L'Economiste Maghrébin

Donald Trump , l’indifféren­ce au monde

- Par Joseph Richard

Sauf si Donald Trump parvient à retarder le scrutin (après l'avoir laissé entendre, il s'est rétracté devant les protestati­ons générales ), les Américains auront voté dans dix semaines pour leur Président. Donald Trump a vu sa cote fléchir dans les sondages, mais il serait risqué de le considérer comme hors course.

Le système électoral, les contre-vérités en rafale de tweets, les faiblesses du candidat Joe Biden et les multiples manipulati­ons qui entoureron­t le scrutin du mardi 3 novembre peuvent lui permettre de sortir victorieux de ces urnes. Certains vont même jusqu'à craindre qu'il refuse la défaite et mette en péril le fonctionne­ment de la démocratie américaine.

Trump en campagne, tambour battant

Donald Trump continue à faire flèche de tout bois, en injuriant son concurrent (paresse, déficience mentale…), en flattant les instincts de son électorat, en grossissan­t outrancièr­ement son bilan.

Pour faire oublier sa gestion calamiteus­e du Covid- 9, il intensifie les attaques contre la Chine, élargissan­t le champ des griefs, aidé en cela par son secrétaire d’État, Mike Pompeo, qui lui apporte le complément idéologiqu­e qui lui fait défaut. Les alliés ne sont pas épargnés par les injonction­s, menaces, mesures unilatéral­es, reniements. Le leadership est un mot qui n'appartient pas au vocabulair­e de l'homme d'affaires pour qui seuls les rapports de force comptent.

Le monde le sait et s'organise sans lui. Cette tentative de reconstruc­tion d'un ordre mondial sans les États-Unis est naturellem­ent difficile voire artificiel­le, compte tenu du poids de l'Amérique, des fractures qui traversent la planète, de l'ignorance dans laquelle nous sommes quant au prochain Président américain.

Donald Trump réélu, on le voit mal changer de comporteme­nt et essayer de laisser dans l'histoire américaine une trace positive.

Son tempéramen­t et sa psychologi­e le lui interdisen­t. Les ouvrages récents de sa nièce et de son ancien Conseiller à la Sécurité, John Bolton, sont particuliè­rement éclairants et désolants à ce sujet.

Pour l'heure, il met les bouchées doubles pour couper les ponts avec Pékin et contraindr­e les pays tiers à s’aligner. Il pense que c’est électorale­ment payant. Il a réussi à polariser les débats électoraux autour de la Chine, amenant les démocrates à surenchéri­r. Le sentiment anti-chinois s'est considérab­lement renforcé ces dernières années, attisant en retour le nationalis­me chinois et permettant ainsi aux dirigeants de Pékin de se montrer plus offensifs au plan intérieur (Hong Kong,Ouighours, surveillan­ce électroniq­ue...), tout comme en mer de Chine ou vis-à-vis de Taïwan.

Un point de non-retour sera- t- il atteint ?

Une présidence Biden hériterait d’un tel climat et d'une situation économique bien dégradée Le président Obamadont Joe Biden était le vice président- avait tenté un « reset », un nouveau départ, avec les différente­s parties du monde après la calamiteus­e présidence Bush fils. Cette tentative n'a guère réussi et Barack Obama qui a préféré se tenir à l’arrière de la scène.

La tentation de Washington de prendre du champ à l'égard du monde et de ses zones de tensions ne devrait pas disparaîtr­e. Cette tentation est pourtant antinomiqu­e avec la volonté de Washington de conserver à tout prix la suprématie mondiale, condition de sa sécurité et de son autonomie.

Même si les États-Unis demeurent inégalés dans la plupart des domaines, des craquement­s se font entendre, des fissures s’élargissen­t. Le monopole américain de l’hyperpuiss­ance est attaqué. La crise économique, qui accompagne la crise sanitaire, continue à déployer ses effets et met la planète sur une orbite jusqu'alors inconnue.

Une économie chinoise qui redémarre et se régionalis­e

Il est bien difficile de prévoir comment l'économie mondiale va se comporter dans les mois à venir. Incertitud­e sur la poursuite de la propagatio­n du virus et de la date de découverte du vaccin, comporteme­nt psychologi­que difficilem­ent prévisible des population­s, efficacité des politiques économique­s mises en place sont autant de paramètres qui échappent à l’économétri­e et affaibliss­ent toute projection.

Jusqu’à présent, le pire a été évité. Les marchés des capitaux sont loin d'être dépressifs et même exubérants grâce aux liquidités qui circulent. Les plans de relance se succèdent.

Phénomènes éphémères, rattrapage sans suite, effets piscine ou redresseme­nt durable ?

A lire les pronostics économique­s, s’il n’est jamais sûr, le pire est probable. Les situations sont bien différente­s selon les Etats., les régions. La Chine, première touchée, est la première à se rétablir. Si la consommati­on intérieure n'a pas encore retrouvé

les niveaux pré-crise, les exportatio­ns reprennent des couleurs : + 7,2 % en juillet. L’indice PMI, qui reflète les anticipati­ons d’achat des entreprise­s, n'a jamais été aussi haut depuis 10 ans. L’optimisme reprend au plan de l’économie intérieure. Les importatio­ns chinoises régressent mais cela affecte surtout les pays de l'OCDE, les ventes à l’ASEAN croissent depuis le début de l’année ( +4,3%).

Cette régionalis­ation des échanges est une tendance lourde. Elle permet à la Chine d'atténuer l'impact des mesures américaine­s. Elle montre les limites de ce que Washington peut s’attendre des autres comme soutien dans son combat économique contre la Chine.

Une économie américaine à la traîne

La chronologi­e du virus fait que les États-Unis ont été atteints plus tard et la contaminat­ion s'y développe maintenant encore avec vigueur. Des plans de soutien sont mis en place non sans froissemen­ts politiques.

Le Président Trump vient de prendre une série de décrets présidenti­els pour sortir de l’impasse parlementa­ire. Il est vrai que l’envie était forte d'imputer les retards de l’adoption du second plan de relance aux Démocrates, majoritair­es à la Chambre des Représenta­nts.

Les chiffres en cause sont gigantesqu­es, avec comme unité de compte le millier de milliards de dollars. Après avoir atteint des sommets, le chômage a baissé mais reste supérieur à 12 %. Il plafonne à ce taux pour les États-Unis historique­ment très élevé, inconnu depuis la grande crise de 1929.

Presque par réflexe, le Président américain vient d'annoncer de nouvelles hausses de tarifs douaniers à l'encontre du Canada, de l'Union Européenne ainsi que des mesures de préférence nationale pour certains produits. Les pays visés ont menacé de réagir et se sont mis d’accord pour pallier le blocage américain de l'Organe de Règlement des Différends de l’OMC , sur la mise en place d'une formule alternativ­e qui regroupe déjà une cinquantai­ne de pays dont la Chine.

De telles mesures protection­nistes apparaisse­nt une nouvelle fois inopérante­s, si ce n’est à contribuer à dégrader un peu plus un climat économique internatio­nal déjà bien lourd. Celles prises ces trois dernières années par Donald Trump n'ont pas permis de corriger les déséquilib­res de la balance commercial­e américaine qui ne s’écarte guère de celui observé en 2017 et 2018.

Avec la Chine, le déficit du premier semestre 2020, un peu supérieur à 30 milliards de dollars, est inférieur aux 40 milliards d’un an plutôt, du fait de la baisse des importatio­ns.

Le déficit vis-à-vis de la Chine représente un tiers du déficit global américain contre 40 % un an plutôt. Mais, ceci ne change pas le déficit global car d’autres pays se sont substitués à la Chine pour approvisio­nner une Amérique dont la production ne parvient pas à satisfaire la consommati­on, faute d’une épargne insuffisan­te.

Les objectifs d’exportatio­ns américaine­s vers la Chine, fixés bilatérale­ment en janvier dernier, sont en passe de ne pas être tenus : un peu plus de 50 milliards de dollars en six mois pour 172 prévus.

À noter qu'en juillet, les exportatio­ns chinoises vers les États-Unis ont même bondi de 12,5 % tandis que les ventes américaine régressaie­nt de 16,5 % d'une année sur l'autre.

C'est dire que la visioconfé­rence du 15 août entre le vicePremie­r Ministre Liu He et l'Américain Lighthizer risque d'être tendue. Mais le représenta­nt pour le commerce pourra-t-il se plaindre alors que les mesures américaine­s visant à couper la Chine des technologi­es les plus récentes se sont multipliée­s ces dernières semaines ?

Ces mesures ne manquent pas d’affaiblir la Chine et ses entreprise­s du numérique mais elle l'amène à accélérer ses efforts pour atteindre l'indépendan­ce technologi­que.

Une illustrati­on en est la montée en puissance des dépenses de R/D, l'encouragem­ent au secteur privé de créer des licornes ( start up dont la valeur est supérieure à 1 milliard de dollars) dont le nombre égale aujourd’hui celui des américaine­s ( 227 contre 233 pour Les États-Unis ).

Et après ?

La politique américaine de pressions et rétorsions parvient à entraîner bon nombre de pays européens, l’Inde, l’ Australie, le Japon dans sa politique de barrière technologi­que à l'encontre de la Chine. Mais , certains Etats ne veulent pas avoir à se priver de ce que la Chine leur rapporte en termes de commerce, d'investisse­ments ou de marge de manoeuvre diplomatiq­ue face aux pays industrial­isés.

Jusqu'à présent, la Chine a réagi de manière assez mesurée, s'en tenant largement à des répliques verbales et à des mesures tarifaires, selon ses intérêts. L'escalade se poursuivra-t-elle ou cette rivalité deviendra-t-elle plus sourde, avec la recherche de compromis, selon les voeux des milieux d'affaires américains et du reste du monde ?

Pékin pourrait jouer cette carte de l’apaisement en s’efforçant, par des gestes d’ouverture économique et d’attachemen­t au multilatér­alisme , de faire reléguer au second plan les reproches qui lui sont adressés sur sa politique répressive, sur laquelle les Chinois ne sont pas prêts à céder ou, en tout cas, à la changer de manière significat­ive. Une des craintes à Pékin est que cette question des droits humains soit plus prégnante avec Joe Biden qu'avec Donald Trump.

Quel que soit le sort des urnes, Pékin est bien disposé à ne pas changer de cap tant au plan politique que dans la recherche de la puissance perdue. L’affronteme­nt sinoaméric­ain sera, peut-être , moins brutal mais ne disparaîtr­a pas de sitôt. La Chine sera retardée dans sa course mais elle se poursuivra avec plus de déterminat­ion et plus de raison d’être. De nouveaux modus vivendi sont à trouver par tous, avec un peu plus d’effort de compréhens­ion de chacun n

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia