Le vrai risque, c’est pour 2022
Finances publiques
Dans quelques semaines, toute l’attention sera portée sur les négociations avec le Fonds Monétaire International (FMI) et sur les questions budgétaires. Jusqu’à la rédaction de ces lignes, et contrairement à ses habitudes, il n’y a pas eu de publication de l’exécution du budget pour la première période en 2021, ce qui a accentué les inquiétudes quant à l’équilibre des comptes de l’Etat. Quelques chiffres ont filtré de la dernière note de la BCT, mais les analystes économiques restent encore sur leur faim.
Le grand point d’interrogation est la capacité du pays à parvenir à terminer l’année sans dégâts. Certains experts évoquent le scénario libanais. A l’aide des chiffres et des éléments qui sont aujourd’hui disponibles, nous allons tenter de trouver une trajectoire plausible de nos finances publiques pour les prochains mois.
Recettes amoindries
Le point de départ ne peut être que les réalisations de 2020. Le budget total s’est établi à 48 819 MTND, supérieur à la loi de finances 20 - LF 20 - (47 227 MTND), mais inférieur à ce qui a été estimé dans la loi de finances complémentaire - LFC 20 - (49 712 MTND).
En termes de recettes fiscales, et tenant compte des circonstances particulières de l’année, le niveau affiché est satisfaisant. Estimées initialement à 31 759 MTND dans la LF 20, puis révisées dans la version complémentaire à 26 407 MTND, les réalisations étaient de 27 147 MTND. La pandémie a donc coûté à l’Etat 4 612 MTND dans ce premier chapitre.
L’analyse de cette baisse nous apprend également plusieurs choses. Les impôts sur le revenu ont été fortement affectés, en perdant 706 MTND. Cela nous donne une idée du niveau de l’activité du secteur privé, car l’Etat n’a pas touché les rémunérations de ses fonctionnaires. D’ailleurs, nous retrouvons cela dans le taux de chômage. Pour l’impôt sur les sociétés, le manque à gagner était plus important : 888 MTND. Ici, il faut tenir compte des facilités de paiement que les autorités ont accordées aux entreprises, mais ce n’est pas tout. Pour les sociétés non pétrolières, la recette était bonne et quasiment en ligne avec ce qui a été prévu dans la LF 20 (32 MTND seulement d’écart). Le problème provenait des sociétés pétrolières qui n’ont payé que 509 MTND, contre 1 366 MTND prévus une année auparavant. Cette chute libre est expliquée par la baisse du prix du baril durant l’année par rapport à ce qui était attendu (65 USD pour le Brent), la résistance du dinar par rapport au dollar et le recul continu de la production nationale. Les problèmes dans les sites de production nous ont coûté une facture énergétique salée, et nous ont privés d’importantes rentrées d’argent. Au niveau des impôts indirects, le manque à gagner par rapport à la LF 20 est de 3 019 MTND. Le recul du commerce extérieur a causé un manque de 293 MTND au niveau des droits de douane. C’est l’autre facette des importations, souvent accusées de consommer les réserves en devises de l’Etat, alors qu’elles font gagner de l’argent sous une autre forme. La consommation a reculé et les droits qui lui sont afférents ont baissé de 268 MTND. Le coup le plus dur a concerné la TVA, qui a accusé une diminution de 1 775 MTND. Au niveau des recettes non fiscales, le manque à gagner était de 715 MTND. Nous retrouvons ici la question du recul du prix du pétrole dans les recettes de commercialisation des carburants avec 280 MTND effectivement collectés, contre 700 MTND initialement estimés. La baisse de la demande italienne sur le gaz algérien a également causé un amoindrissement de 218 MTND dans les revenus du gazoduc.
Il y a également un recul dans les revenus des participations. Alors que 1 389 MTND étaient attendus, seuls 933 MTND ont été encaissés. La déception provenait de l’ETAP, donc encore une fois, il s’agit du prix du baril. Enfin, il y a moins de dons étrangers. Révisés en octobre à 1 057 MTND, l’Etat n’a reçu que 779 MTND.
Charges inflexibles
Au niveau des dépenses de gestion, le coût était de 29 944 MTND contre 28 263 MTND dans la LF 20 et 30 387 MTND dans la LFC 20. La hausse des ces dépenses est une tendance qui a marqué les budgets de tous les pays du monde en 2020. Le principal poste est naturellement les rémunérations qui ont atteint 19 200 MTND. L’Etat a dépensé 578 MTND de plus en Biens et Services, provenant essentiellement des coûts exceptionnels causés par la pandémie et la constitution d’un stock stratégique de médicaments de 150 MTND au profit de la Pharmacie Centrale.
Les Interventions & Transferts ont totalisé 8 483 MTND contre 7 050 MTND estimés dans la LF 20. Le surplus provient essentiellement des subventions qui ont explosé à 4 486 MTND. Celles orientées vers les matières de base ont atteint 2 416 MTND
contre 1 800 MTND initialement prévus. Il y a également 100 MTND additionnels pour les sociétés de transport (600 MTND en tout), outre 935 MTND dans le cadre du plan anti-Covid avec des primes pour les familles nécessiteuses (330 MTND), le chômage technique (170 MTND), des primes en faveur des artisans (100 MTND), le coût de la revalorisation du salaire minimum (60 MTND) et la création d’une ligne de financement des PME (150 MTND). Au niveau des dépenses de capital, et contrairement à ce qui a été prévu, elles ont atteint 7 202 MTND, contre 7 166 MTND prévus dans la LF 20.
Moins de dettes extérieures, plus de dettes intérieures
Pour couvrir le déficit budgétaire, estimé à 10,4%, l’Etat a emprunté en total 15 897 MTND contre 11 248 MTND dans la LF 20 et 19 312 MTND dans la LFC 20. L’écart provient du marché local, car le Trésor a mobilisé 11 126 MTND contre 2 639 MTND initialement prévus. Les émissions des BTA ont totalisé 3 261 MTND (1 014 MTND prévus) et les BTCT 2 440 MTND (436 MTND prévus). Cela sans compter les emprunts en devises auprès des banques d’une valeur de 5 424 MTND.
Cependant, il y a eu moins de dettes extérieures, à 4 770 MTND contre 7 053 MTND dans la LF 20 et 7 364 MTND dans LFC 20. La Tunisie n’a pas pu accéder aux ressources de la BAD (585 MTND) et à une petite partie de l’appui budgétaire de la BIRD (251 MTND contre 715 MTND prévus). Idem pour l’Union européenne (153 MTND seulement contre 1 129 MTND) et la KFW (325 MTND contre 569 MTND). Cela sans compter l’absence de sorties sur le marché international qui n’a pas eu lieu, alors que l’Etat visait la levée de 3 431 MTND. A tout cela, il faut ajouter les 2 810 MTND obtenus dans le cadre de facilités accordées par la BCT pour financer les derniers mois de l’année.
Peu d’incertitudes sur les ressources propres en 2021
Pour 2021, l’Etat compte bien mobiliser 33 209 de ressources propres, dont 29 825 MTND de recettes fiscales, soit quasiment le même niveau de 2019 et beaucoup plus faible que ce qui a été estimé dans la LF 20. Concernant les recettes d’impôts issues des rémunérations et salaires, les niveaux restent logiques, car cela englobe les rémunérations publiques et privées. Pour les impôts sur les sociétés, l’Etat compte garder le même niveau de 2020 (3 143 MTND). Les prévisions pour les sociétés non pétrolières sont de 2 423 MTND, soit une baisse de 7,8% par rapport à 2020, contre une baisse des impôts sur les sociétés pétrolières à 720 MTND.
Ces estimations nous paraissent optimistes. L’impôt sur les sociétés dépend de celui des établissements financiers. Si nous prenons le cas de l’exercice 2019, les banques ont payé seulement 594,582 MTND. Cela signifie que les acomptes prévisionnels payés en 2020 sont de 535 MTND et ce, sans compter la contribution conjoncturelle (une taxe de 2% de la base imposable). Mais en 2020, les banques ont dégagé moins de bénéfices et vont payer significativement moins en 2021. La situation des sociétés s’est fortement dégradée, et un nombre élevé de PME risque de mettre la clé sous la porte, ce qui rend difficile les collectes d’impôts cette année. Pour ce qui est des sociétés pétrolières, et bien que le prix du baril soit favorable, la production nationale a fortement chuté et le départ envisagé de plusieurs sociétés qui opèrent en Tunisie compliquerait la tâche.
En matière d’impôts indirects, les estimations tiennent la route, surtout avec les hausses successives des prix des carburants. Cela permettrait de compenser la possible diminution des recettes des autres postes de consommation et de la saison touristique difficile qui se dessine.
Au niveau des recettes non fiscales, l’incertitude concerne essentiellement les dons, estimés à 800 MTND pour 2021. La BCT compte distribuer un dividende de 567 MTND et l’Etat doit donc
La situation des sociétés s’est fortement dégradée, et un nombre élevé de PME risque de mettre la clé sous la porte, ce qui rend difficile les collectes d’impôts cette année.
parvenir à collecter le reste de ses autres entreprises. Globalement, sur le plan des recettes, nous pensons que l’écart ne dépasserait pas les 2 milliards de dinars dans le pire des cas.
Comment baisser les charges ?
Au niveau des dépenses, elles sont parfaitement inflexibles. L’Etat doit payer 20 118 MTND de rémunérations et rembourser 8 347 MTND de services de la dette externe. Il doit également assurer au moins une partie significative des dettes internes (8 347 MTND). L’Etat a une marge de manoeuvre à ce niveau via les adjudications d’échange avec les opérateurs locaux.
Avec les augmentations des prix du carburant, les subventions qui étaient de 1 470 MTND en 2020, devraient significativement baisser, ce qui allégera les charges et l’objectif de réduire le poste Interventions & Transfert de 2 812 MTND. L’autre poste que l’Etat pourrait toucher, ce sont les dépenses en capital, de 8 286 MTND en 2021. Nous pensons qu’il devrait piocher à ce niveau car il serait difficile d’accéder au niveau estimé de ressources en devises sans un accord avec le FMI.
La Tunisie compte obtenir des appuis budgétaires de 5 505 MTND, dont 1 005 MTND de l’UE, 1 196 MTND de la JICA et 856 MTND de l’AFD. 6 560 MTND seraient également sollicités des marchés internationaux, quelque chose d’impossible actuellement avec le rating actuel et l’absence d’un accord avec les institutions de Bretton Wood.
Plus la mobilisation des fonds étrangers reculent, plus l’Etat ne pourra pas engager des dépenses en capital et se contentera de couvrir le nécessaire. L’autre possibilité de réduire les dépenses est le report du paiement de quelques échéances extérieures. Nous n’avons pas d’idées sur le sort des 250 MUSD à payer au Qatar, mais il y a d’autres montants plus importants : 1 000 MUSD, répartis équitablement entre juillet et août 2021 pour un crédit garanti par les Etats-Unis, et 203 M€ et 52 MUSD au profit des banques locales. Si pour ces derniers, un reprofilage reste possible, les 1 000 MUSD sont à régler et pourrait nous coûter l’équivalent de 20 jours d’importations.
Le FMI est un passage obligatoire
Globalement, nous ne pouvons pas prédire que l’Etat risque un défaut de paiement en 2024. Il ne faut pas oublier qu’il a la possibilité d’intervenir au niveau de la dette locale, outre la carte de la sortie sur les marchés avec la garantie américaine dans la limite de 1 000 MUSD. Toutefois, l’accord avec le FMI est primordial, car si nous pouvons nous en sortir en 2021, son absence signifie un défaut de paiement pour de bon en 2022. Nous n’avons pas le choix à ce niveau. Au rythme actuel, il ne faut pas espérer de signer avant l’été, ce qui permettrait de finir l’année dans de meilleures conditions par rapport à 2020. Ce qui est sûr, c’est qu’un deuxième recours aux facilités de la BCT n’est pas envisageable, car l’opération n’a pas été appréciée par les bailleurs de fonds n
La Tunisie compte obtenir des appuis budgétaires de 5 505 MTND, dont
1 005 MTND de l’UE, 1 196 MTND de la JICA et 856 MTND de l’AFD. 6 560 MTND seraient également sollicités des marchés internationaux,