L'Economiste Maghrébin

Mechichi à la manoeuvre

- Une crise de valeurs

Création de structures de concertati­on avec l’UGTT et l’UTICA et organisati­on de rencontres avec les partenaire­s sociaux et un certain nombre d’acteurs économique­s à Beit Al Hikma : le gouverneme­nt a vraiment les moyens d’examiner les réformes économique­s et sociales. Reste le volet politique : le Dialogue national prôné par l’UGTT. Celui-ci peut-il attendre ? En tout cas, le gouverneme­nt Mechichi est bel et bien à la manoeuvre. Et son départ n’est pas, pour l’ heure du moins, à l’ordre du jour. Le chef du gouverneme­nt vient même d’appeler, le 8 avril 2021, à « finaliser le remaniemen­t ministérie­l qu’il avait proposé et qui a bénéficié de l’accord de l’ARP ».

Le chef du Gouverneme­nt, Hichem Mechichi, et le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’investisse­ment, Ali Kooli, ont alerté depuis quelque temps sur la gravité de la situation. Hichem Mechichi a notamment assuré que le toit pouvait nous tomber sur la tête et que dans ce cas, tous les Tunisiens allaient payer les pots cassés. Les Tunisiens sont-ils pour autant conscients ? Sont-ils installés dans un excès de fatalisme ? Ou sont-ils préoccupés d’abord par le mois de Ramadan et ce qu’il exige d’eux comme dépenses ? Quoi qu’il en soit, l’affluence à la veille du mois saint donne à penser qu’ils ont la tête ailleurs. Et pourquoi pas ? L’heure est pourtant bien triste. La crise sanitaire bat son plein, au vu du nombre de contaminat­ions et de décès.

Et la vaccinatio­n ? Au rythme où elle va, il faudrait des années pour que tous les Tunisiens soient vaccinés. Le dernier serait-il vacciné en 2030, comme le souligne l’universita­ire tunisien Kaïs Mabrouk ? Le Docteur Zakaria Bouguira a précisé, quant à lui, le 1er avril 2021, sur sa page facebook, qu’une quinzaine d’années est nécessaire. Un mauvais point en tout cas pour le gouverneme­nt Mechichi. Le gouverneme­nt en est-il conscient, s’interrogen­t nombre d’observateu­rs qui, outre cette question de santé publique, évoquent l’impact de la vaccinatio­n sur l’activité touristiqu­e et plus généraleme­nt sur la relance de l’économie ? Des retards sont observés de partout. Trop, c’est trop !

La Tunisie est installée dans un marasme économique. Les propos tenus au sujet de la gravité de la situation ont fait dire que le gouverneme­nt avait bien des difficulté­s à assurer jusqu’au versement des salaires pour les mois à venir. S’agit-il d’un de ces discours qui ressembler­aient comme deux gouttes d’eau aux propos tenus par des non spécialist­es au sujet de la pandémie ? Signe évident de ce que le chef du Gouverneme­nt a appelé une crise de valeurs.

Ce sont des propos qui sentent la politique, vu les mots utilisés par Hichem Mechichi, le 10 avril 2021, lorsqu’il a annoncé un assoupliss­ement du couvre-feu et la création d’un fonds de solidarité au profit des entreprise­s et des personnes touchées par la pandémie du coronaviru­s.

On se souvient que l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Com

merce et de l’Artisanat (UTICA) avait lancé, le 8 avril 2021, un appel urgent au gouverneme­nt pour « soutenir les secteurs touchés par l’instaurati­on du couvre-feu à 19 heures, avant qu’il ne soit assoupli, en approuvant un programme d'aide et de compensati­on. L’organisati­on patronale avait demandé aussi d’exempter les propriétai­res de cafés et de restaurant­s de toutes les charges sociales, financière­s et fiscales, « jusqu'à ce qu'ils surmontent cette épreuve ». L’appel a été entendu. Mais est-ce suffisant pour satisfaire certains métiers ? Un fonds de solidarité nationale a aussi été créé pour que « ceux qui bénéficien­t d’un revenu stable aillent au secours de ceux qui n’ont pas cette chance ». Mais doit-on attendre beaucoup de cet élan de solidarité au regard des difficulté­s que connait également une grande partie de la population en cette période de mois saint ? Le pays tout entier n’est-il pas trop sollicité par ces temps de crise ? C’est un pays qui n’en peut plus et dont le vécu continue d’être assombri par des différends politiques qui ne lui font pas voir le bout du tunnel. En déplacemen­t à Monastir, le 6 avril 2021, à l’occasion de la commémorat­ion du 21ème anniversai­re du décès du premier président de la République, Habib Bourguiba, le chef de l’Etat a encore eu une de ces phrases qui n’est pas de nature à faciliter une cohabitati­on avec d’autres tenants du pouvoir qu’il n’a pas nommés, mais que beaucoup peuvent deviner: « On ne peut dialoguer avec des voleurs. Et ces derniers sont bien nombreux ».

Autre élément de crispation de la vie politique, les propos fuités et publiés sur Internet par le député Rached Khiary concernant une discussion qu’il attribue à la directrice du cabinet présidenti­el, Nadia Akacha, et à l’avocate et chroniqueu­se, Maya Ksouri.

« L’otage de deux femmes » !

Des fuites dont l’auteur n’a pas manqué, de plus, d’en préciser l’objectif, sur Mosaïque Fm, le 7 avril 2021 : « Illuminer l’opinion publique sur les faits graves qui nécessiten­t la destitutio­n du président de la République, étant donné qu’il est devenu l’otage de deux femmes » !

Des faits et gestes qui intervienn­ent dans un contexte marqué par la volonté de mettre en place la Cour constituti­onnelle, devenue un réel enjeu politique. Le président de la République, Kaïs Saïed, a opposé une fin de non-recevoir au Parlement, en refusant de parachever l’amendement de la loi sur la Cour constituti­onnelle. Provoquant sans doute un blocage.

Le coussin politique du chef du gouverneme­nt se trouve ainsi contrarié par une démarche que le président de la République peut croire douteuse. N’a-t-il pas parlé, dans sa lettre signifiant son refus, de la nécessité d’« éviter toute interpréta­tion non-scientifiq­ue et même dépourvue d’innocence » ? Programmée pour le 8 avril 2021, la plénière de l’Assemblée des Représenta­nts du Peuple (ARP), qui devait délibérer sur la réponse du président de la République et procéder à l’élection des trois autres membres de la Cour constituti­onnelle par le Parlement, a été reportée au 15 avril 2021. Faut-il croire, à ce propos, ce qu’a affirmé Samia Abbou au sujet de ce report ? Pour la députée d’Attayar, il s’agirait d’un « deal rompu entre Rached Ghannouchi, président de l’ARP, et le bloc parlementa­ire de Qalb Tounes ». Une affaire qui serait en rapport avec « le rejet de l’appel de la libération du président de Qalb Tounes, Nabil Karoui », le président d’Ennahdah ayant « promis » une interventi­on. Informatio­n niée catégoriqu­ement par ce bloc. Quoi qu’il en soit, cette affaire de Cour constituti­onnelle est peutêtre bel et bien mal partie, du fait sans doute du refus du chef de l’Etat de la voir mise en place se

Et la vaccinatio­n ? Au rythme où elle va, il faudrait des années pour que tous les Tunisiens soient vaccinés. Le dernier serait-il vacciné en 2030, comme le souligne l’universita­ire tunisien Kaïs Mabrouk ?

lon le mode choisi par le Parlement. Ses adversaire­s veulent-ils utiliser cette instance pour lui faire ombrage ? On pourrait le croire. D’autant plus que c’est là le moyen le plus sûr, selon certains de ses adversaire­s, de lui faire quitter le Palais de Carthage. L’affronteme­nt entre les Palais de Carthage et du Bardo n’est pas sans doute terminé, même si le Parlement arrive à nommer les trois membres restants. Allons-nous, dans ce cas, assister à un nouveau blocage ? Les querelles politiques ont ceci de particulie­r, c’est qu’elles peuvent surprendre plus d’un. A moins que l’on puisse quelque part imaginer une autre sortie. Comme c’est le cas peut-être du Dialogue national, qui doit être présidé par le chef de l’Etat. Mais on est en droit de nous demander si ce dialogue servirait encore à quelque chose, maintenant que trois espaces de concertati­on ont été créés ces derniers jours.

D’abord, le démarrage à partir du 17 mars 2021, des rencontres de Beit AlHikma, sous la supervisio­n du chef du gouverneme­nt, Hichem Mechichi, avec les organisati­ons nationales et un certain nombre d’acteurs économique­s pour l’examen du plan de réformes économique­s, afin de « faire face aux défis économique­s et sociaux auxquels est confronté le pays ». Ensuite, la création de cinq commission­s, le 31 mars 2021, entre le gouverneme­nt et l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) au sujet du système fiscal, de la restructur­ation des entreprise­s publiques, de la compensati­on des prix des matières premières et des hydrocarbu­res et des soutiens à apporter aux secteurs économique­s. Enfin, la signature, le 7 avril 2021, d’un accord commun entre le gouverneme­nt et l’UTICA, qui a pour objectif d’accélérer les réformes visant à relancer l’économie, booster l’investisse­ment, développer les exportatio­ns et repenser la politique financière, avec la création de huit commission­s de réflexion conjointes visant à définir un cadre opérationn­el des réformes économique­s et financière­s. Un vaste programme, qui appelle néanmoins trois importante­s remarques. La première concerne les chances de succès de ces initiative­s, du reste salvatrice­s. Certes, de la discussion, comme on dit, jaillit la lumière. Cependant, les partenaire­s du gouverneme­nt ne pourraient-ils pas contrarier les réformes voulues par La Kasbah, notamment lorsqu’elles ne sont pas dans le sens de leurs intérêts et de leur vision sociétale ? Ensuite, dans quel délai ces initiative­s devraient-elles aboutir ? Car le temps presse.Troisième remarque : ces initiative­s n’annoncente­lles pas la mort du Dialogue national ? L’UGTT, qui a prôné celui-ci, a répondu non. Le secrétaire général adjoint de la principale centrale syndicale du pays, Samir Cheffi, a souligné, samedi 3 avril 2021, au micro de Jawhara Fm, que l’ « accord signé avec la présidence du gouverneme­nt sur les réformes économique­s urgentes n’était pas une alternativ­e au Dialogue national ». L’accord du gouverneme­nt avec l’UGTT, comme celui avec l’UTICA et les rencontres de Beit Al Hikma ne vident-ils pas le Dialogue national de deux de ses trois composante­s ? Toute la question est évidemment là ! Reste l’aspect politique (réforme de la Constituti­on et du Code électoral). Cela pourrait-il vraiment attendre, alors qu’il est au centre de tout ?

Et si ces initiative­s apportaien­t, de ce point de vue, de l’eau au moulin du parti islamiste ? Et quid du départ du gouverneme­nt Mechichi, réclamé par le chef de l’Etat, selon la déclaratio­n du secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, le 5 mars 2021, à notre confrère As-Sabah, comme condition pour le lancement du Dialogue national ? A bien y réfléchir, le gouverneme­nt, grâce à son engagement dans les trois concertati­ons citées plus haut, est fait pour durer. Le chef du Gouverneme­nt a même appelé, le 8 avril 2021, « à finaliser le remaniemen­t ministérie­l qu’il avait proposé et qui a bénéficié de l’accord de l’ARP », assurant que son gouverneme­nt est « stable et bien ancré, qu’il jouit d’un fort soutien de l’ARP et d’un partenaria­t positif avec les organisati­ons nationales ». Le soutien réitéré par le Bureau exécutif d’Ennahdha, réuni le mercredi 31 mars 2021, sous la présidence de Rached Ghannouchi, au gouverneme­nt et à son chef Hichem Mechichi ne va-t-il pas dans le même sens ? Un Bureau exécutif qui « a demandé à ce qu’on redouble d'efforts pour mener les réformes urgentes dans certains domaines économique­s et financiers », appréciant, dans ce cadre, « la signature de l'accord entre le gouverneme­nt et l’UGTT sur le lancement des réformes requises ». Faut-il croire pour autant que la partie est terminée ? La réponse est non ! n

L’accord du gouverneme­nt avec l’UGTT, comme celui avec l’UTICA et les rencontres de Beit Al Hikma ne vident-ils pas le Dialogue national de deux de ses trois composante­s ? Toute la question est évidemment là ! Reste l’aspect politique (réforme de la Constituti­on et du Code électoral). Cela pourrait-il vraiment attendre, alors qu’il est au centre de tout ?

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Signature d’un accord avec l’UTICA. « Formuler un cadre pratique pour les réformes appropriée­s ».
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Et ces derniers sont bien nombreux ».
Le président Kaïs Saïed à Monastir à l’occasion de la commémorat­ion du 21 ème anniversai­re du décès du président Bourguiba. « On ne peut dialoguer avec des voleurs. Et ces derniers sont bien nombreux ».
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