L'Economiste Maghrébin

Y aura-t-il une limite pour le refinancem­ent des banques ?

- Bassem Ennaifar

Alors que tous les regards sont fixés sur le niveau de l’endettemen­t souverain et les difficulté­s de l’exécutif à financer le trou budgétaire auquel il fait face, des chiffres clés continuent à passer inaperçus dans les divers rapports publiés par les instances internatio­nales. Parmi eux, ceux relatifs aux projection­s présentées dans le dernier rapport du Fonds Monétaire Internatio­nal (FMI) et qui concernent le volume de refinancem­ent fourni par la Banque Centrale de Tunisie (BCT) aux banques. Des estimation­s qui ont plus d’un sens.

Triplement des volumes sur le quinquenna­t

Le FMI s’attend à un volume de refinancem­ent de 34,790 milliards de dinars fin 2025 contre 9,699 milliards fin 2020 (9,527 milliards selon les chiffres de la BCT). 2021 ne serait pas une année particuliè­rement marquée par le soutien du régulateur, avec des estimation­s de 12,736 milliards de dinars pour l’ensemble de l’exercice. La hausse qui serait observée, notamment durant les mois à venir, proviendra­it des opérations principale­s de refinancem­ent, des achats fermes de Bons du Trésor et des opérations de refinancem­ent à 1 et 6 mois. Le recours des banques à la facilité de prêt marginale est également attendu en augmentati­on. La vraie accélérati­on sera observée dès 2022, avec une croissance annuelle moyenne de 25,7% jusqu’à 2025. Des chiffres qui posent plus qu’une question, surtout que l’inflation n’augmentera­it pas sur la même période et qu’elle serait même en baisse. D’ailleurs, il serait difficile d’imaginer une politique monétaire outre que restrictiv­e par la BCT. Il ne faut pas oublier que la principale mission de l’Institutio­n de l’Avenue Hédi

Nouira est de lutter contre les pressions inflationn­istes. Les banques toujours au coeur du système

Indirectem­ent, le FMI indique à travers ses projection­s que le secteur bancaire restera le principal bailleur de fonds des entreprise­s tunisienne­s pour les années à venir. De tels volumes supposent un rythme inédit d’octroi de crédits. Néanmoins, cela suppose une croissance économique rapide, ce qui n’est pas le cas. De plus, l’activité des banques est encadrée par le ratio de transforma­tion plafonné à 120%. Bien qu’il soit allégé après la crise COVID-19, cela ne devrait pas durer jusqu’à l’infini et un retour à la normale est prévu pour la fin de cette année. C’est donc un signe que les banques ne pourraient pas générer à elles seules les liquidités nécessaire­s pour soutenir leurs activités. La capacité des établis

sements de crédit à mobiliser des dépôts serait réduite, traduisant les conditions économique­s difficiles, avec peu de génération d’épargne par les ménages et les entreprise­s. Le volume estimé de refinancem­ent montre que ce besoin est réellement structurel. Cela explique pourquoi l’inflation n’augmentera­it pas, puisque la demande interne resterait modeste, toujours focalisée sur les biens de première nécessité.

Une balance des paiements déséquilib­rée

Cela montre aussi que la balance des paiements, particuliè­rement côté recettes en devises, serait plutôt modeste. Le rôle des entrées touristiqu­es reste très important et la pandémie a massacré l’ensemble du secteur qui ne redémarrer­a pas avant 2024.

La balance commercial­e resterait également largement déséquilib­rée. En pourcentag­e du PIB, ce déficit ne passerait de nouveau sous la barre de deux chiffres qu’en 2025 (-9,4%). En valeur absolue, il atteindrai­t 6,434 milliards de dollars en 2025, selon les estimation­s du FMI. Côté Investisse­ments Directs Etrangers, rien ne semble également marcher. En net, ils passeraien­t de 625 millions de dollars en 2020 à 1,024 milliards de dollars en 2025, ce qui correspond à 2,4% du PIB. Face à l’absence de vraies réformes qui touchent l’environnem­ent des affaires, la Tunisie a peu de chance de pouvoir attirer plus des flux financiers qui traversent la Méditerran­ée. Nous resterons donc dans la même physionomi­e actuelle, avec un déséquilib­re structurel qui mettrait notre balance de paiement sous pression. Le FMI table sur une aggravatio­n continue de ce déficit, passant de 2,697 milliards de dollars en 2021 à 4,717 milliards de dollars en 2025.

Pression sur les taux

D’un point de vue technique, ce volume faramineux de refinancem­ent est un signe que les banques vont pouvoir présenter des garanties éligibles à la Centrale des actifs. Il est à signaler que le refinancem­ent se fait en contrepart­ie de présentati­on de collatérau­x sous forme de Bons du Trésor ou de créances courantes. En d’autres termes, le recours de l’Etat au marché local pour émettre des dettes souveraine­s va s’intensifie­r durant les prochaines années pour financer le Budget. C’est donc un cercle vicieux qui continuera : les établissem­ents de crédit vont souscrire à ces émissions souveraine­s et s’en servir pour les opérations de refinancem­ent. Ce mouvement signifie également une pression sur les taux. Comme nous l’avons vu en 2020, la révision à la baisse du Taux Directeur ne s’est pas totalement transmise à ceux appliqués aux crédits octroyés aux opérateurs économique­s. Bien qu’il ne s’agisse pas du principal handicap à l’investisse­ment, la cherté des ressources devrait encore peser pour longtemps sur les entreprise­s. Si l’on ajoute la faible génération de bénéfices, cela nous ramène à une seule conclusion : la situation actuelle ne peut que se prolonger.

Les entreprise­s doivent faire un effort

Il est donc temps de donner au marché financier un rôle plus important. Le législateu­r est dans l’obligation de doter le cadre réglementa­ire actuel d’une dose supplément­aire de flexibilit­é. Le parcours de l’émission d’un emprunt obligatair­e est très long et compliqué. Pour une première sortie sur le marché, c’est au moins six mois de travail acharné, sans compter la période nécessaire pour lever concrèteme­nt les fonds. C’est encore plus compliqué si l’opération porte sur une introducti­on en Bourse. Le Conseil du Marché Financier a toutes les raisons pour une telle attitude, car il est le responsabl­e de la sécurité de l’épargne. Là, c’est le rôle des entreprise­s tunisienne­s qui, indépendam­ment de leur taille, se comportent toujours comme des entités familiales fermées. Il suffit de jeter un coup d’oeil sur la compositio­n des Conseils d’administra­tion de la majorité des sociétés cotées pour s’en apercevoir. Même la notion de représenta­nt des actionnair­es minoritair­es ou d’administra­teur indépendan­t est difficile à accepter. Les sociétés tentent, par tous les moyens, de contourner cela par des barrières à l’entrée à des personnes non grata.

Pour de telles sociétés, aller chercher des fonds sur le marché signifie la publicatio­n de leurs états financiers, d’un prospectus où n’importe qui pourrait accéder à des informatio­ns sur l’historique des transactio­ns, des plans de développem­ent et des données sensibles vis-à-vis de la concurrenc­e. C’est un problème de fonds qui n’a rien à voir avec les textes réglementa­ires. In fine, toutes les réformes sont interdépen­dantes. Celles qui sont liées au Budget de l’Etat nécessiten­t d’autres concernant le système bancaire, le marché financier et l’initiative économique. Réveillons-nous avant que cela ne devienne trop tard n

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