L'Economiste Maghrébin

La Tunisie fourbit ses armes

En attendant une rencontre avec le staff du FMI

- Mohamed Gontara

Les tensions qui persistent en Tunisie au niveau de la classe politique peuvent-elles peser de tout leur poids à l’ heure où notre pays s’apprête à engager des négociatio­ns avec le FMI en vue de sortir de la crise économique et sociale ?

En tout cas, le chef du Gouverneme­nt se prépare activement à défendre le dossier à Washington. Avec trois principes pour les réformes que les délégués tunisiens comptent présenter : « dialogue avec l’ensemble des parties prenantes tunisienne­s et internatio­nales », « transparen­ce sur la réalité de la situation et les défis à affronter » et « engagement sur des résultats concrets et tangibles avec un impact pour les concitoyen­s ».

Il a déjà rencontré les ambassadeu­rs de France, d’Allemagne et des Etats-Unis d’Amérique.

La scène a été largement médiatisée. Le mercredi 21 avril 2021, Hichem Mechichi, chef du Gouverneme­nt et ministre de l’Intérieur par intérim, rompait le jeûne à la caserne de Bouchoucha avec des sécuritair­es. A la même occasion, il décorait un groupe de cadres et d’agents des unités d’interventi­on (65ème anniversai­re des forces de sécurité intérieure). L’événement ne pouvait pas ne pas rappeler la visite effectuée, la veille, par le président de la République, Kaïs Saïed, au district de la garde nationale à la Cité Ettadhamen, où il a partagé le repas de rupture du jeûne avec les officiers et agents. Une visite consécutiv­e à un discours prononcé, le 18 avril 2021, à l’occasion de la commémorat­ion du 65ème anniversai­re de la création des forces de sécurité intérieure, dans lequel il a déclaré que « selon la Constituti­on, le président de la République est le chef des forces armées militaires et civiles, sans distinctio­n aucune ». Le discours a été largement commenté, notamment par Hichem Mechichi, qui a considéré qu’il était « hors contexte » et que « les circonstan­ces ne se prêtaient pas à cette lecture », et également par Ennahdha, le principal coussin politique du chef du Gouverneme­nt, qui a estimé que « l’autoprocla­mation du président de la République comme commandant suprême des forces porteuses d’armes constitue une violation de la Constituti­on et un empiétemen­t sur les prérogativ­es du chef du Gouverneme­nt ».

Rien n’est laissé au hasard

Est-ce pour réagir aux propos présidenti­els que le chef du Gouverneme­nt a nommé ces derniers jours Lazhar Loungou au poste de directeur des services spécialisé­s au ministère de l’Intérieur et Elyès Mnakbi en tant que ministre conseiller chargé de la Sécurité et de la défense ?

Faut-il voir là également « des actes

de provocatio­n du chef du Gouverneme­nt », comme l’a soutenu Ghazi Chaouachi, secrétaire général du Courant démocrate, dans sa page Facebook ? En ajoutant que « cela aggravera la crise politique et compliquer­a la situation générale du pays ». Pour leur part, les observateu­rs, qui scrutent les moindres faits et gestes du côté du Palais de Carthage et de celui de La Kasbah, estiment que rien n’est laissé au hasard dans cette guerre qui semble déclarée entre les deux têtes de l’exécutif. Les propos tenus par le chef de l’Etat, le 18 avril 2021, ont attiré l’attention de nombreux commentate­urs, qui ont estimé que Kaïs Saïed a été un peu plus précis quant à la cible à laquelle il s’est attaqué et qui se trouve dans le coussin politique du chef du Gouverneme­nt, désignant des personnes qui, du fait de leur appartenan­ce à un « parti » ou du fait de leurs « relations familiales », arrivent à échapper à la justice. Il ne lui manquait plus que de citer des noms, pensent-ils, rappelant que cela ne peut plus durer. Tout le monde a peut-être deviné de quoi et de qui il parle.

Ce discours, pour beaucoup, marque un tournant. Touche après touche, le chef de l’Etat ne cesse de faire passer des messages à qui de droit, avec des formules dont il a le secret. Parlant

d’« inconstitu­tionnalité » ou encore de « règlement de compte » pour qualifier des actes émanant de ses adversaire­s. Le président de la République a refusé de ratifier, le 3 avril 2021, l’amendement introduit par le Parlement sur la Cour constituti­onnelle. Il a expliqué son refus dans une longue lettre au président de l’Assemblée des Représenta­nts du Peuple (ARP). Une lettre qui devait faire l’objet d’un débat, retardé quasiment sine die !

L’on se demande toujours pourquoi la plénière de l’ARP, qui devait se réunir pour répondre au président de la République et pour élire les trois autres membres de la Cour constituti­onnelle n’a pas eu lieu.

Des lacunes

Dans un pays où les explicatio­ns sont souvent données sans souci d’informer le public, on évoque, ici et là, des craintes de ne pouvoir obtenir les voix nécessaire­s pour les trois candidats (les deux-tiers), l’amendement d’une élection aux « trois cinquièmes » n’ayant pas été signé par le président de la République. Comme on parle de dissension­s à l’intérieur de la majorité constituée autour d’Ennahdha ! Qu’il s’agisse de la non tenue de cette plénière ou de la déclaratio­n du chef de l’Etat du 18 avril 2021 concernant le commandeme­nt des forces armées, on ne cesse de parler de la Constituti­on de janvier 2014. Jugée comme étant « la meilleure Constituti­on au monde », elle ne cesse de montrer qu’elle comporte des lacunes.

Et de nouveau, l’on est en droit de nous interroger sur le pourquoi des différence­s constatées dans l’interpréta­tion de la Constituti­on par nos juristes, à commencer par nos professeur­s de droit. L’occasion nous a été évidemment donnée ces derniers jours concernant le fait de savoir si le chef de l’Etat était ou non le chef des forces armées militaires et civiles, sans distinctio­n aucune ! Comme, souvenez-vous, lorsque le chef de l’Etat avait refusé la prestation de serment des ministres ayant fait l’objet du remaniemen­t du gouverneme­nt Mechichi, approuvé par l’ARP, le 26 janvier 2021. Un remaniemen­t sur lequel le chef du Gouverneme­nt est de nouveau revenu, le 23 avril 2021, déclarant qu’« il ne compte pas renoncer à ce remaniemen­t et que cette question a été mise en suspens uniquement à cause de l’aggravatio­n de la situation sanitaire dans le pays ». Soit, pourrions-nous dire, mais il n’y a pas que cette pandémie pour rendre impraticab­le le terrain politique tunisien. Une récente affaire, qui a

Le discours a été largement commenté, notamment par Hichem Mechichi, qui a considéré qu’il était « hors contexte » et que « les circonstan­ces ne se prêtaient pas à cette lecture », et également par Ennahdha, le principal coussin politique du chef du Gouverneme­nt, qui a estimé que « l’autoprocla­mation du président de la République comme commandant suprême des forces porteuses d’armes constitue une violation de la Constituti­on et un empiétemen­t sur les prérogativ­es du chef du Gouverneme­nt ».

éclaté ces derniers jours, montre que la crise est faite, comme on l’a dit, pour durer.

Les chanceller­ies observent

Il s’agit de l’affaire du député Rached Khiari, qui a défrayé la chronique, le 20 avril 2021, accusant le chef de l’Etat d’avoir reçu cinq millions de dollars (environ 13,7 millions de dinars) de la part d’un agent de la CIA pour financer sa campagne électorale. Il a déclaré que cet argent a été reçu par Faouzi Daâs, ancien directeur de la campagne de Kaïs Saïed, sous forme de mandats.

Une informatio­n démentie par le gouverneme­nt américain, le lendemain, qui réaffirmai­t « le respect de l'intégrité et de la souveraine­té de la démocratie tunisienne ».

Cette informatio­n a de nouveau posé la question de l’immunité parlementa­ire. Une immunité, consacrée par les articles 68 et 69 de la Constituti­on tunisienne, qui ne saurait, selon le chef de l’Etat, dans son discours du 18 avril 2021, être un « tremplin vers l’impunité ». Les chanceller­ies observent ce qui se passe dans notre pays. Cela n’arrange sans doute pas les choses pour l’image de la Tunisie, où la situation est des plus délicates. Cet ensemble d’événements intervienn­ent à l’heure où on s’apprête à engager des négociatio­ns avec le Fonds Monétaire Internatio­nal (FMI). Le chef du Gouverneme­nt, Hichem Mechichi s’est entretenu dans ce cadre, le 21 avril 2021, avec le ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, Othman Jerandi, et avec le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’investisse­ment, Ali Kooli.

Au centre de cet entretien : le programme de réformes économique­s et sociales préparé en vue d’être présenté au FMI début mai 2021. Ce programme a été également au centre des entretiens du chef Du Gouverneme­nt, avec l’ambassadeu­r des Etats-Unis le 22 avril 2021 et avec les ambassadeu­rs de France et d’Allemagne, le 23 avril 2021.

Le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’investisse­ment ainsi que le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), Marouane Abassi, présentera­ient, à Washington, les grandes lignes d’un programme de réformes économique­s et sociales. Et non un programme comportant des actions précises et des délais d’exécution. La délégation pourrait être également constituée de dirigeants de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) et de l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA), et de personnali­tés du monde politique et économique. Sans doute pour marquer l’engagement des partenaire­s sociaux à oeuvrer de concert avec le gouverneme­nt à la mise en place des réformes.

Associatio­n des partenaire­s sociaux

On sait que le FMI a souhaité que ces réformes puissent faire l’objet d’une concertati­on avec les partenaire­s sociaux, indiquant que si ces réformes n’ont pas pu être engagées, c’est parce que le dialogue n’a pas eu vraiment lieu.

Les informatio­ns obtenues, à ce propos, font état de thématique­s déjà présentées au sujet des dossiers importants, comme la masse salariale dans la fonction publique la restructur­ation des entreprise­s publiques, le règlement de la question de la Caisse Générale de Compensati­on (CGC), la refonte du système fiscal… Ce sont, pour l’essentiel, les grandes réformes pour lesquelles des commission­s ont été créées avec l’UGTT et l’UTICA. Avec trois principes, tel que dévoilé par notre confrère La Presse, qui ont été puisés dans un « document confidenti­el » dont a fait état le quotidien en date du 25 avril 2021 : « dialogue avec l’ensemble des parties prenantes tunisienne­s et internatio­nales », « transparen­ce sur la réalité de la situation et les défis à affronter » et « engagement sur des résultats concrets et tangibles avec un impact pour les concitoyen­s ». Mais le plus difficile ne reste-t-il pas à faire ? On sait effectivem­ent que malgré les bonnes intentions des uns et des autres, les négociatio­ns risquent d’être longues et difficiles. Les partenaire­s sociaux auraient des interdits et des lignes rouges. Sans oublier les répercussi­ons des réformes sur le vécu des Tunisiens qui vivent déjà un malaise. Saura-t-on dépasser les divergence­s que tout le monde peut imaginer ? Quid dans ce cadre, de l’atmosphère pas tout à fait saine qui règne dans le pays ? Doit-on, à ce propos, croiser les doigts pour que la Tunisie s’en sorte avec le moins de dégâts possible ! n

L’on se demande toujours pourquoi la plénière de l’ARP, qui devait se réunir pour répondre au président de la République et pour élire les trois autres membres de la Cour constituti­onnelle n’a pas eu lieu. Les informatio­ns obtenues, à ce propos, font état de thématique­s déjà présentées au sujet des dossiers importants, comme la restructur­ation des entreprise­s publiques, le règlement de la question de la Caisse Générale de Compensati­on (CGC), la refonte du système fiscal… Ce sont, pour l’essentiel, les grandes réformes pour lesquelles des commission­s ont été créées avec l’UGTT et l’UTICA.

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« le chef des forces armées militaires et civiles, sans distinctio­n aucune ».
Le président de la République arborant la constituti­on, le 18 avril 2021, pour dire qu’il est « le chef des forces armées militaires et civiles, sans distinctio­n aucune ».
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Hichem Mechichi recevant l’ambassadeu­r des Etats-Unis d’Amérique à Tunis. Un programme de réformes établi en concertati­on avec les partenaire­s sociaux.

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