ET, MONTÉ SUR LE FAÎTE, GHANNOUCHI N'ASPIRE PAS À DESCENDRE
Un coup de massue? Non, mais le coup de vieux politique que vient d'essuyer Rached Ghannouchi à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) est sans conteste. Le nombre de voix pour son éviction du Perchoir, cet été, est en augmentation par rapport au décompte des votes contre son élection, à l'automne dernier, à la présidence du Bardo.
Consultation aux multiples candidatures, la confiance qui l'avait porté, en novembre, avec 123 voix –dont celles, paradoxales…, d’opposants officiels– sur 217 n'est, certes, pas de même nature que la récente motion de défiance à son encontre. Reste que l'arithmétique est têtue: ses concurrents de novembre dernier avaient totalisé 84 votes en défaveur du candidat victorieux; cette foisci, les suffrages exprimés font monter les bulletins contre à 97. En dépit de la différence des modes de scrutin, treize voix de plus au débit du leader islamiste, c'est un coup de rabot à son siège présidentiel de député.
Son autorité à ce poste était d'ailleurs déjà branlante. Et pour cause, son métier exige de prendre de la hauteur, mais son inclination est volontiers partisane. A l'école, l'exemple caractéristique de l’antithèse est l’immortel vers de Corneille: «Et, monté sur le faîte, il aspire à descendre». Parvenu au sommet du Parlement, le plus mal-aimé des sondés est plutôt, à cet égard, un manoeuvrier qui en rabaisse la valeur des principes d'équité: président de l’ARP, il demeure également le patron de son parti, Ennahdha. Cette anomalie en démocratie est de son propre chef. Et cette présidence équivoque, dont celle du premier parti parlementaire, en somme cette confusion des genres présidentiels, pose un problème pas uniquement théorique, ni relevant seulement de la pratique quotidienne.
Il y a davantage à s'en faire. Devant constitutionnellement assurer l'intérim du chef de l’Etat en cas - à personne ne plaise - d’incapacité définitive du président Kaïs Saïed, une autre question est, sans parti pris, pendante: qui du président d'Ennahdha ou du Parlement ou des deux à la fois prendrait les rênes transitoires du palais de Carthage le temps, jusqu'à 90 jours, qu'ait lieu une élection présidentielle anticipée sans qu'il y concourt, ni ne s’immisce dans son organisation et son déroulement, qui sont du ressort exclusif –et constitutionnel– de l’ISIE?
En l'absence pérenne d'une Cour constitutionnelle, renvoyée dans une procrastination banalisée depuis cinq ans, l'interrogation est, humainement, d'actualité. Sauf si la démocratie venait à dépendre du bon plaisir du monarque parlementariste d'une formation politique aux atours démocrates des conciliabules secrets de son Majlis Choura et dont il prétend, sans rire, avec à peine un quart des sièges de députés, qu’il s’agirait de la colonne vertébrale de la Tunisie.
Séparer les pouvoirs, cela demeure un dilemme cornélien
Le doute est d'ores et déjà permis sur sa neutralité requise en des circonstances d'une élection présidentielle exceptionnelle. A peine installé dans son fauteuil dominant l’Hémicycle, Ghannouchi s'est en effet présenté comme désormais le président de tous (sic) les Tunisiens. Et a agi comme tel en s'arrogeant anticonstitutionnellement des compétences diplomatiques. C'est en l'occurrence ignorer qu’une majorité de députés ne transmettent en aucun cas leurs qualités d’élus de la Nation par une sommation majoritaire dont le bénéficiaire prétendu deviendrait de facto l’Elu suprême: le raisonnement est controuvé, et traduit une mésinterprétation –autoritariste– du régime de séparation des pouvoirs, qui est ¬–laborieusement– le nôtre. A moins que, après le Parti-Etat de naguère, on ne veuille instaurer un Parti-Parlement, puis derechef un Parti-Etat, le tout dans un sempiternel consensus pluri-partisan de façade? Avec quelles compétences, au demeurant?
Habib Bourguiba, après le choix d'un texte constitutionnel post-beylical établi pour fonder des institutions modernes, mais modifié par l’établissement d’une «présidence à vie», n'allait pas tout à fait réchapper au péril de toujours. Mais il l'avait auparavant résumé lors de la promulgation de la Constitution du 1er juin 1959. Il relate ce jour-là ce qui s'était produit du temps des premiers Califes: «Tout dépendait des attitudes personnelles et des qualités morales des responsables. Les seules limites de leur pouvoir découlaient des prescriptions de la religion. Cela pour la compétence. Pour la durée, ils étaient investis à vie. Seule la mort mettait fin à leur mandat. Ils pouvaient vieillir, devenir incapables d’assumer le pouvoir et tomber sous la coupe d'un entourage de courtisans et de créatures. C’était l’impasse, sans aucun moyen d'en sortir. La curée s’organisait».
Cet enseignement historique est-il de nos jours suffisamment intégré? Chez les hommes et les femmes obsessionnellement pétris d’intérêts particuliers allant contre l'intérêt général, opter au contraire pour une transition démocratique efficace et, donc, séparer les pouvoirs, cela demeure un dilemme cornélien, autrement dit ces situations où il est extrêmement difficile de choisir entre ce que poussent à faire les sentiments et ce qu'impose la raison. La difficulté de former un gouvernement stable en témoigne, de surcroît.
Faut-il, malgré tout, parier sur un Ghannouchi, au faîte de sa carrière à un âge canonique, qui dialectise enfin une synthèse démocratique de ses actions politiques? Au regard de ses penchants structurels pour l’internationalisme panislamiste et ses visées hégémoniques, notamment en Libye voisine, il est permis de s'en méfier, en permanencen