Nafâa Neifar, vice-président de la FTTH La résilience du secteur face au désengagement de l’Administration
Les acteurs du secteur textilehabillement n’ont pas lésiné sur les efforts pour tracer un futur prospère à ce secteur historiquement stratégique en Tunisie frappé de plein fouet par la pandémie de la Covid-19.
Sur la dynamique et la relance du secteur, les efforts déployés pour le sauver et les attentes de ses acteurs, Nefâa Neifar, vice-président de la Fédération tunisienne du textile et de l’ habillement (FTTH) a exprimé à l’Économiste Maghrébin un optimisme de raison.
Vous avez récemment présenté l’étude d’opportunités postCovid-19. Pouvez-vous nous en parler plus en détail des enseignements ressortis ?
Nafâa Neifar : Pour élaborer notre étude et atteindre des résultats concrets, nous avons mesuré l’impact de la crise sanitaire sur les entreprises en Tunisie et sur leurs marchés extérieurs, tel celui de l’Union européenne, sans négliger les centrales d’achats et les changements dans les habitudes de consommation, pour enfin décrypter les périls et les opportunités à saisir pour la relance du secteur. L’étude a permis de constater une augmentation des achats en ligne et une réduction dans les budgets alloués à l’habillement. Il a également été constaté une tendance des entreprises à optimiser et à minimiser les risques et, par conséquent, à devenir plus réactif, plus souple et notamment plus flexible, sans omettre la montée des préoccupations environnementales et sociétales. A ce titre, les investisseurs veulent désormais s’assurer que leurs produits ont été réalisés et fabriqués dans des usines qui respectent les conditions de travail, les réglementations sociales et environnementales l’économie d’énergie, les énergies renouvelables, le recyclage de l’eau, le traitement des déchets… Il s’agit aussi de préoccupations plus éthiques qui se traduisent par des tendances de fond vers le recyclage des vêtements, en donnant une deuxième vie aux vêtements usagés ou aux stocks invendus, avec plus de traçabilité et de transparence. Toutes ces tendances font ressortir des opportunités. Encore faut-il qu’on soit capable de les saisir.
Quels sont alors les prérequis de ces nouvelles exigences ?
D’abord, bien que la flexibilité, le design, l’organisation de la chaine d’approvisionnement, l’organisation interne, la digitalisation, la réorganisation des équipes de production… incombent à l’entreprise, d’autres fonctions qui influent sur les délais de livraison sont de la responsabilité de l’Administration, tels les services logistiques, la célérité des procédures administratives et douanières… Cela inclut également les ports, les compagnies aériennes…Ensuite, l’entreprise doit, en effet, s’inscrire dans cette dynamique de développement durable, de s’investir dans une approche d’efficacité énergétique qui préserve l’environnement et de s’engager dans une démarche qui favorise le bien-être des employés. C’est à ce moment là qu’elle pourra être en mesure de répondre aux normes et d’obtenir les certifications de conformité sociale. Encore faut-il qu’elle soit bien accompagnée, bien positionnée dans l’écosystème et appuyée par la législation. Partant donc de ces principes, nous avons étudié les opportunités à saisir par les entreprises opérant dans le textile et l’habillement en période post-Covid-19. En fait, notre étude se veut un document qui a pour objectif d’orienter les entreprises du secteur et de mettre en oeuvre un plan de relance qui s’appuie principalement sur cinq axes stratégiques.
Pouvez-vous nous développer ces axes stratégiques de la relance ?
Le premier axe consiste à résoudre les problèmes de trésorerie et à assurer la survie de l’entreprise, sortie affaiblie par la pandémie. Plusieurs entreprises ont été incapables d’honorer
Il est important de savoir que parmi les 1200 entreprises tunisiennes qui opèrent dans le textile et qui sont, dans leur majeure partie, des unités de confection, 200 entreprises réalisent, à elles seules, plus de 80% du chiffre d’affaires lié à l’export. Les autres sont des sous-traitants et des satellites. C'est à qui crée cette complémentarité entre les petites et les grandes entreprises.
leurs engagements (fiscalité, cotisations sociales…). Elles devraient bénéficier d’un aménagement fiscal et de trésorerie et d’un accompagnement pour celles qui se sont trouvées en grandes difficultés. Le deuxième axe s’est focalisé sur les solutions à choisir pour renforcer les capacités internes de l’entreprise, notamment en matière de RSE pour ce qui est de la célérité, de l’organisation, de la digitalisation. Elles sont également appelées à s’inscrire sur les lames de fond de l’économie de l’énergie, du recyclage des déchets, du traitement des eaux de rejet…
Quant au troisième axe, il consiste à étudier les moyens de développer des synergies entre les entreprises du secteur. Les possibilités offertes de la formation de clusters de plusieurs entreprises, soit d’un même créneau, tel que la lingerie, les vêtements professionnels, les jeans afin de pouvoir conquérir ensemble de nouveaux marchés, soit entre l’amont et l’aval d’un même créneau pour améliorer sa performance et sa compétitivité. L’avant dernier axe concerne les possibilités d’améliorer la capacité productrice du marché local comprenant le créneau de l’habillement pour les marques locales, qui souffre de la grande concurrence déloyale de la contrebande et de la friperie. Pour sa part, le créneau des marchés administratifs nécessite une refonte du mode de passation et d’octroi des marchés publics qui mettrait sur le même pied d’égalité les entreprises tunisiennes et les entreprises étrangères. Le dernier axe consiste à renforcer l’intégration, la capacité à l’export et l’image de la Tunisie à l’international, qui souffre d’un énorme déficit. A la fin des travaux, nous avons jugé important d’ajouter un axe supplémentaire transversal et qui met l’accent sur la nécessité de revoir les procédures administratives, douanières, de sécurité… et notamment l’accès aux nouveaux marchés et la renégociation des conditions d’accès aux marchés européen, américain et du Royaume-Uni post Brexit. Revenons au 4ème axe, l’entreprise tunisienne n’aurait-elle la même capacité du prestataire étranger à répondre aux conditions des cahiers des charges émis par l’administration tunisienne ?
Je tiens à éclaircir un point. Au fait, les entreprises tunisiennes ne choisissent pas de ne pas participer aux appels d’offres mais elles sont contrariées par les conditions qui y figurent. Les conditions de passation du marché sont extrêmement contraignantes et même ceux qui ont le choix d’y participer y fuient. Ce n’est pas juste de proposer à un investisseur tunisien, une offre valable 120 jours qui peut être reconduite à trois ou quatre reprises, sachant qu’entre temps les prix des matières premières augmentent et le dinar chute. Puis, une fois la confirmation pour le marché est accordée, il faut encore attendre un mois pour avoir l’accord de financement du projet. Ensuite, il faut importer la matière première, essentiellement le fil, et attendre des dizaines de jours le temps que la marchandise soit en rade et doit payer le droit de dédouanement en parallèle, avant d’arriver aux phases du tissage, finissage, confection et livraison. Cependant, l’entreprise étrangère bénéficie d’une validité de 60 jours au cours desquels elle obtient une confirmation du marché et on lui ouvre une lettre de crédit. Une fois la marchandise est en cours de livraison, elle peut toucher son argent avec une exonération de TVA et de Douane. Après toutes ces conditions contraignantes, on se demande : pourquoi les entreprises tunisiennes fuient les appels d’offre ? Je ne demande pas trop : traitez les entreprises tunisiennes in exaequo avec les entreprises étrangères !
Tous ces éléments ne vous sont pas étrangers, mais le problème se pose au niveau de la mise en oeuvre. Qu’en pensez-vous ?
Il est vrai que certains de ces axes ne nous sont pas méconnus. Par exemple, par le passé, on parlait de développement durable comme d’une tendance, alors qu’actuellement, c’est une exigence.
Quant à leur mise en oeuvre, la Fédération n’a pas lésiné sur les efforts et a déjà organisé des task-forces pour que chacune d’entre elles travaille sur un axe de relance et de positionnement stratégique.
Outre les efforts déployés pour la digitalisation, nous travaillons parallèlement sur le volet communication pour informer aussi bien sur l’avancée technologique du secteur, le respect des normes, l’inscription dans cette démarche de développement durable…
Selon vous, quel pourrait être le rôle de la Fédération pour consolider la synergie entre les entreprises du secteur ?
La Fédération peut jouer le rôle de facilitateur. En raisonnant par créneau en fonction des success stories et en expliquant le sens de la démarche et ses avantages, nous sommes en mesure d’identifier les points de complémentarité entre les entreprises et faire en sorte d’aider des rapprochements afin qu’elles créent plus de valeurs et de business.
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