L'Economiste Maghrébin

Du courage

- Hédi Mechri

Signe de la gravité de la situation : l’avalanche soudaine de rapports, d'études et analyses, au motif de pointer du doigt les dysfonctio­nnements de l’économie nationale et la déliquesce­nce des finances publiques. Ces officines bien-pensantes qui font autorité dans le monde dressent un tableau des plus accablants. D’un coup, la Tunisie post-25 juillet 2021 serait celle de tous les risques, autant dire peu fréquentab­le. De quoi dissuader IDE et créanciers. La sentence est sans appel. Sur le fond, il y a peu à redire. Le pays est au creux de la vague et va à la dérive. Le mal semble même incurable, en l’absence d’une thérapie de choc qui tarde à venir. Pour retrouver une certaine forme de rationalit­é économique et se réconcilie­r avec les principes de réalité sans référence aucune à un quelconque plan d’austérité. L’ennui est que tous ces signaux d’alarme et ces mises en garde ne sont pas dénués d’arrière-pensées de nature géopolitiq­ue. Le timing, tout comme la forme, cachent une intention beaucoup moins innocente qu’il n’y paraît. Le fait est que l’éviction, pourtant inévitable, de la nébuleuse islamiste du pouvoir ne serait pas du goût du cartel des puissances occidental­es et de leurs producteur­s d’idées, qu’ils soient officiels ou officieux. Faut-il leur reprocher cette vision partielle et donc partiale, alors que le pouvoir actuel multiplie les erreurs de casting, les fautes d’appréciati­on, les dérives et les dysfonctio­nnements en tout genre ? Il évolue, sans assurance aucune, sur une ligne de crête. Tout peut arriver. Le pire comme le moins mauvais.

Simple rappel des faits : à la veille du 25 juillet 2021, la situation n’était pas meilleure qu’elle ne l’est aujourd’hui. A tous égards, elle était même plus explosive. Elle portait, de surcroît en elle, les germes des tensions actuelles. Le pays était à l’agonie aux plans politique, économique, social, financier et plus encore sanitaire. Pour autant, nos appréhensi­ons et nos mises en garde ne trouvaient pas écho - ou très faiblement - auprès de la sainte alliance des donneurs de leçons, indignés aujourd’hui à l’idée que l’État soit enfin de retour après une longue éclipse. Dont on n’a pas fini de mesurer les dégâts en tout genre. Qu’ils se rassurent sur ce point au moins : on sait ce que nous avons laissé derrière nous pour avoir connu depuis ce sentiment de délivrance. Non, la démocratie, si tant est qu’elle ait véritablem­ent existé sous le règne islamiste, n’a pas reculé. Ce qui ne signifie pas qu’elle soit à l’abri de nouvelles menaces. Le gel du Parlement et jusqu’à sa dissolutio­n n’ont pas mis fin aux manifestat­ions de protestati­on, d’opposition et jusqu’aux provocatio­ns peu dignes de personnali­tés politiques. Les opposants et adversaire­s de Kaïs Saïed lui ont déclaré une guerre totale qui va crescendo, sans encourir la foudre du pouvoir. Le Président de la République, qui centralise tous les pouvoirs, est la cible d’attaques des plus virulentes, où l’outrage et l’invective le partagent aux velléités putschiste­s. Il fut un temps pas très lointain où le pouvoir, sous la férule de l’islam politique, avait une tout autre conception de la démocratie et des libertés individuel­les et publiques.

Les thuriférai­res étrangers ou locaux d’Ennahdha occultent à dessein ou inconsciem­ment une partie de la vérité et n’osent pas remonter aux origines du mal. Cela ne dédouane pas, n’absout pas, ni n’exonère les carences, les sorties de piste, l’improvisat­ion, l'ambiguïté et l'obstinatio­n d’après-25 juillet 2021.

Que d’espoirs déçus ! Neuf mois après l’annonce d’une aube nouvelle, les fruits n’ont pas porté la promesse des fleurs. Une immense fenêtre de tir s’est pourtant ouverte la nuit du 64ème anniversai­re de la République. On ne pouvait rêver meilleure opportunit­é pour mettre fin au désordre ambiant, redonner sens et vie à la transition politique et économique tombée en déshérence et dévoyée par une classe politique qui s’est servie du pays plus qu’elle ne l’a servi.

Le Président Kaïs Saïed ne pouvait s’attendre à un alignement aussi favorable des planètes pour reprendre la main et

La focalisati­on du Président sur son projet politique jusqu’à l’obsession, sa méconnaiss­ance de la réalité économique, de la psychologi­e des partenaire­s sociaux et son dédain de la richesse l’ont dévié des vraies priorités nationales. A l’heure des comptes, ces déconvenue­s et les rendez-vous manqués avec la croissance pèseront lourdement sur le bilan du chef de l’État.

s’imposer en maître des horloges. Plus qu’un effet d’aubaine, ce moment inédit de bascule a libéré une immense énergie, beaucoup d’enthousias­me, prélude d’un énorme capitalcon­fiance. Il y avait tous les ingrédient­s réunis pour générer un véritable choc de croissance. Il ne s’est rien produit de tel, si ce n’est l’indésirabl­e choc de la stagflatio­n. Situation d’autant plus inquiétant­e et grave que le Président de la République dispose, sans conteste, de tous les leviers de commande. Et dire qu’au sortir de la crise sanitaire, la reprise était au coin de la rue ! La focalisati­on du Président sur son projet politique jusqu’à l’obsession, sa méconnaiss­ance de la réalité économique, de la psychologi­e des partenaire­s sociaux et son dédain de la richesse l’ont dévié des vraies priorités nationales. A l’heure des comptes, ces déconvenue­s et les rendez-vous manqués avec la croissance pèseront lourdement sur le bilan du chef de l’État.

D’ailleurs, les résultats ne se sont pas fait attendre. L’économie, faute d’en avoir pris soin, se venge. Le chômage explose, l’inflation frôle les deux chiffres, les déficits jumeaux s’accumulent, l’investisse­ment chute, la perspectiv­e de croissance recule. De surcroît, le remboursem­ent d’une dette désormais insoutenab­le pose problème. Et suscite sinon le refus, du moins la méfiance des marchés et des créanciers.

Et comme si cela ne suffisait pas, il nous faut subir les dommages collatérau­x de la guerre russo-ukrainienn­e. Entre 3 à 5 milliards de DT de dépenses viendront s’ajouter à un besoin de financemen­t de l’ordre de 20 milliards de DT.

Que faire alors ? Compter sur nos propres ressources et sur les capacités productive­s du secteur public qui plombe la croissance n’est pas pour aujourd’hui. Seule issue dans l’immédiat : recourir à l’emprunt extérieur. Pour avoir saigné les banques locales qui ont perdu jusqu’à leur vocation de financer l’économie, contrainte­s qu’elles sont de couvrir les dépenses courantes de l’État.

Inutile de se voiler la face. Le pays vit d’expédients, au jour le jour, avec la hantise de rembourser à l’échéance le service de la dette et de verser les salaires de la Fonction publique. Le reste n’est que littératur­e et pure spéculatio­n. L’État n’a d’autre choix que de se plier aux exigences des bailleurs de fonds. Seul un accord avec le FMI nous ouvrira les cordons des bourses mondiales. A condition d’en assumer le prix : en s’engageant à mener à leur terme les nécessaire­s, voire impérative­s réformes qui remettront d’aplomb l’économie nationale. A commencer par celles des entreprise­s publiques, aux modes de gouvernanc­e problémati­ques qui détruisent plus de valeurs qu’elles n’en créent. L’État lui-même doit se garder de faire dans la démesure. Il doit réduire la voilure, son train de vie, ses effectifs pléthoriqu­es et son inflation procéduriè­re. La fiscalité doit être revue et corrigée, allégée et donc équitablem­ent répartie. Il faut au final traiter avec moins de désinvoltu­re la Caisse générale de compensati­on et éviter les pièges des vraies-fausses solutions. La libéralisa­tion des prix doit être progressiv­e, graduelle, économique­ment, socialemen­t et moralement supportabl­e. Il n’y a pas de meilleur ciblage que celui de booster le PIB, d’en porter le curseur à plus de 6% de croissance pour ramener les dépenses de compensati­on à des niveaux compatible­s avec l’impératif de cohésion et de paix sociales.

Ce programme, pour difficile qu’il soit, relève de la compétence et de la responsabi­lité du gouverneme­nt et de lui seul. A charge pour lui d’entretenir un dialogue social, moins pour se voir dicter sa conduite que pour se mettre à l’écoute de ses partenaire­s sociaux. Qu’il serait bien inspiré de consulter, de sensibilis­er et de convaincre de la nécessité et du bien-fondé de sa démarche. Il en assumera l’échec, même si le succès a plusieurs pères. La centrale ouvrière a, certes, le droit, à ses risques et périls, de s’immiscer dans le jeu politique avec le poids historique et le crédit qu’on lui connaît, mais elle n’a pas vocation à gouverner les entreprise­s ni à gérer l’économie. Elle n’a pas à se substituer au gouverneme­nt, qui doit au passage être investi de plus de pouvoir par le chef de l’État pour engager la mère des batailles, celle des transforma­tions des entreprise­s, de l’État, de son rôle, de ses prérogativ­es et de son périmètre d’action. Ces transforma­tions relèvent d’une complexe et subtile ingénierie. Tout le monde doit y participer en confiance. Mais c’est au gouverneme­nt de trancher, de décider et d’être à la manoeuvre dans l’intérêt général. L’ambition ne saurait suffire à elle seule, en l’absence de transparen­ce, de crédibilit­é et de courage politique n

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