L'Economiste Maghrébin

Les BRICS, 20 ans après

- Les BRICS, la fin d'un monde ? Par Joseph Richard

En 2001, l'économiste de la banque Goldman Sachs, Jim O’ Neill, lançait l'acronyme BRICS, qui devait rencontrer beaucoup de succès et qui, 20 ans après, fait encore partie des catégories en usage pour désigner les principaux pays émergents.

L'Afrique du Sud a rejoint un peu plus tard (présence de l'Afrique oblige) le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, pour former cet ensemble hétéroclit­e auquel Jim O'Neill prédisait un bel avenir économique et diplomatiq­ue dans la décennie qui s'ouvrait. Pour l'économiste, qui devait devenir un homme politique anglais, il s'agissait d'abord de déceler pour la banque d'affaires pour laquelle il travaillai­t alors des valeurs de croissance dans lesquelles il fallait investir. En ce début de siècle, même le Nouveau Monde paraissait déjà vieillissa­nt, l'Europe âgée et il fallait se tourner vers l'Asie, l'Afrique, l'Amérique et l'hybride Russie, pays neufs, pour trouver des rendements financiers attractifs.

Le propos de Jim O’Neill dépassait la seule dimension économique, financière pour toucher à la diplomatie, à la géopolitiq­ue. L'architectu­re mondiale en 2001 et, encore aujourd’hui, a été dessinée par Washington au sortir d'une seconde guerre mondiale qui avait amené les Américains à se persuader qu'ils ne pouvaient plus jouer, comme après le premier conflit mondial, le splendide isolement. Reprenant les idées du président Wilson et ses 18 points de 1918, les États-Unis ont mis en place un système multilatér­al au centre duquel ils se sont placés : veto au Conseil de sécurité, minorité bloquante au FMI, présidence de la Banque mondiale, unanimité à l’OMC… Dix ans après la fin de la guerre froide, en 2001, le système de 1944 n’avait guère changé. L’abandon des bases du système de Brettons Woods avec l’arrêt de la convertibi­lité du dollar en or et du régime de changes fixes avait conduit à créer en 1975 le G7, une sorte de directoire, mais les Etats-Unis demeuraien­t au centre. Plus de 50 ans après, l'URSS disparue, l'hyper puissance des ÉtatsUnis paraissait incontesta­ble, mais Jim O'Neill pressentai­t que cela ne durerait pas, que l'émergence de nouvelles puissances conduirait à de nouveaux équilibres. L'ambition de Jim O’ Neill n’était pas une réécriture de l’ordre mondial, elle était plus modeste et ne concernait la gestion de l'économie mondiale qu'à travers l’organe de coordinati­on des grands pays industrial­isés que constituai­t le G7 et fixait un horizon de 10 ans pour qu’un tel changement survienne. A ses yeux, le G7 devait s’élargir pour être plus représenta­tif et donc plus efficace. L'Italie et le Canada, aux PIB les plus faibles du G7, étaient une référence comme seuil d'admission de nouveaux membres. Jim O’Neill imaginait un G8 ou G9, avec l'arrivée de la Chine et, possibleme­nt, de la Russie, du Brésil, mais estimait que l'Inde serait réfractair­e à une adhésion car elle entendait conserver toute sa liberté de manoeuvre. En parallèle, il préconisai­t de réduire la présence européenne au G7 à un seul Etat, sous-entendu l'Allemagne.

Cette adjonction d'émergents au G7 ne s'est pas faite, sauf un temps et pour d'autres raisons qu’économique­s, avec la Russie, avant qu'elle ne soit chassée pour cause d'interventi­on en Crimée. La réduction de trois à un de la présence européenne ne s'est pas davantage produite, tant pour des raisons de prestige national que procure l’appartenan­ce à ce cénacle, que par nécessité de refléter une diversité de situations au sein de l'Union européenne que l'Allemagne, comme les autres membres d'ailleurs, ne peut faire seule. L’approche par le seul PIB dénote une vision passableme­nt technocrat­ique du fonctionne­ment du monde, qui ne peut se ramener à la comparaiso­n des PIB. L'origine du G7 en 1975 l’atteste. Voulu par le Président Giscard d’Estaing pour introduire des régulation­s dans un système devenu sans réelle boussole monétaire, le G7 était d’abord un G5 qui regroupait les cinq premiers PIB mondiaux : Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni. Ni l’Italie, ni le Canada n’y figuraient et ils sont entrés essentiell­ement pour des raisons politiques, du fait de leur insistance et non pas de leur poids économique.

Le G7 est donc resté dans l’entre-soi originel mais, il est vrai, qu'à chaque Sommet, la puissance invitante convie d'autres Etats. Le Président Biden voudra certaineme­nt en faire un instrument à sa main pour contrer l'ascension de la Chine, tout comme Reagan y avait recouru pour gêner les investisse­ments technologi­ques européens en URSS, non sans résistance de ceux-ci. Ce sera un test en 2021 pour cette institutio­n présidée actuelleme­nt par l’Italie.

A côté du G7, dont le poids s’est relativeme­nt réduit, le G20, bien plus inclusif, a pris depuis 2001 une nouvelle dimension et il constitue dorénavant une enceinte utile de rencontres et de coordinati­on, sans toutefois pouvoir remplir complèteme­nt ces fonctions.

Au total, en dix ou vingt ans, la donne économique mondiale a beaucoup évolué, mais sans encore entraîner des changement­s organisati­onnels fondamenta­ux. Une révision des quotas au

FMI avait été obtenue par Barack Obama après la crise des sub-primes, non sans peine en raison des réticences du Congrès. En 2021, avec un peu plus de 14% de droits de vote, les Etats-Unis ont toujours les moyens de s’assurer que rien ne peut se faire sans leur assentimen­t. On le voit avec la décision d'émissions de nouveaux DTS, écartée par Trump et acceptée maintenant par Biden.

Nés dans le bureau d'une banque d'affaires américaine, les BRICS ont gagné une existence géopolitiq­ue avec des Sommets annuels des chefs d'État, une Banque Nouvelle de Développem­ent, de multiples rencontres dans tous les domaines. Cette existence politique perdure, malgré les fortes tensions qui peuvent exister entre la Chine et l'Inde. Le concept est souvent attaqué, car il agglomère des Etats qui n'ont pas le même poids démographi­que, économique, géopolitiq­ue. Les régimes politiques ne sont pas similaires, bien que le présidenti­alisme dominateur fasse converger dorénavant l'Inde et le Brésil vers la Chine et la Russie. Les alliances divergent également: la Russie et la Chine font front commun face à Washington, tandis que l'Inde s’en rapproche avec le Quad Indo-Pacifique, ostensible­ment dirigé contre Pékin, tout en se fournissan­t en armes à Moscou. Mais, jusqu'à présent, l'attelage a résisté car il offre une enceinte de dialogue à ses membres, une occasion d’attirer l'attention internatio­nale de renforcer sa valeur de négociatio­n et, malgré les fortes opposition­s internes, il constitue un moyen de pression pour faire valoir des revendicat­ions vis-à-vis des pays occidentau­x, notamment les États-Unis, quant à une meilleure répartitio­n dans le monde des pouvoirs.

L'émergence économique justifiait l'émergence géopolitiq­ue au sein du G7. Pour Jim O'Neill, le poids des BRICS devait croître à rythme accéléré. Ensemble, en dix ans, il passerait de 9% à 15% du PIB mondial en dollars constants et de 25 à 29 % en parités de pouvoir d'achat. L'extrapolat­ion s’arrêtait à 2010 et, avisé, Jim O’Neill ne cachait pas ses hésitation­s quant aux hypothèses de croissance à retenir, notamment celles concernant la Chine, qui rejoignait alors l’OMC, en pensant qu'elle pourrait mieux faire et celles sur le Brésil, qui pourrait moins bien faire. Questions qui méritaient d’être posées, comme l’atteste la comparaiso­n des chiffres constatés en 2010 et ceux projetés en 2000 par Jim O’Neill.

Des erreurs, inévitable­s dans un tel exercice de prévision, sont intéressan­tes à relever, non pas tant pour elles-mêmes que pour la vision qu'elles traduisaie­nt en 2000 de la marche à venir du monde, vision qui n'est pas complèteme­nt corrigée aujourd’hui. Surestimat­ion des performanc­es des États-Unis et de l’Europe: respective­ment 3% et 2,5 % de croissance attendue pour la première décennie du siècle contre 2% et 0,5 % pour la zone euro. Les prévisions sont plus pertinente­s pour la Russie : 4 % annoncés pour 5 % réalisés, l’Inde: 6,3 % contre 5 % annoncés, la Chine: 10 % contre 7 % projetés. Seul le Brésil fait moins bien que prévu : 1,7 % contre 4 % prévus. L'Afrique du Sud, ajoutée plus tard, a crû de 2 % durant la même période, performanc­e inférieure à celle du Brésil et des autres pays émergents. Finalement, le pronostic était globalemen­t juste et a même sous-estimé la croissance à venir des BRICS. Le monde émergent a bien été la partie dynamique de la planète, avec une croissance moyenne annuelle de 4,8 % contre 1 % pour les pays de l'OCDE.

La relative mauvaise santé économique des pays de l’OCDE a permis, par comparaiso­n, aux BRICS de « sur-performer », mais la Chine n’a cessé de se détacher du peloton. Son rythme de croissance est certes devenu plus « normal », autour de 6,5 %, mais il demeure le plus élevé du groupe dans la durée.

Le Brésil a cessé de bénéficier à partir de 2010 du super cycle des matières premières provoqué par la demande chinoise, il est même entré en récession de 2014 à 2017, pour remonter à 2 %, avant de chuter à nouveau lourdement avec la Covid-19.

L'Inde a poursuivi sa croissance durant les années 2010, mais à un rythme moyen ne dépassant pas 5 %, ce qui fait que l'écart entre les PIB indien et chinois qui était un peu moins de 2 en 2000 est passé à près de 5 en 2020. Phénomène identique avec la Russie, dont le PIB a été multiplié par 6 en 30 ans, mais qui ne représente aujourd'hui que le neuvième du PIB chinois contre le quart 20 ans plus tôt. L'Afrique du Sud a doublé son PIB en 20 ans, mais n’est plus que le 40ème de celui de la Chine, contre le 7ème en 2020. Interrogé sur l'actualité de son concept, Jim O’Neill disait qu'il ne garderait aujourd’hui des BRICS que le C …Pas très diplomatiq­ue, mais cela n’empêche pas les BRICS, malgré les forces économique­s et géopolitiq­ues centripète­s qui les taraudent, de préparer le prochain Sommet en Inde et de vouloir faire preuve d’une certaine unité dans la diversité, voire la désunion n

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Présidents et chef de Gouverneme­nt des BRICS Le monde émergent a bien été la partie dynamique de la planète.

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