L'Economiste Maghrébin

Fureur chinoise contre les « provocatio­ns » nippo-américaine­s

- Hmida Ben Romdhane

Beaucoup ont pensé que la forte tension entre les Etats-Unis et la Chine, alimentée par Donald Trump, baisserait après la défaite de celui-ci et l’entrée en fonction d’un nouveau président à la MaisonBlan­che. Il n’en est rien. Deux événements politiques, à quelques jours d’intervalle, démontrent que la tension entre les deux superpuiss­ances américaine et asiatique en particulie­r et entre la Chine et l’Occident en général est en train de s’amplifier. De s’aggraver même. Le premier événement a eu lieu entre le 18 et le 20 mars en Alsaka, qui a accueilli une réunion sino-américaine. Pourquoi l’Alaska, alors qu’il y a bien d’autres endroits plus cléments et plus accueillan­ts ? C’est que ni les Américains ne voulaient se déplacer en Chine, ni les Chinois aux Etats-Unis. Il fallait donc trouver un endroit qui serait à peu près à mi-chemin entre Pékin et Washington. C’est ainsi que la réunion se tint à Anchorage, la capitale de l’Alaska. Selon le porte-parole du ministère chinois des A.E., « quand les membres de la délégation chinoise sont arrivés à Anchorage, leur coeur était glacé par le froid mordant, mais aussi par l'accueil de leurs hôtes américains ». Ce qui va suivre ne va pas aider à dégeler l’atmosphère, loin de là. Dès l’ouverture de la réunion le 18 mars, la délégation américaine, présidée par le secrétaire d’Etat Anthony Blinken, a ouvert les hostilités si l’on peut dire. Les Chinois sont accusés sans ménagement de « génocide » contre les Ouigours musulmans dans le Xinjiang, de « répression contre le mouvement démocratiq­ue à Hong Kong », de « provocatio­n contre Taiwan », de « cyber-attaques contre les Etats-Unis », de « coercition économique » contre les alliés de Washington et de… « menace contre l’ordre et la stabilité du monde ». Le chef de la délégation chinoise Yang Jiechi a répondu que « la région du Xinjiang, Hong Kong et Taiwan font partie intégrante du territoire chinois et que Pékin s’oppose fermement à toute ingérence américaine dans ses affaires internes » ; que « les États-Unis ne représente­nt pas l'opinion internatio­nale et que l'Occident ne représente pas le monde » ; que « concernant les cyber-attaques, tant sur la capacité d'en lancer que sur la technologi­e, les ÉtatsUnis sont les champions » ; que « les Américains eux-mêmes ne croient plus en la démocratie américaine » ; que « les Etats-Unis ne sont pas qualifiés pour parler à la Chine en position de force » et que « ce pays doit d’abord faire le ménage chez lui ».Cette réaction coléreuse de la délégation chinoise fait écho à une récente déclaratio­n du ministère chinois des Affaires étrangères dans laquelle il affirme que « les horreurs telles que la traite des esclaves de l’Atlantique, le colonialis­me et l’Holocauste, ainsi que la mort de tant d’Américains et d’Européens à cause de la Covid-19, devraient faire honte aux gouverneme­nts occidentau­x de pointer du doigt le bilan de la Chine en matière de droits de l’homme ».

Le second événement a fait sortir carrément la Chine de ses gonds. Le 16 avril dernier, le Premier ministre japonais Yoshihide Suga était en visite officielle à Washington. A l’issue de sa rencontre avec le président Biden, une déclaratio­n commune américano-japonaise a été publiée. Deux petites phrases dans cette déclaratio­n ont eu l’effet d’une bombe à Pékin : « Les EtatsUnis ont réaffirmé leur soutien indéfectib­le à la défense du Japon en utilisant toute la gamme de leurs capacités, y compris nucléaires » ; « Nous sommes résolus de travailler ensemble pour relever les défis représenté­s par Pékin en mer de Chine orientale, y compris la question de Taiwan ». Il faut rappeler ici que la mention de Taiwan dans une déclaratio­n commune américano-japonaise est la première depuis celle de 1969 entre le président Richard Nixon et le Premier ministre Sato Eisaku. D’autre part, c’est la première fois que la menace d’utilisatio­n des armes nucléaires est brandie dans une déclaratio­n commune des deux plus hauts responsabl­es américain et japonais. Il n’est donc pas étonnant que la

Chine sorte de ses gonds et réagisse furieuseme­nt.

Il n’est pas étonnant non plus que la fureur de la Chine ait pour cible beaucoup plus le Japon que les Etats-Unis, compte tenu des drames historique­s qui avaient émaillé les tumultueus­es relations nippo-chinoises au cours de la première moitié du siècle dernier. Dans un éditorial incendiair­e reflétant les vues de Pékin et publié le 17 avril dans « Global Times », un journal chinois en ligne, on lit notamment : « Les relations américano-japonaises sont le genre de relations qu'un pays victorieux de la Seconde Guerre mondiale domine un pays vaincu où l’on décèle la caractéris­tique « maîtreserv­iteur ». (…) Les plus grandes « valeurs partagées » par les ÉtatsUnis et le Japon sont en fait la jalousie et la haine qu'ils nourrissen­t tous les deux contre la forte dynamique de développem­ent de la Chine. La pensée hégémoniqu­e des États-Unis ne peut accepter que son statut soit égalé par la Chine, tandis que le Japon ne peut accepter l’idée de devenir un « pays de seconde zone » par rapport à la Chine. (…) Le Japon a-t-il oublié combien de fois il a infligé des ravages à la Chine? La Chine a-t-elle jamais vraiment nui au Japon ? Et le Japon peut-il citer un seul exemple? (…) Le Japon est trop myope. Il a formé une alliance avec l'Allemagne et l'Italie avant la Seconde Guerre mondiale et il s’aligne aujourd’hui sur la position radicale des ÉtatsUnis. Le Japon n'a pas appris ses leçons ». L’éditorial est conclu par une sévère mise en garde de Pékin à Tokyo : « Enfin, nous conseillon­s au

Japon de rester à l'écart de la question de Taiwan. Il peut s’adonner à des manoeuvres diplomatiq­ues dans d’autres domaines. Mais s’il s’implique dans la question de Taiwan, il attirera de graves ennuis. Plus il s’implique, plus le prix qu'il paiera sera élevé ».

Quel intérêt a le Japon à envenimer ses relations avec son voisin chinois ? Aucun, quand on considère l’intensité des échanges économique­s entre les deux géants asiatiques et le lourd poids de l’Histoire qu’ils partagent. Comment expliquer alors cet alignement systématiq­ue de Tokyo derrière Washington ? Le président Biden, depuis sa campagne électorale jusqu’à ce jour, n’a pas caché son hostilité envers la Chine qu’il considère comme « un danger pour les Etats-Unis ». Il a dû exercer de fortes pressions sur son hôte japonais pour que celui-ci signe une déclaratio­n aussi provocatri­ce à l’égard de la Chine. Depuis plus d’un demi-siècle, aucun Premier ministre japonais n’a osé évoquer la délicate question de Taiwan dans une déclaratio­n commune avec un président américain. La « faible » personnali­té du nouveau Premier ministre nippon et son manque d’expérience y sont peut-être pour quelque chose. Il est à noter que le successeur de Shinzo Abe, inconnu à l’étranger et peu connu au Japon, a pris ses fonctions de Premier ministre il y a juste quelques mois.

Mais les pressions antichinoi­ses de Washington ne se limitent pas au Japon. La diplomatie américaine s’active à ressuscite­r une structure créée en 2007 (pour contrer la Chine) mais oubliée depuis : le « Quad ». Il s’agit d’une organisati­on quadrilaté­rale regroupant les Etats-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. D’aucuns voient dans la tension croissante entre Pékin et Washington une dangereuse répétition de l’Histoire. Au début du XXe siècle, l’empire britanniqu­e déclinant redoutait le poids économique grandissan­t d’une Allemagne en voie de devenir la première puissance européenne. La « perfide Albion » avait tout fait pour empoisonne­r les relations internatio­nales avec pour but d’attirer l’Allemagne dans une guerre destructri­ce. La guerre ardemment désirée par la Grande Bretagne, qui ne voulait pas être supplantée par l’Allemagne, et par la France, qui voulait récupérer ses territoire­s d’Alsace-Lorraine, fut déclenchée en 1914 et dura quatre ans. Elle prendra vite une dimension mondiale et ne fut pas destructri­ce seulement pour l’Allemagne… De là à établir des similitude­s entre la Grande Bretagne et l’Allemagne du début du 20e siècle et les EtatsUnis et la Chine du début du 21e siècle, beaucoup d’observateu­rs et de commentate­urs ont déjà franchi le pas n

Le président Biden, depuis sa campagne électorale jusqu’à ce jour, n’a pas caché son hostilité envers la Chine qu’il considère comme « un danger pour les Etats-Unis ».

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Biden et le Premier ministre japonais Yoshihide Suga.
Conférence de presse à la Maison-Blanche le 16 avril tenue par le président américain Joseph Biden et le Premier ministre japonais Yoshihide Suga.

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