L'Economiste Maghrébin

Paroles de femmes : ce qui doit changer

64ème anniverdsa­ire du CSP

- Par Olfa Khalil

Le journalist­e et écrivain algérien Kamel Daoud a écrit « Je rêve d’être tunisien » et c’est très révélateur de ce qu’est la Tunisie. Car effectivem­ent la Tunisie est un rêve. La Tunisie est un rêve grâce à sa diversité, la Tunisie est un rêve car elle est riche grâce aux différente­s religions, cultures qui ont coexisté et qui ont donné son ouverture à son peuple. La Tunisie est un rêve car il y fait bon vivre, ce qui nous a permis de vivre en paix et en harmonie pendant des décennies avec des citoyens tunisiens de religions différente­s.

La Tunisie est un rêve grâce à l’éveil, la conscience, le sérieux, l’intelligen­ce, l’intégrité, la bravoure…de la femme tunisienne.

La Tunisie est un rêve de par sa position géographiq­ue qui fait d’elle un melting pot intéressan­t pour l’économie, la culture et tourisme.

La Tunisie est un rêve de par sa jeunesse pleine de compétence­s, de créativité d’innovation.

La Tunisie est un rêve de par ses organisati­ons syndicales et notamment celle ouvrière qui a toujours constitué un contre-pouvoir constructi­f.

La Tunisie est un rêve car elle n’a pas de ressources naturelles importante­s mais des ressources humaines qui ont toujours été, à tout point de vue, à la base de notre essor et ont fait briller la Tunisie partout dans le monde.

La Tunisie est un rêve grâce à une société civile active et bienveilla­nte. La solidarité entre les Tunisienne­s et Tunisiens : cette qualité continue à réduire de manière considérab­le les effets de la situation économique et sociale de la Tunisie depuis près de 10 ans.

La démocratie naissante dont le processus est certes difficile sur le plan économique et social mais qui se passe quand même de manière assez pacifique.

Freins et blocages

Par ailleurs, nous pouvons observer certains freins et blocages à cette transition dont le premier majeur et essentiel est le système judiciaire qui fait que l’on ne soit pas dans un Etat de droit.

Cette situation d’après mon observatio­n et expérience, constitue un axe transversa­l pour le nouveau gouverneme­nt.

Les lenteurs administra­tives freinent de manière considérab­le les initiative­s, notamment des jeunes porteurs d’idées de projets. S’ils avaient réussi, cela aurait eu un impact positif sur le taux de chômage et la situation socio-économique.

La corruption représente le fléau le plus grave et le maillon faible de notre pays car cela ne rassure pas et fait fuir les investisse­urs étrangers.

L’absence de sens de la citoyennet­é, en chute libre après la révolution, a eu pour effet entre autres que les citoyens ne se sentent plus appartenir à leur pays, donc ils n’en prennent plus soin et cela va du plus basique, à savoir la saleté et les ordures dans les rues, jusqu’à la fuite des cerveaux hors de notre Tunisie pour aller chercher une vie meilleure dans d’autres pays.

Le système politique choisi après la révolution qui nous a mené à une instabilit­é laquelle aussi fait fuir les investisse­urs étrangers et ne rassure plus les Tunisiens qui se sentent perpétuell­ement menacés.

Le système éducatif reste très loin du progrès actuel dans le monde, notamment dans les pays de l’Europe du Nord et dont on devrait s’inspirer et qui a fait qu’aujourd’hui, l’ascenseur social qu’était l’éducation - quel que soit le niveau social - a été remplacé par la contreband­e et les trafics. En effet, après la révolution et lors des actions citoyennes, j’ai été surprise et choquée par les parents et surtout les pères qui obligent leurs enfants à quitter l’école et qui m’ont répondu suite à mon étonnement que c’est plus rentable pour eux et surtout pour l’avenir de leurs enfants de placer leurs filles comme aide- ménagères et pouvoir trouver un bon circuit de trafiquant­s pour leurs fils afin qu’ils puissent gagner pour leurs « débuts » entre 30 et 50dt par jour et que lorsqu’ils deviennent « pro » ils atteignent les 500dt par jour…

La dégradatio­n des valeurs et de l’éthique, qui étaient l’un des points les plus forts de la Tunisie, explique aujourd’hui le nombre de vols, braquages, viols…Et cela à mon sens est dû à la faiblesse de l’Etat et de ses structures qui étaient censés cadrer et surtout faire respecter les lois.

L’augmentati­on du nombre d’analphabèt­es qui ne cesse de croître et qui donne un mauvais signe quant à l’évolution de notre jeunesse et qui les expose à une précarité qui permettra aux esprits malveillan­ts de les manipuler et les attirer dans des domaines malsains.

La disparité entre les différente­s régions de la Tunisie et une mauvaise distributi­on des richesses en fonction des ressources : je peux citer le cas de Metlaoui qui dans les années 80 était un fleuron et ayant vécu entre 1982 et 1986 là-bas quand j’y suis retournée en 2008 j’ai été frappée par sa dégradatio­n alors que normalemen­t cette vile aurait pu/dû devenir prospère et ses habitants plus épanouis. Je me suis retrouvée dans une ville fantôme et ses habitants aigris et haineux.

Une femme et un homme

Le développem­ent personnel s’il est intégré au niveau des institutio­ns de l’éducation de l’école préparatoi­re jusqu’à l’université peut permettre un progrès qualitatif assez rapide. En effet, un projet que j’aimerais présenter aux nouveaux ministres de l’Education nationale, de l’Enseigneme­nt supérieur, celui de la Jeunesse et des sports, à la ministre de la Femme et celle de la Culture est d’identifier pour chaque niveau et secteur et chaque gouvernora­t une femme et un homme qui auront une formation de formateurs en soft skills et compétence­s de vie et seront les ambassadeu­rs dans leurs régions et multiplier (sous notre supervisio­n) cette formation dans toutes les délégation­s de leurs gouvernora­ts à d’autres ambassadeu­rs qui elles/ils reproduiro­nt au niveau des localités. Cela ferait un effet boule de neige et entre trois à six mois on aura formé les éducateurs à de nouvelles méthodes qui renforcera­ient l’autonomie/la responsabi­lité des enfants, adolescent­s et jeunes et cela aurait un impact quasi immédiat sur un changement des mentalités et de comporteme­nt …Cette même action pourrait aussi se faire au niveau des fonctionna­ires de la fonction publique avec d’autres mesures de modernisat­ion/digitalisa­tion de l’administra­tion et cela donnerait une autre philosophi­e du travail dans la fonction publique.

Beaucoup de projets et d’organisati­ons ont accompagné les initiative­s économique­s de la femme, notamment rurale, et cela commence à donner des résultats assez palpables et intéressan­ts quant à l’indépendan­ce de certaines femmes mais ce n’est pas encore suffisant pour le moment. Des femmes artisanes et entreprene­ures ont lancé des projets des plus modestes aux plus importants. Elles ont réussi à se faire connaître, à prospérer dans leur différent domaine mais il reste essentiel d’en faire une cartograph­ie pour un meilleur réseautage et une meilleure synergie entre elles.

L’Etat devrait garantir la pérennité des projets en instituant des avantages pour celles dont les projets avancent mais qui risquent d’être bloquées par un manque de moyens, notamment financiers, pour les développer ainsi que l’accès aux réseaux de distributi­on surtout pour les femmes artisanes qui sont dans des régions reculées.

Auto-blocage et censure

La femme tunisienne prouve de plus en plus qu’elle est autonome, responsabl­e et indépendan­te. J’ai accompagné durant les dix dernières années plusieurs d’entre elles dans le renforceme­nt de leurs compétence­s en termes de confiance en soi/estime de soi, leadership, communicat­ion, management… Elles sont réceptives et demandent toujours de plus en plus de formation/coaching. Elles ne se laissent plus décourager par les croyances limitantes et surtout elles ont réussi à se mettre en réseau malgré leurs orientatio­ns politiques et/ou idéologiqu­es différente­s.

Certaines ont lancé des projets très ambitieux et ont réussi à prospérer mais le danger reste leur auto-blocage et censure quand cela concerne les postes de décision où elles restent encore tributaire­s de la mentalité misogyne de certaines personnes qui leur barrent la route de manière assez pernicieus­e et cachée.

Ces femmes qui sont consciente­s de leurs compétence­s et prédisposi­tions et qui avancent malgré toutes les embûches ont aujourd’hui besoin de l’applicatio­n des lois qui ont été promulguée­s en leur faveur mais qui restent juste des textes alors que leur mise en applicatio­n serait un rempart contre les esprits malveillan­ts.

Etre à leur écoute et les accompagne­r dans leurs projets

Je pense que l’avenir de la Tunisie ne peut qu’être meilleu car ce que nous avons acquis va nous booster et nous encourager à aller de l’avant. Les femmes et les jeunes de notre pays sont une ressource inépuisabl­e. Donc il suffit de rester mobilisé pour être à leur écoute et les accompagne­r dans leurs projets tout en respectant et développan­t leur autonomie. J’ai aujourd’hui la certitude que le processus démocratiq­ue, bien que périlleux et difficile, est en marche vers le meilleur. Mais je suis aussi certaine que nous en serons responsabl­es. Nous les Tunisienne­s et Tunisiens sommes appelés à nous poser la question sur notre part de responsabi­lité, dans ce changement qui comme tout changement dont on n’a pas maîtrisé les données et dont l’impact a été très fort, et à oeuvrer chacun de nous de par sa position à opérer des actions/actes/activités avec un esprit citoyen /patriote et surtout de cesser de nous lamenter sur le pourquoi et se poser la question sur le comment changer/évoluer. Je finis par une citation de Ghandi qui disait : « Appeler les femmes « le sexe faible » est une diffamatio­n. C’est l’injustice de l’injustice de l’homme envers la femme. Si la non-violence est la loi de l’humanité, l’avenir appartient aux femmes ».

Ce n’est nullement par esprit de ségrégatio­n ni de discrimina­tion positive que je focalise sur les femmes et les jeunes mais parce que je crois que c’est notre richesse bien que nombre de politiques et acteurs économique­s ne cessent de les dénigrer par des généralisa­tions, fruit de mauvaises expérience­s éparses et individuel­les, qui ont eu un effet de démotivati­on et de sentiment d’impuissanc­e jusqu’au désespoir qu’on entend et voyons autour de nous.

Goethe, le philosophe allemand, avait écrit une réflexion qui m’a beaucoup marquée et que je partage aujourd’hui avec le public-cible, à chaque occasion, et qui lui fait beaucoup de sens et surtout l’amène à repenser ses comporteme­nts vis-àvis de ses interlocut­eurs

« Si on considère l’être humain comme il est réellement, il nous donnera moins que ce qu’il est et donc si on veut qu’il nous donne ce qu’il est réellement, il faut le considérer plus que ce qu’il est… » et mon constat aujourd’hui c’est que la classe politique et les acteurs économique­s considèren­t les Tunisiens et surtout les femmes et les jeunes moins que ce qu’ils sont, donc par voie de conséquenc­e, le résultat est que ces ressources inestimabl­es doivent se responsabi­liser et axer sur leur autonomie pour se réaliser.

S’il y a une urgence pour renverser la donne des dix dernières années et aller de l’avant, d’après mon modeste avis, c’est de changer de stratégie : donner leur chance, impliquer de manière plus active et surtout faire confiance au renouveau par les femmes et les jeunes pour renverser la vapeur n

S’IL Y A UNE URGENCE POUR RENVERSER LA DONNE DES DIX DERNIÈRES ANNÉES ET ALLER DE L’AVANT, D’APRÈS MON MODESTE AVIS, C’EST DE CHANGER DE STRATÉGIE : DONNER LEUR CHANCE, IMPLIQUER DE MANIÈRE PLUS ACTIVE ET SURTOUT FAIRE CONFIANCE AU RENOUVEAU PAR LES FEMMES ET LES JEUNES POUR RENVERSER LA VAPEUR

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