LES PIEDS NICKELÉS
Le comble de l’irrévérence dans le langage militaire est de dire que tel général est capable de gagner la dernière guerre. Cela veut dire qu’il ne faut surtout pas confier à celui-ci le commandement du prochain conflit. Il serait capable d’opposer des arbalètes à des missiles, sous prétexte que les arbalètes sont plus faciles à transporter. L’histoire du monde, et du monde arabe face à Israël, est pleine de ces mésaventures dont résultent les plus grandes manifestations de désespoir, et rarement de remise en cause conséquente.
C’est peu dire que la scène politique tunisienne est pleine de généraux capables de discourir sur le bonheur infini qu’il y aura à les installer aux affaires. Le stéréotype consiste à évoquer « l’armée mexicaine », sauf que les Mexicains sont probablement revenus de ces illusions. Quelques-uns de nos galonnés de la politique ferraillent sec à l’ARP, avec les dégâts que tout le monde connaît. Mais il y en d’autres, beaucoup d’autres, qui ont créé des partis, juste pour retirer des subsides du contribuable et avoir, de temps à autre, le plaisir très équivoque, de parader dans des médias déboussolés par le nombre d’ayants démocratiquement droit à la parole. Au final, il y a tellement de généraux que le pays est incapable de former une petite équipe pour gérer les affaires de l’Etat, quand ce dernier en a vraiment grand besoin. Le dernier des candidats à la sélection de l’équipe nationale gouvernementale, Méchichi, aurait plutôt besoin de soldats de terrain jonché de champs de mines.
Les chiffres avancés sur le recul économique doivent suffire à convaincre qu’il y a péril en la demeure. Manifestement, ce n’est pas le cas, tout particulièrement pour la classe politique en charge des affaires. La pandémie de coronavirus n’explique pas tout et fait oublier ou presque que le monde ne tourne pas avec des paroles et des querelles de clocher. Les mêmes querelles, avec certes la manne pétrolière en plus, créent les conditions suffisantes à la guerre en Libye, c’est-à-dire à nos frontières. D’ailleurs, chez nous et à quelques encablures de ces frontières, le mot d’ordre est « ne rien céder, ne rien pomper ». Des politiques au courage incommensurable attisent les foules dans une campagne d’irrédentisme qui ressemble à s’y méprendre à un suicide collectif. Les pieds nickelés qui se prévalent au besoin de la « révolution » n’en démordent pas : leur victoire « finale » sera annoncée quand le ciel nous tombera sur la tête, notre tête à tous bien entendu.
Ils ne sont pas les seuls, et c’est bien là le drame. Au jeu de massacre, on se bouscule au portail. Les pieds nickelés peuvent parfois laisser la place aux frères Dalton, avec cette différence qu’il n’y a plus grand-chose à voler dans les banques livrées aux pillages systématiques. On voit bien que les Dalton sont bousculés aux fesses par le « Lucky Luke » de Carthage, mais nos daltons sont aussi daltoniens en plus de constituer au final de petites frappes. Dans le drame libanais le plus récent, ce pillage systématique n’est pas étranger au délabrement de l’Etat face à la loi des communautés. Il y a certes ce qui relève de l’accidentel dans la tragédie du port de Beyrouth, mais il y a surtout ce qui relève du criminel dans un pays où se côtoient les richesses les plus obscènes et la pauvreté la plus inhumaine. La Tunisie n’est certainement pas le Liban, mais il y a des schémas de pensée qui y font penser avec force, surtout quand la puissance publique abandonne le terrain du citoyen pour se consacrer au partage des gains.
La version tunisienne des dessins animés ne fait même plus sourire puisque les grands garçons qui jouent à la PlayStation à longueur d’année s’affadissent au salon où l’on cause sans guère se soucier du temps qu’il fait dehors. Tout juste à côté, on joue à Star Wars, avec balles réelles s’il vous plaît, quand nous refaisons avec constance la guerre des boutons.
Les grands enfants se complaisent à se mousser avec le feuilleton ressassé des compositions gouvernementales. Lucky Luke, lui, multiplie les annonces d’incendies à tous les étages, manifestement sans résultats tangibles. Il dérange probablement, mais comment empêcher de grands enfants de se prendre pour les héros des temps modernes, munis chacun de sa lampe magique et donc menaçant de faire sortir son « oracle » de la boîte ? Personne ne dit comment il compte remettre le pays au travail ; encore moins remettre du lubrifiant dans la machine économique complètement patraque. Chez les pieds nickelés aussi les grands dadais font et refont le monde au gré des enfantillages qu’ils érigent en pétitions de principe « géniales ». Les habitués de ces fictions connaissent les résultats, inutile de faire un dessin.
Parmi les résultats prévisibles il y a les faillites. Les faillites politiques, c’est déjà fait. Mais il y a surtout les faillites économiques et financières. A en croire le président actuel de l’ARP, l’Etat en faillite avancée n’aurait pratiquement plus de quoi payer les salaires et les pensions. Le Gouverneur de la Banque centrale l’a vite repris pour dire qu’il y en a encore pour trois mois. Mais tous les deux sont au fond d’accord sur la même réalité peu reluisante. Ce n’est pas encore le Liban, mais les politiques font ce qu’il faut pour y arriver au plus tôt. Dans le jeu de Monopoly, un coup de dé peut mener à dévaliser la banque ou à ouvrir les portes de la prison. Dans les deux cas, les pieds nickelés n’ont aucune chance de devenir de vrais héros n