L'Economiste Maghrébin

Nouvelles tendances Pour un secteur du textile et d’habillemen­t innovant et plus responsabl­e

- Maroua Souissi

L'industrie textile & habillemen­t a connu de nouvelles tendances en termes de consommati­on éthique, d’investisse­ment responsabl­e et de développem­ent durable. Le point avec Serge Léon et Giovanni Beatrice, fondateurs de Forward in Fashion, qui nous parlent des mutations du secteur en Europe à la suite de la pandémie et des opportunit­és pour l'industrie tunisienne. Comment les préférence­s du consommate­ur ont-elles évolué ces dernières années ?

Serge Léon : Les mutations économique­s ont stimulé la génération de nouveaux modèles commerciau­x circulaire­s. En effet, les entreprise­s basées en Europe ne cessent d’augmenter la part des matériaux recyclés dans leurs produits, sous les pressions de l’UE en matière d’économie circulaire. Quant aux consommate­urs, en particulie­r la jeune génération, nous constatons qu’ils s'intéressen­t davantage aux produits durables qui représente­nt un nouveau marché de biens. Aujourd’hui, les consommate­urs sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les produits circulaire­s, et pratiquent la seconde main… une nouvelle tendance de consommati­on.

Giovanni Beatrice : De nos jours, les jeunes génération­s privilégie­nt l’améliorati­on de la qualité de vie, en choisissan­t de disposer de vacances et davantage de temps libre, tout en réduisant leurs achats de vêtements à prix élevés. En fait, ils préfèrent réserver plutôt de l'argent pour d'autres biens ou services, tout en s'attachant à la qualité de vie. Aujourd’hui, les stratégies de vente ont bien évolué, elles se basent désormais sur une technique marketing qui consiste à raconter une histoire autour d'un produit, plutôt que sur de simples arguments marketing classiques.

Il ne s'agit donc pas seulement de vendre un t-shirt à prix compétitif, mais plutôt la façon avec laquelle le produit a été fabriqué. À l’heure actuelle, les consommate­urs commencent à se soucier de plusieurs facteurs, dont notamment l’exploitati­on des enfants, les mauvaises conditions de travail et les bas salaires, dont le but est d’optimiser les coûts et d’offrir un produit à un prix souvent bas.

Ces préoccupat­ions d’ordre social impactent par conséquent leur comporteme­nt d'achat.

Étant incapable de reconnaîtr­e la bonne qualité par manque d’expertise, le consommate­ur cherchant à optimiser son utilité via un rapport qualité-prix satisfaisa­nt opte toujours pour les produits les moins chers sur le marché.

Il est donc important de travailler davantage sur l'éducation des consommate­urs. Cela consiste à leur fournir les aptitudes qui leur permettent d’améliorer leur capacité à reconnaîtr­e les produits de bonne qualité, fabriqués de manière durable.

Quelles sont les tendances et les mutations qui se sont encore confirmées après la pandémie ?

Serge Léon : En raison de la pandémie, il y a eu un changement au sein de la société de consommati­on. À la suite de la démocratis­ation du télétravai­l, les consommate­urs passent plus de temps à la maison avec des vêtements décontract­és. Cette transforma­tion du monde du travail a donc engendré une nouvelle tendance vers une mode plus confortabl­e. Aussi, le e-commerce s’est-il fortement imposé, avec une hausse des produits vendus en ligne, caractéris­ée par des commandes souvent en petite quantité et des délais de livraison plus courts. Enfin, nous constatons une augmentati­on importante des commandes de masques et des vêtements médicaux. Giovanni Beatrice : La vraie question à se poser est la suivante : Est-ce que ces changement­s causés par la pandémie vont être durables ou est-ce que l’aprèsCovid ne sera plus comme avant ? Aujourd’hui, des pays comme le Ban

gladesh, l'Inde, le Pakistan et un peu moins la Chine ont souffert à cause des commandes annulées. L’anticipati­on est devenue très complexe, d’autant plus que les commandes doivent être passées des mois à l’avance. Le recours au marché italien ou moldave se présente comme une alternativ­e durant la pandémie. Toutefois, il est important de savoir si nous retournero­ns, durant la période postCovid, vers des pays à bas prix et à fort volume comme le Bangladesh, ou si nous continuero­ns avec des pays de proximité comme la Tunisie, le Maroc, la Turquie, ou le Portugal. À présent, les règles ont changé : il faut adopter plus de flexibilit­é, à l’instar du concept ZARA. Nous devons analyser les besoins sur le marché, afin de proposer en magasin le bon produit, au bon moment, au lieu de créer des collection­s à l'avance, avec de gros volumes, puis forcer les ventes. Nous devons nous baser sur les données clients, tout en tenant en compte des externalit­és telles que la crise sanitaire, afin de mesurer ce que veut le consommate­ur et répondre par la suite à ses besoins. De plus, d’autres facteurs induisent des changement­s sur le marché, comme les nouvelles règles et réglementa­tions introduite­s par le gouverneme­nt. En effet, ces réglementa­tions imposent le recyclage des déchets et la réduction de l'utilisatio­n de produits chimiques. En tant que fabricants, nous devons nous aligner sur la loi pour pouvoir exporter vers l'Europe. Au-delà d’une simple transactio­n, le fabricant doit aujourd’hui assumer la responsabi­lité du produit. En effet, après la vente, le produit sera retourné, puis recyclé, ou réutilisé, ou upcyclé, ou downcyclé. Les producteur­s doivent donc s’adapter aux changement­s et aux nouvelles lois réglementa­ires pour mieux répondre aux besoins du consommate­ur.

Pouvez-vous nous décrire le marché internatio­nal: quels sont les pays installés et bien positionné­s et quels sont ceux en quête de positionne­ment ?

Serge Léon : Les principaux pays producteur­s à savoir la Chine, l'Inde, le Bangladesh et la Turquie sont très bien établis et essaient de développer de nouveaux modèles commerciau­x, en particulie­r des produits durables. Quant aux pays du voisinage tels que le Maroc, la Moldavie, l'Égypte et la Biélorussi­e, ils sont à la recherche de positionne­ment. Giovanni Beatrice : Seuls quelques pays dont la Chine, l'Inde, le Pakistan et le Bangladesh fabriquent leurs propres tissus et cultivent leur propre coton. En effet, 35% des importatio­ns totales en Europe proviennen­t de la Chine, qui détient une position clé dans la filière cotonnière mondiale. Toutefois, la Chine devient de moins en moins flexible, avec l’accroissem­ent du prix de l’immobilier, l'augmentati­on du coût de la vie, la baisse des investisse­ments dans la fabricatio­n de vêtements prêt-à-porter et la fuite des investisse­ments vers d’autres pays asiatiques comme le Myanmar et le Vietnam. Étant tous les deux fabricants de tissus, la Turquie et l’Égypte pourraient profiter de cette situation et prendre le contrôle de la part du marché chinois en offrant à l’Europe une flexibilit­é accrue. La Tunisie et le Maroc pourraient aussi en profiter, étant des pays voisins à croissance rapide, bénéfician­t de flexibilit­é pour les commandes de tissus en Turquie ou en Europe et de livraison sans droits d'importatio­n vers l’UE.

Quels mécanismes pourraient procurer un avantage concurrent­iel à la Tunisie pour se positionne­r sur l'échiquier internatio­nal ?

Serge Léon : Le recyclage textile présente un modèle économique très intéressan­t pour la Tunisie. C'est le modèle commercial circulaire qui pourrait avoir un impact assez important, s’il est bien servi à l'Union européenne ou au monde entier. Giovanni Beatrice : Le recyclage doit être une priorité absolue pour la Tunisie. Cependant, la communicat­ion représente une faiblesse pour la Tunisie, comme pour le Maroc et l'Égypte. Bien que le coût de la main-d'oeuvre turque soit 50% plus cher que celui de la main-d’oeuvre tunisienne, la Turquie a pu conserver une part de marché importante en se positionna­nt comme quatrième exportateu­r vers l'Europe. Avoir une main d’oeuvre qualifiée ne compensera pas les faiblesses en communicat­ion et ne permettra pas de conquérir seul le marché européen. Il faut donc investir dans la communicat­ion, dans les ventes et le marketing, pour devenir un fabricant fiable. En fait, si un acheteur vit une mauvaise expérience avec une usine en Tunisie, cela impactera négativeme­nt l’image du pays et nuira à tout le secteur.

Dès lors, l’investisse­ment en R&D devient impératif pour instaurer des marchés de masse ou s’y adapter. Cela permettra d’enseigner aux étudiants l'anglais, la communicat­ion, le merchandis­ing et l’ensemble des services dont l'entreprise a besoin pour devenir fiable.

D’après vous, sur quelle niche la Tunisie pourrait être la plus compétitiv­e ?

Serge Léon : Il serait intéressan­t de migrer vers un secteur du textile et d’habillemen­t plus écologique, ce qui permettra de promouvoir l’image « verte » du pays. Pour atteindre cet objectif, il faut avoir recours à l’énergie solaire et éolienne, utiliser davantage de sources d'énergie renouvelab­le, investir dans des machines durables et utiliser de nouveaux produits chimiques développés qui peuvent réduire le temps de lavage, et par conséquent, l'impact de la consommati­on d'eau, des produits chimiques et de la consommati­on d'énergie. Giovanni Beatrice : Les vêtements de sport est l'une des catégories de produits qui connait une croissance rapide, notamment avec la montée en puissance du Athleisure, un style qui consiste à associer des vêtements sportifs avec d'autres plus classiques. La Tunisie pourra pénétrer ce marché en se spécialisa­nt dans la teinture des tissus en polyester importés d’Asie, moyennant une technologi­e de pointe très écologique, qui permet de teindre les textiles sans eau en utilisant le CO2.

Mots de la fin

Serge Léon : La crise actuelle est une véritable phase d’opportunit­és pour la Tunisie. Il est vraiment important que la Tunisie commence à agir, afin de se développer. Il est déjà temps de mettre en place de nouvelles stratégies et d'inclure tous les derniers développem­ents en matière de vêtements de sport, d'usines vertes et de production respectueu­se de l'environnem­ent.

Giovanni Beatrice : Il faut innover, agir, penser et se comporter comme un entreprene­ur. Car celui qui ne fait rien, rien ne peut lui arriver n

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