Hydrocarbures Entre catastrophisme et optimisme
Diabolisé, depuis le soulèvement du 14 janvier 2011, en raison de son opacité et de sa mauvaise gouvernance, le secteur des hydrocarbures fait l’objet, ces dernières semaines, de rumeurs alarmistes, mais également de bonnes nouvelles annonçant des perspectives prometteuses pour sa relance.
Zoom sur la conjoncture d’un secteur qui n’a jamais révélé tous ses secrets.
Au départ, des experts « fossilistes » et des médias peu avertis - ou malintentionnés - s’en sont donné à coeur joie pour annoncer sans aucune réserve que des majors d’hydrocarbures implantés en Tunisie vont, incessamment, quitter le pays, s’agissant, notamment, de l’office italien d’hydrocarbures ENI et de la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise Shell.
Des rumeurs sur le départ de majors
Pour expliquer le désintérêt de ces deux majors pour le site Tunisie, ces mêmes experts et médias citent : l’effondrement du cours du pétrole, l’absence de vision pour le secteur des hydrocarbures en Tunisie et les contestations sociales générées par les émeutes du 14 janvier 2011(cas des sit-in d’El Kamour dans la région de Tataouine au sud du pays).
Dans une interview accordée à l’Agence TAP, Hamed El Materi, ingénieur-expert en Exploration & Production pétrolière et ex-conseiller auprès d’un ancien ministre de l’Energie, a déclaré : « Les investisseurs du secteur ont pratiquement tout vu, durant les dix dernières années : problèmes sociaux, politiques, problèmes liés à la gestion des terres, grèves, blocages, conflits contractuels, pressions et influences politiques. C’est la recette parfaite pour transformer tout projet prometteur, en une perte sèche ». Toujours au rayon du catastrophisme, le département en charge de l’Energie a mis aussi du sien en ressassant le discours sinistre sur la baisse naturelle de la production. Traitant des résultats des activités d’exploration, de recherche, de production et de développement des hydrocarbures en Tunisie au cours de la période 2010-2020, Rania Marzouki, directrice de l’Exploration, au ministère de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, a révélé, fin mars 2021, « une régression de la production
nationale des hydrocarbures de la Tunisie, laquelle est passée de 7 millions de tonnes équivalent pétrole (tep) en 2010, à moins de 4,5 millions de tep en 2020 ». Ce constat s’explique, selon ses dires, par la baisse du nombre de puits exploités, de 19 à un seul, et par la diminution du nombre de permis, de 52 permis en 2010 à 23 permis en 2020. Cette baisse de la production est aussi expliquée par la dégradation du climat social en Tunisie.
Le démenti du ministère de l’industrie et de l’Energie
Réagissant à l’ensemble de ces informations alarmistes, le ministère de l’Industrie et de l’Energie a tenu, début avril 2021, une conférence de presse, au cours de laquelle le directeur général des hydrocarbures au ministère de l’Industrie et de l’Energie, Rachid Ben Dali, a été, le moins qu’on puisse dire, rassurant. Concernant l’intention de départ des majors précités, il a démenti formellement cette information. Pour la compagnie anglo-néerlandaise, Shell, il a été catégorique. Il déclaré que « cette compagnie n’a aucunement l’intention de renoncer à ses activités dans le pays ». Pour le cas de l’ENI, il a été nuancé. Il s’agit simplement d’une reconversion de la multinationale italienne. Entendre par là que « le groupe pétrolier italien ENI ne va pas quitter la Tunisie. Dans sa stratégie, il va cesser, en principe- bien en principe - ses activités d’exploitation de combustibles fossiles pour se reconvertir dans l’investissement dans les énergies propres ». C’est d’ailleurs la tendance d’autres compagnies. Ainsi, la compagnie pétrolière autrichienne privée OMV a décidé, à la faveur d’un « Divestment plan » entamé, depuis 2017, de céder ses parts dans les joint-ventures (Serept & TPS), pour limiter ses activités au champ de gaz naturel Nawara et ses environs.
C’est le cas aussi de la compagnie pétrolière néerlandaise Mazarine Energy, qui opère dans le secteur du pétrole dans la région de Kebili. Son DG, Edward Van Kersbergen, a demandé, le 26 mars dernier, une audience auprès du chef du Gouvernement, Hichem Mechichi, pour l’informer de la volonté de son entreprise de développer ses investissements en Tunisie, afin d’englober le domaine de l’énergie solaire et de l’hydrogène vert.
Les combustibles fossiles ont encore de beaux jours devant eux
Abstraction faite de cette reconversion heureuse des grandes et moyennes compagnies pétrolières dans le développement des énergies vertes, il faut reconnaître, qu’au regard du potentiel dont recèle la Tunisie à son extrême sud, au nord et au golfe de Gabès, les combustibles fossiles ont un bel avenir devant eux, au moins jusqu’à 2050. La transition énergétique ne sera visible qu’à cette échéance. D’ailleurs, ces derniers temps, au vu de certains indices, le vent commence à tourner franchement en leur faveur. Pour preuve : des statistiques officielles. D’après le rapport mensuel du département de l’Energie sur la conjoncture énergétique (mois de mars 2021), la production nationale de pétrole brut a augmenté de 19% en janvier 2021 par rapport à janvier 2020, pour se situer à 167 mille tonnes (kt). Le rapport fait une mention spéciale pour l’apport du gisement Halk el Manzel (au large de Monastir), qui vient de reprendre la production et du gisement de gaz Nawara au sud, entré en production il y a une année. Autre chiffre significatif, la moyenne journalière de la production de pétrole est passée de 35.1 mille barils/j en janvier 2020 à 41.4 mille barils/j en janvier 2021, indique la même source. Par ailleurs, pour pallier la suspension de fait, depuis dix ans, des recherches et du renouvellement des réserves, le ministère de l’Industrie et de l’Energie a renouvelé, le 8 avril 2021, la validité de 8 permis d’hydrocarbures, dont six de prospection et deux de recherche. Il a décidé, également, d’autoriser le détenteur du permis Nefzaoua (région de Kebili) d’augmenter la superficie qui lui est réservée de 100 km2. Mieux, pour avoir de la visibilité sur le moyen terme, le ministère se penche actuellement sur l’élaboration d’une stratégie pour le développement de l’énergie durant le prochain quinquennat (2021-2025). L’accent a été mis sur certaines prévisions chiffrées et sur les moyens de remédier aux deux talons d’Achille du secteur, à savoir la non transparence et la mauvaise gouvernance. Nous pensons, quant à nous, que le département en charge du secteur se doit de soumettre, dans les meilleurs délais, au gouvernement et à l’Assemblée des représentants du peuple, le nouveau code des hydrocarbures, dont la révision a trop, trop duré. Espérons surtout que le nouveau code sera accompagné de ses textes d’application n