Tunisie, au-delà des évidences
La vie politique est désormais dominée par les relations conflictuelles, entre le président de la République et le chef du Gouvernement. Lors de la cérémonie de commémoration du 21e anniversaire du décès de Bourguiba, le président de la République, Kaïs Saïed a expliqué son refus de ratifier les amendements parlementaires de la Cour constitutionnelle. Certes, le peuple tunisien a besoin d’une Cour constitutionnelle, mais cela ne doit en aucun cas se faire au détriment de l’esprit de la Constitution et des lois, a-t-il souligné. Aujourd’hui, la majorité parlementaire tente de rectifier des dispositions déjà créées sur mesure, plusieurs années après la fin des délais constitutionnels. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui veulent faire imploser ce qu’a bâti Bourguiba : l’éducation, les administrations et la société moderne, au nom de l’Islam. L’opposition du Président au mouvement Ennahdha est évidente. Dépendant de sa ceinture parlementaire, le chef du Gouvernement est à l'écoute du parti Ennahdha. Le président de la République, dont la popularité est incontestable, est l’allié objectif du parti destourien, fut-il son ennemi idéologique ! L’antinomie oppose deux paradigmes : la bipolarité qui domine de fait, dessine ainsi les deux clans protagonistes et redimensionne les écarts entre les discours, faisant valoir des réalités, au-delà des évidences.
Le dialogue proposé par l’UGTT au président de la République a pour objet de traiter la crise et d’engager une relance économique. Mais peut-on résoudre la crise, en dialoguant avec les acteurs politiques qui en sont responsables ? Nidaa Tounes et Tahya Tounes qui gouvernaient le pays, se sont accommodés de la paralysie des structures d’Etat et des institutions économiques. Pouvaientils réviser leur stratégie du « laisser faire » ? Autre crainte affirmée par certains analystes : « le dialogue pourrait blanchir Ennahdha » et bien entendu Nidaa Tounes, qui a signé une alliance gouvernementale avec elle. Tahya Tounes, survivance de Nidaa, assumerait cette responsabilité historique. Fait évident, la ceinture politique du gouvernement - Ennahdha, Qalb Tounes et Itilaf al-Karama - souhaiterait réduire le dialogue à ses composantes socio-économiques, alors que la mise en application de la stratégie est l’oeuvre du gouvernement.
Rappelons que Hichem Mechichi a donné, le 17 mars 2021, le coup d’envoi d’un plan de réforme économique pour faire face aux défis auxquels la Tunisie est confrontée. Des réunions ont eu lieu à cet effet, à Beit El Hikma, sous sa présidence, avec la participation des deux centrales syndicale et patronale. Le travail des commissions prévues à cet effet, devrait ralentir le processus et le différer jusqu’à la fin du dialogue. Ce qui permettrait au gouvernement de gagner du temps. Il occulterait les urgences, alors que l’économie est sous perfusion, que l’endettement menace le pays de banqueroute et que la crise sociale réactiverait la révolte populaire. D’autre part, la stratégie de Hichem Mechichi faisait valoir les institutions nationales sur les partis. En effet, le chef du Gouvernement a eu des entretiens avec l’UGTT et l’UTICA et s’est entendu avec eux sur un programme de réformes. Comment expliquer ce paradoxe d’un gouvernement qui bénéficie de l’appui des partis et les occulte, dans sa stratégie de redressement ? Priorité du gouvernement : sortir de son isolement, pour garder le pouvoir. En tout cas, les mesures d’assainissement des institutions nationales sont des effets d’annonce, alors que le pays exige de passer à l’action. N’aurait-il pas été plus recommandé de privilégier le dialogue, sous l’égide du président de la République et de l’enrichir par la formation d’une commission d’experts, appelés à identifier les réformes urgentes ? L’actualisation de la formation de la Cour constitutionnelle par les partis qui l’ont toujours bloquée montre que leur objectif est de redimensionner le président de la République. Tout le reste - y compris ces discours de surenchère - relève de la mise en scène. Peut-on former une Cour constitutionnelle, non partisane, au-dessus de tout soupçon, en choisissant des candidats proposés par les partis ?
Alors que les citoyens rappelaient leurs attentes, certains acteurs politiques s’adonnent aux querelles et aux surenchères, alimentées par des fakenews. Nouveauté du jeu politique, les enregistrements fuités des adversaires. De fait, les entretiens et les négociations entre les protagonistes sont désormais exploités. Qu’on se rappelle l’enregistrement fuité d’une discussion contre le président du Parlement et l’enregistrement récent d’un entretien de la cheffe du cabinet du président de la République avec une collègue. Ce qui a créé un climat malsain, hostile à tout débat politique. Ces dérives constituent des pertes de temps qui diffèrent la solution des problèmes n