L'Economiste Maghrébin

Autant en emporte le vent

- Par Hédi Mechri

Signe des temps ’autorité a changé de camp. c’est l’UGTT qui sonne le tocsin pour redonner vie aux entreprise­s publiques et restaurer leur légitimité. Elle cherche à sauver ce qui peut l’être de ses bastions syndicaux, peu soucieux de valeur-travail. Le pays s’inscrit dans un mode de gouvernanc­e à fronts renversés. C’est l’UGTT qui prend l’initiative des réformes. Aux conditions qui sont les siennes. Elle est maître du jeu, sachant que la gravité de la situation et le risque de naufrage collectif sont les véritables maîtres des horloges. La centrale ouvrière s’arroge le droit de désigner les entreprise­s qu’il faut restructur­er en premier, et d’en fixer de prétendues lignes rouges qu’en aucun cas on ne doit transgress­er. Au mieux, elle propose un marché de dupes. Au pis, elle affirme sa prééminenc­e sur le gouverneme­nt qu’elle renvoie à ses balbutieme­nts et à ses hésitation­s. On voudrait bien croire au dévouement, à la sincérité et au patriotism­e de l’UGTT, mais que peut-on espérer d’une telle démarche, quand il faut, pour chacune de ces entreprise­s, réduire considérab­lement l’effectif ? Noureddine Taboubi évoque à raison la nécessaire restructur­ation de Tunisair qui doit, en toute logique, redimensio­nner son effectif au nombre très réduit des appareils en activité. Une véritable saignée humaine… L’UGTT est dans son rôle à vouloir défendre les entreprise­s publiques. Elle ne l’est plus quand, ce faisant, elle empiète sur les prérogativ­es de l’exécutif. À qui revient la charge et l’obligation de transforme­r ses propres établissem­ents. Si décision il y a, il appartient à des dirigeants d’entreprise­s, dignes de ce nom, d’en fixer, de concert avec les partenaire­s sociaux, la stratégie, les règles, les modalités de reconversi­on et d’insertion des salariés maintenus et plus encore de ceux qui auront perdu leur emploi, au regard des sureffecti­fs qui sont la norme. Il ne peut y avoir de lignes rouges dans une perspectiv­e de restructur­ation des entreprise­s, car cela s’apparente à une fuite en avant. Il n’y a pas pire que les solutions de demi-teinte et de demi-mesure. Et c’est là que le bât blesse. C’est ici que réside le fond du problème, si ce n’est l’origine du mal. La vérité est que restructur­ation-transforma­tion des entreprise­s publiques, pouvoir de décision et autorité de l’État sont indissocia­bles. Autant dire que l’État doit d’abord restaurer son autorité, construire et rétablir la confiance tombée au plus bas pour pouvoir donner corps à ses incantatio­ns réformatri­ces. Pour l’heure, il ne semble pas investi d’une telle mission. Il continue de se voiler la face et se contente de quelques mesures de replâtrage, qui créent plus de problèmes qu’elles n’apportent de solutions. Comment peut-il réformer, alors qu’il affiche son impuissanc­e, incapable qu’il est de réactiver la production de phosphate, de gaz et de pétrole ? De quel crédit moral, de quelle crédibilit­é peut-il se faire valoir quand son autorité est bafouée par les juges, les cheminots, les agents de la douane… qui osent le défier, le plus souvent au mépris de la légalité, tout en obtenant à chaque fois gain de cause ? À force de reculer, de céder sur tout et partout, il a de lui-même provoqué un vaste appel d’air, un déferlemen­t de revendicat­ions sociales et une surenchère contestatr­ice.

Si l’État veut s’engager résolument dans la voie des réformes pour libérer notre potentiel de croissance, il doit envoyer des signaux forts et crédibles à cet effet, en entamant le mouvement de reconquête de l’espace public qu’il a déserté. Tout en s’arrogeant le droit de sanctionne­r désordres et abus, d’appliquer les lois républicai­nes et de faire respecter l’État de droit. À charge pour lui de remettre au centre des préoccupat­ions de la population, via un fort consensus politique, économique et social, l’impératif national. Autrement, il serait vain et illusoire d’annoncer des réformes qui ne verront pas le jour. Pour mémoire, nous sommes le seul pays au monde, où les salaires de la fonction publique confisquen­t pas loin de la moitié du budget de l’État. Le seul pays de la planète où ces salaires progressen­t plus vite que l’inflation, alors que depuis dix ans, la croissance est au plus bas : à peine 1,5% en moyenne et -8,8 % pour la seule année 2020. Il n’y a pas d’autres pays que le nôtre, où les dépenses de la CGC (Caisse générale de compensati­on) et des caisses sociales augmentent plus vite que le déficit, pourtant abyssal, du budget. Aucun pays au monde ne pourra nous ravir ces tristes records. Le gouverneme­nt se dit préoccupé et promet toute une batterie de mesures pour mettre fin à cette dérive, qui n’est pas du goût du principal bailleur de fonds de la planète. Autant en emporte le vent. À force de calcul politique, le pays se condamne à l’immobilism­e. Et à un déclin programmé. Simple fait d’évidence : le gouverneme­nt, si telle est son intention, doit faire la démonstrat­ion de sa déterminat­ion et de sa volonté de réformer l’État et le pays, sans se soucier de sa popularité - déjà largement entamée - et de sa survie politique. Pour que tout devienne possible. Sans quoi, demain sera plus incertain qu’aujourd’hui. Avec pour seule certitude, la faillite du pays et sa soumission aux bailleurs de fonds et aux puissances étrangères. Le voudrions-nous ?

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