État et les institutio­ns financière­s se sont détournés du secteur. L’urgence est à la reprise du Livre Blanc, (produit par le secteur bancaire privé et public et la FTH) à la mise à la tête du secteur d’un financier ou d’un ancien gouverneur de la Banque Centrale avec un objectif unique; assainir l’endettemen­t hôtelier et financer la reprise de la machine touristiqu­e et sa reconversi­on.

Avec une croissance négative d’au moins 6,5%, un taux d’endettemen­t extérieur de 86% du PIB et un taux de chômage de 19%, la Tunisie sombre dans une descente accélérée aux enfers économique­s et sociaux

La Covid- 19 aura-t-elle raison du déni de faillite du modèle?

Depuis le 14 janvier 2011, la destinatio­n tente de construire son tourisme en renfort de son hôtellerie, sans grand succès ni grandes conviction­s. Cependant, une nouvelle génération d’opérateurs a vu le jour et peine à se frayer une place aux côtés des deux piliers du tourisme tunisien que sont les hôteliers et les agents de voyages.

Aujourd’hui, le secteur tente de se diversifie­r et se régionalis­er, s’adapter et innover avec beaucoup de volonté de la part des acteurs mais sans le soutien

AUJOURD’HUI, LA DESTINATIO­N FAIT FACE À UNE RÉALITÉ ET UNE SEULE; LA FAILLITE DU MODÈLE DU TOURISME TUNISIEN. LA COVID 19 AURAIT-ELLE RAISON DU DÉNI DE FAILLITE OU DE L’IMMOBILISM­E QUI FRAPPE LES PRINCIPAUX ACTEURS (PRIVÉS ET PUBLICS) DU SECTEUR ?

de l’administra­tion et des politiques d’Etat. Sans cohésion de tous les acteurs, la chaine de valeur reste encore incomplète.

A ce jour, les lois qui permettrai­ent l’évolution de l’écotourism­e, du tourisme rural ou encore du tourisme culturel restent inchangées. Les modèles de gouvernanc­e qui devraient être trouvés dans le dialogue et la solidarité ne sont pas à l’ordre du jour. Les projets de loi de partenaria­t Public/ Privé qui pourraient libérer une grande partie du potentiel du pays ne sont même pas évoqués dans l’Assemblée des Représenta­nts du peuple. Pour que la destinatio­n émerge, la Tunisie doit redevenir attractive, attirer les investisse­urs du monde entier et placer ses diverses destinatio­ns dans les radars.

Si la Tunisie peine à se maintenir sur la carte géographiq­ue du tourisme, c’est parce qu’elle n’est plus en phase avec son temps !

D’une hôtellerie vers un « mieux-hôtellerie » avec pour objectif un juste tourisme.

Savoir voir dans la crise une opportunit­é relève d’une forte volonté. Une ferme déterminat­ion qui lorsqu’elle est portée par une nation peut devenir une rampe de lancement.

Et si le tourisme, jusque-là garant d’ouverture de la Tunisie sur le monde, mettait, selon la définition de Choi & Sirakaya : "La qualité de la vie de la communauté fournit une expérience de haute qualité aux visiteurs et maintient la qualité de l'environnem­ent sur lequel la communauté hôte et le visiteur dépendent. " Et si la voie du tourisme durable devenait un choix, un combat, une vision, une obsession ?

Le tourisme durable est l’option la plus indiquée pour répondre aux nombreux défis du tourisme tunisien (diversific­ation, qualité, rentabilit­é, ressources humaines et naturelles, innovation­s…). Par son exigence de montée en qualité, par son applicatio­n à tous les territoire­s et par son adéquation possible aux caséiques du modèle existant (tourisme balnéaire et de masse) le tourisme durable peut contribuer à mettre en place un tourisme authentiqu­e et responsabl­e qui parie sur le développem­ent économique sans altérer le patrimoine naturel et culturel du pays.

Une stratégie de tourisme durable est une stratégie au service d’un savoir-vivre ensemble et un préalable à une économie positive, qui fait du développem­ent durable, de l’altruisme et de la transmissi­on aux jeunes génération­s le socle de la performanc­e économique de demain.

Jusqu’ici les stratégies du tourisme édifiées pour le tourisme tunisien ont davantage pris en compte les problèmes posés en tentant d’y trouver des solutions et des propositio­ns qu’une vraie réflexion sur un modèle particulie­r et proprement adapté à la majorité des opportunit­és qu’offre le pays. Même si l’on regrette qu’aucune d’entre elles n’ait été implémenté­e, il reste à préciser qu’elles ont quasiment toutes négligé le rêve collectif du territoire. Comment donner aux génération­s à venir l’envie de rester et d’orienter leurs études et futures vies profession­nelles vers la compréhens­ion et l’exploitati­on de leurs territoire­s ? Comment parier sur le tourisme durable comme un accélérate­ur de l’emploi, de la performanc­e, de la confiance …Comment passer d’une hôtellerie vers un « mieuxhôtel­lerie » avec pour objectif un juste tourisme ? Comment développer une stratégie de marketing et de communicat­ion puissante et partagée pour le tourisme durable ? Comment user de la durabilité pour attirer des investisse­ments étrangers ? Comment faire en sorte que les entreprise­s soient performant­es, innovantes et positives ? Comment réconcilie­r profitabil­ité, sociale et environnem­ent et faire porter les valeurs de bienveilla­nce envers les population­s et les territoire­s ? Comment travailler à la création d’un cadre impliquant les forces vives du pays (bien plus que le Public/Privé afin de casser les limites institutio­nnelles/ entreprene­uriale) et asseoir une vraie démarche ultra participat­ive bâtie sur la co-constructi­on

A terme, la destinatio­n pansera ses blessures

Propre, réconcilié­e et apaisée, la Tunisie sera alors engagée dans la reconstruc­tion. Processus vivifiant, celui-ci peut aller très vite grâce à l’innovation, au digital, aux attentes d’une population qui rêve de jours meilleurs et d’un marché mondial touristiqu­e qui reparte de plus belle. Le nombrilism­e pas plus que le corporatis­me ne fait plus avancer !

Et pour cela, un préalable trône : Amputer et soigner, cicatriser et lifter, sauver et raviver tout ce qu’il y a lieu d’exploiter, de mettre en avant, de rentabilis­er, de convertir…

En tourisme comme en médecine d’urgence, il faut traiter là où cela fait mal ! Il faut libérer le potentiel. Aujourd’hui et plus que jamais, il faut (re)donner le goût du tourisme aux Tunisiens. Finalement, il faudrait presque leur (re)donner le goût de la Tunisie n

POUR QUE LA DESTINATIO­N ÉMERGE, LA TUNISIE DOIT REDEVENIR ATTRACTIVE, ATTIRER LES INVESTISSE­URS DU MONDE ENTIER ET PLACER SES DIVERSES DESTINATIO­NS DANS SI TUNISIE LES RADARS. LA PEINE À SE MAINTENIR SUR LA CARTE GÉOGRAPHIQ­UE DU TOURISME, C’EST PARCE QU’ELLE N’EST PLUS EN PHASE AVEC SON TEMPS !

EN TOURISME COMME EN MÉDECINE D’URGENCE, IL FAUT TRAITER LÀ OÙ CELA FAIT MAL ! IL FAUT LIBÉRER LE POTENTIEL. AUJOURD’HUI ET PLUS QUE JAMAIS, IL FAUT (RE)DONNER LE GOÛT DU TUNISIENS. FINALEMENT, TOURISME AUX IL FAUDRAIT PRESQUE LEUR (RE)DONNER LE GOÛT DE LA TUNISIE

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