Donald Trump , l’indifférence au monde
Sauf si Donald Trump parvient à retarder le scrutin (après l'avoir laissé entendre, il s'est rétracté devant les protestations générales ), les Américains auront voté dans dix semaines pour leur Président. Donald Trump a vu sa cote fléchir dans les sondages, mais il serait risqué de le considérer comme hors course.
Le système électoral, les contre-vérités en rafale de tweets, les faiblesses du candidat Joe Biden et les multiples manipulations qui entoureront le scrutin du mardi 3 novembre peuvent lui permettre de sortir victorieux de ces urnes. Certains vont même jusqu'à craindre qu'il refuse la défaite et mette en péril le fonctionnement de la démocratie américaine.
Trump en campagne, tambour battant
Donald Trump continue à faire flèche de tout bois, en injuriant son concurrent (paresse, déficience mentale…), en flattant les instincts de son électorat, en grossissant outrancièrement son bilan.
Pour faire oublier sa gestion calamiteuse du Covid- 9, il intensifie les attaques contre la Chine, élargissant le champ des griefs, aidé en cela par son secrétaire d’État, Mike Pompeo, qui lui apporte le complément idéologique qui lui fait défaut. Les alliés ne sont pas épargnés par les injonctions, menaces, mesures unilatérales, reniements. Le leadership est un mot qui n'appartient pas au vocabulaire de l'homme d'affaires pour qui seuls les rapports de force comptent.
Le monde le sait et s'organise sans lui. Cette tentative de reconstruction d'un ordre mondial sans les États-Unis est naturellement difficile voire artificielle, compte tenu du poids de l'Amérique, des fractures qui traversent la planète, de l'ignorance dans laquelle nous sommes quant au prochain Président américain.
Donald Trump réélu, on le voit mal changer de comportement et essayer de laisser dans l'histoire américaine une trace positive.
Son tempérament et sa psychologie le lui interdisent. Les ouvrages récents de sa nièce et de son ancien Conseiller à la Sécurité, John Bolton, sont particulièrement éclairants et désolants à ce sujet.
Pour l'heure, il met les bouchées doubles pour couper les ponts avec Pékin et contraindre les pays tiers à s’aligner. Il pense que c’est électoralement payant. Il a réussi à polariser les débats électoraux autour de la Chine, amenant les démocrates à surenchérir. Le sentiment anti-chinois s'est considérablement renforcé ces dernières années, attisant en retour le nationalisme chinois et permettant ainsi aux dirigeants de Pékin de se montrer plus offensifs au plan intérieur (Hong Kong,Ouighours, surveillance électronique...), tout comme en mer de Chine ou vis-à-vis de Taïwan.
Un point de non-retour sera- t- il atteint ?
Une présidence Biden hériterait d’un tel climat et d'une situation économique bien dégradée Le président Obamadont Joe Biden était le vice président- avait tenté un « reset », un nouveau départ, avec les différentes parties du monde après la calamiteuse présidence Bush fils. Cette tentative n'a guère réussi et Barack Obama qui a préféré se tenir à l’arrière de la scène.
La tentation de Washington de prendre du champ à l'égard du monde et de ses zones de tensions ne devrait pas disparaître. Cette tentation est pourtant antinomique avec la volonté de Washington de conserver à tout prix la suprématie mondiale, condition de sa sécurité et de son autonomie.
Même si les États-Unis demeurent inégalés dans la plupart des domaines, des craquements se font entendre, des fissures s’élargissent. Le monopole américain de l’hyperpuissance est attaqué. La crise économique, qui accompagne la crise sanitaire, continue à déployer ses effets et met la planète sur une orbite jusqu'alors inconnue.
Une économie chinoise qui redémarre et se régionalise
Il est bien difficile de prévoir comment l'économie mondiale va se comporter dans les mois à venir. Incertitude sur la poursuite de la propagation du virus et de la date de découverte du vaccin, comportement psychologique difficilement prévisible des populations, efficacité des politiques économiques mises en place sont autant de paramètres qui échappent à l’économétrie et affaiblissent toute projection.
Jusqu’à présent, le pire a été évité. Les marchés des capitaux sont loin d'être dépressifs et même exubérants grâce aux liquidités qui circulent. Les plans de relance se succèdent.
Phénomènes éphémères, rattrapage sans suite, effets piscine ou redressement durable ?
A lire les pronostics économiques, s’il n’est jamais sûr, le pire est probable. Les situations sont bien différentes selon les Etats., les régions. La Chine, première touchée, est la première à se rétablir. Si la consommation intérieure n'a pas encore retrouvé
les niveaux pré-crise, les exportations reprennent des couleurs : + 7,2 % en juillet. L’indice PMI, qui reflète les anticipations d’achat des entreprises, n'a jamais été aussi haut depuis 10 ans. L’optimisme reprend au plan de l’économie intérieure. Les importations chinoises régressent mais cela affecte surtout les pays de l'OCDE, les ventes à l’ASEAN croissent depuis le début de l’année ( +4,3%).
Cette régionalisation des échanges est une tendance lourde. Elle permet à la Chine d'atténuer l'impact des mesures américaines. Elle montre les limites de ce que Washington peut s’attendre des autres comme soutien dans son combat économique contre la Chine.
Une économie américaine à la traîne
La chronologie du virus fait que les États-Unis ont été atteints plus tard et la contamination s'y développe maintenant encore avec vigueur. Des plans de soutien sont mis en place non sans froissements politiques.
Le Président Trump vient de prendre une série de décrets présidentiels pour sortir de l’impasse parlementaire. Il est vrai que l’envie était forte d'imputer les retards de l’adoption du second plan de relance aux Démocrates, majoritaires à la Chambre des Représentants.
Les chiffres en cause sont gigantesques, avec comme unité de compte le millier de milliards de dollars. Après avoir atteint des sommets, le chômage a baissé mais reste supérieur à 12 %. Il plafonne à ce taux pour les États-Unis historiquement très élevé, inconnu depuis la grande crise de 1929.
Presque par réflexe, le Président américain vient d'annoncer de nouvelles hausses de tarifs douaniers à l'encontre du Canada, de l'Union Européenne ainsi que des mesures de préférence nationale pour certains produits. Les pays visés ont menacé de réagir et se sont mis d’accord pour pallier le blocage américain de l'Organe de Règlement des Différends de l’OMC , sur la mise en place d'une formule alternative qui regroupe déjà une cinquantaine de pays dont la Chine.
De telles mesures protectionnistes apparaissent une nouvelle fois inopérantes, si ce n’est à contribuer à dégrader un peu plus un climat économique international déjà bien lourd. Celles prises ces trois dernières années par Donald Trump n'ont pas permis de corriger les déséquilibres de la balance commerciale américaine qui ne s’écarte guère de celui observé en 2017 et 2018.
Avec la Chine, le déficit du premier semestre 2020, un peu supérieur à 30 milliards de dollars, est inférieur aux 40 milliards d’un an plutôt, du fait de la baisse des importations.
Le déficit vis-à-vis de la Chine représente un tiers du déficit global américain contre 40 % un an plutôt. Mais, ceci ne change pas le déficit global car d’autres pays se sont substitués à la Chine pour approvisionner une Amérique dont la production ne parvient pas à satisfaire la consommation, faute d’une épargne insuffisante.
Les objectifs d’exportations américaines vers la Chine, fixés bilatéralement en janvier dernier, sont en passe de ne pas être tenus : un peu plus de 50 milliards de dollars en six mois pour 172 prévus.
À noter qu'en juillet, les exportations chinoises vers les États-Unis ont même bondi de 12,5 % tandis que les ventes américaine régressaient de 16,5 % d'une année sur l'autre.
C'est dire que la visioconférence du 15 août entre le vicePremier Ministre Liu He et l'Américain Lighthizer risque d'être tendue. Mais le représentant pour le commerce pourra-t-il se plaindre alors que les mesures américaines visant à couper la Chine des technologies les plus récentes se sont multipliées ces dernières semaines ?
Ces mesures ne manquent pas d’affaiblir la Chine et ses entreprises du numérique mais elle l'amène à accélérer ses efforts pour atteindre l'indépendance technologique.
Une illustration en est la montée en puissance des dépenses de R/D, l'encouragement au secteur privé de créer des licornes ( start up dont la valeur est supérieure à 1 milliard de dollars) dont le nombre égale aujourd’hui celui des américaines ( 227 contre 233 pour Les États-Unis ).
Et après ?
La politique américaine de pressions et rétorsions parvient à entraîner bon nombre de pays européens, l’Inde, l’ Australie, le Japon dans sa politique de barrière technologique à l'encontre de la Chine. Mais , certains Etats ne veulent pas avoir à se priver de ce que la Chine leur rapporte en termes de commerce, d'investissements ou de marge de manoeuvre diplomatique face aux pays industrialisés.
Jusqu'à présent, la Chine a réagi de manière assez mesurée, s'en tenant largement à des répliques verbales et à des mesures tarifaires, selon ses intérêts. L'escalade se poursuivra-t-elle ou cette rivalité deviendra-t-elle plus sourde, avec la recherche de compromis, selon les voeux des milieux d'affaires américains et du reste du monde ?
Pékin pourrait jouer cette carte de l’apaisement en s’efforçant, par des gestes d’ouverture économique et d’attachement au multilatéralisme , de faire reléguer au second plan les reproches qui lui sont adressés sur sa politique répressive, sur laquelle les Chinois ne sont pas prêts à céder ou, en tout cas, à la changer de manière significative. Une des craintes à Pékin est que cette question des droits humains soit plus prégnante avec Joe Biden qu'avec Donald Trump.
Quel que soit le sort des urnes, Pékin est bien disposé à ne pas changer de cap tant au plan politique que dans la recherche de la puissance perdue. L’affrontement sinoaméricain sera, peut-être , moins brutal mais ne disparaîtra pas de sitôt. La Chine sera retardée dans sa course mais elle se poursuivra avec plus de détermination et plus de raison d’être. De nouveaux modus vivendi sont à trouver par tous, avec un peu plus d’effort de compréhension de chacun n