Ne sommes-nous pas dans le flou ?
Le chef de l’Etat a posé deux conditions pour une participation au dialogue national.
Ce dialogue doit être mené sur la base de la consultation nationale électronique qui a rassemblé quelque 540 000 âmes. Un échec, selon certains. Ensuite, il ne doit pas rassembler ceux « qui ont opéré un coup d’Etat », ceux « qui veulent diviser la population », ceux « qui recourent à la violence, ceux « qui pillent les richesses de l’Etat », ainsi que ceux « qui ont volé les Tunisiens et nui à leurs intérêts ».
L’UGTT estime que le président de la République doit préciser les contours de sa pensée. Et elle n’est sans doute pas la seule partie à le penser. Cela veut-il dire que ce dialogue doit entériner les résultats de la consultation nationale
Circulez, il n’y a rien à voir. Mercredi 6 avril 2022, Kaïs Saïed est venu, à Monastir, rendre un hommage au père de la nation, Habib Bourguiba, à l’occasion du 22ème anniversaire de sa mort. Il présente alors les réformes politiques qui seront introduites dans la prochaine Constitution. Ainsi, le vote sera fait pour des personnes et non pour des partis politiques, avec un scrutin uninominal à deux tours. La composition de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) sera remaniée. Etonnement dans les rangs de certaines franges de l’opinion et des composantes de la société civile ! Ces réformes, qui seront soumises à référendum, ne devaient-elles pas être fixées au cours du dialogue national attendu pour les jours prochains ?
Pour certains, ces annonces prouvent de nouveau que le chef de l’Etat continue de faire cavalier seul et de vouloir appliquer le programme qu’il s’est déjà choisi pour la Tunisie ! Preuve supplémentaire de ce l’on pourrait appeler le fait du prince : le président de la République a annoncé ce qui semble être deux conditions sine qua non pour l’organisation du dialogue national. Celui-ci sera organisé sur la base de la consultation électronique nationale, tenue entre janvier et mars 2022, et ne pourra voir que la participation d’une partie du paysage politique et social. Ceux « qui ont opéré un coup d’Etat », ceux « qui veulent diviser la population », ceux « qui recourent à la violence » et ceux « qui pillent les richesses de l’Etat » ainsi que ceux « qui ont volé les Tunisiens et nui à leurs intérêts » seront exclus.
Une consultation jugée orientée
Les jeux sont, pour ainsi dire, faits. D’une part, le dialogue national aura lieu, selon
Le tout est de savoir si un dialogue national tel que défini par le chef de l’Etat le 6 avril 2022 peut obtenir l’aval de la classe politique et de la société civile. Et pas seulement. Les partenaires de la Tunisie, qui ne manquent pas, malgré les discours sur l’ingérence, de fourrer leur nez dans les affaires du pays, se tairont-ils ?
les opposants et contradicteurs du premier magistrat de la République, sur la base d’une consultation qui a rassemblé - seulement quelque 540 000 Tunisiens (7% du corps électoral de 2019) et dont le contenu a été critiqué parce qu’il ne comporte pas toutes les questions qui doivent être débattues. Sans oublier que cette consultation électronique a été jugée orientée.
D’autre part, un peu plus de 40% de la représentation nationale telle que dessinée par les législatives de 2019 (Ennahdha, Qalb Tounes et la coalition Al-Karama) ne pourraient pas vraisemblablement faire partie de ce dialogue. Certes, les élections de 2019 sont bien loin et la représentation de ces partis n’est plus, si l’on en croit les sondages de ces derniers mois, ce qu’elle était. De plus, ces partis ne bénéficient plus de la sympathie de nombre de Tunisiens. Cela veut-il dire qu’ils n’ont plus de place dans le paysage politique ? Le tout est de savoir si un dialogue national tel que défini par le chef de l’Etat le 6 avril 2022 peut obtenir l’aval de la classe politique et de la société civile. Et pas seulement. Les partenaires de la Tunisie, qui ne manquent pas, malgré les discours sur l’ingérence, de fourrer leur nez dans les affaires du pays, se tairont-ils ? Un tel dialogue sera-t-il aussi « inclusif » qu’ils le voient ? Qu’est venue faire, à ce propos, Claire Bazy-Malaurie, la présidente de la Commission de Venise, début avril 2022, à Tunis ? La Commission de Venise est une structure européenne dont l’objectif est d’apporter une aide constitutionnelle. Et quelle sera l’attitude de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et d’autres partenaires qui ont été reçus, ces derniers jours, au Palais de Carthage dans le cadre de l’organisation du dialogue national ? L’UGTT ne semble pas avoir tout dit. Même si tout le monde sait que la principale centrale syndicale du pays est sans doute d’accord avec certaines intentions du chef de l’Etat quant à l’organisation de ce dialogue. Reste que l’UGTT ne cesse de marquer sa différence. Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’interview publiée, le 7 avril 2022, par l’hebdomadaire de l’UGTT, Achaab, du secrétaire général, Noureddine Taboubi. Une interview où il avance avec un discours largement nuancé.
Un climat loin d’être sain
Tout d’abord, le chef de l’Etat n’a pas levé totalement le voile sur le dialogue qui se doit d’aborder des questions politiques, économiques et sociales. Deuxièmement, ce dialogue devra voir la participation des forces qui « comptent » dans le paysage tunisien. Même s’il a déclaré qu’il ne pourrait pas voir la participation des 200 partis que compte le pays. Troisièmement, un Comité de sages devra jouer un rôle dans le rapprochement des points de vue des parties participantes à ce dialogue. Enfin, l’audience accordée, le 1er avril 2022, par le président de la République à l’UGTT, dans le cadre de la préparation de ce dialogue national, n’a été que protocolaire et n’a pas abordé véritablement ce dialogue.
On sait d’expérience, comme le dit le proverbe, que le diable est dans les détails et qu’à ce titre, les deux parties (la présidence de la République et la centrale syndicale) pourraient être en désaccord. Ce qui est de nature à rendre on ne peut plus difficile la tenue de ce dialogue national, d’autant plus que le climat est loin d’être sain entre elles. Le secrétaire général de l’UGTT a dit clairement, dans la même interview, que les relations resteront « tendues » avec le gouvernement tant qu’il ne se départira pas de solutions qui « ne vont pas au fond des choses concernant les réformes qui pourraient créer la richesse ».
Au-delà même de la composition du parterre qui participera au dialogue national, nombre d’observateurs s’interrogent sur les différents écueils concernant les thématiques qui vont devoir être traitées. On sait que l’UGTT ne lâchera pas prise notamment concernant certaines questions. Des questions en relation, pour l’essentiel, avec les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et qui concernent quatre points vitaux au sujet desquels l’UGTT a déjà dit son mot : le gel des salaires, l’arrêt des recrutements pour un temps dans les structures de l’Etat, l’abandon de la politique de compensation et la privatisation de certaines entreprises publiques. Ce qui n’est pas peu. Un canevas clair, net et précis Reste que le plus important, dans ce chapitre, est que les relations entre le gouvernement et l’UGTT sont marquées, semble-t-il, par une crise de confiance. L’UGTT pense que le gouvernement ne dit pas tout concernant la situation dans le pays. En effet, la principale centrale syndicale du pays a plusieurs fois demandé au gouvernement de présenter un canevas clair, net et précis. Elle pense, dans ce cadre, que les solutions préconisées ne sont là que pour jouer momentanément au
pompier. Elle estime aussi que le gouvernement n’est pas dans une approche de coopération avec la société civile et plus particulièrement avec elle. En témoignent les engagements pris par le gouvernement avec le FMI sans qu’ils soient négociés avec les partenaires sociaux. L’UGTT est allée jusqu’à dire que le gouvernement a fait comprendre au FMI que cela a été le cas. Voici ce que pense Afif Chelbi, ancien ministre de l’Industrie et ancien président du Conseil des analyses économiques, qui nous a accordé une longue interview dans le présent numéro : « Ma vision est que lorsqu’on se met à table avec l’UGTT et qu’on propose une vision claire où chaque partie trouve son compte, chaque fois que cela s’est fait, l’UGTT s'est montrée compréhensive. L’UGTT est dans son rôle d’être revendicative. Maintenant, si on engage un dialogue sectoriel sérieux avec la centrale syndicale et avec la centrale patronale et également avec la Banque centrale et les banques, on arrivera à des résultats. L’UGTT est une organisation nationale qui croit en la nation ». De toute manière, la situation économique du pays n’est pas là pour faciliter les choses dans les relations gouvernement-UGTT. Et pour revenir à l’interview du secrétaire général de l’UGTT du 7 avril 2022, on ne peut que souligner cette observation de Noureddine Taboubi quant au fait que les préoccupations des Tunisiens se focalisent aujourd’hui sur les pénuries que l’on observe concernant les produits de base. Et que la centrale syndicale « ne peut se taire quant à cette situation ». Publié il y a quelques jours par l’Institut national de la statistique (INS), le taux d’inflation annoncé pour le mois de mars 2022 n’a pas manqué de susciter des craintes : 7,2%. Ce dernier poursuit donc une tendance haussière : 6,7% en janvier et 7% en février 2022. Il atteindrait à la fin de l’année même 10% !
Au sujet de la pénurie des produits de base, et malgré les déclarations des responsables quant à l’approvisionnement régulier du marché et la lutte sans merci contre la spéculation, certains produits manquent encore à l’appel. Une sorte de « rationnement » est pratiquée dans certains magasins, où il est interdit aux consommateurs d’avoir plus que deux ou trois paquets de farine, par exemple. Quand des produits comme la semoule sont introuvables, cela fait envoler par exemple le prix de la feuille de brick « malsouka », largement utilisée au cours du mois de Ramadan, et qui a été négocié jusqu’à 2 dinars la douzaine (entre 1 et 1,2 dinar les mois précédents).
Les mêmes stratagèmes !
Et la question lancinante de savoir si les autorités sont en train d’approvisionner comme il se doit le marché est dans tous les esprits. Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le journaliste et activiste politique, Omar Shabou, n’y va pas par quatre chemins et dit : « les autorités sont en train de nous berner. Elles mentent ». Pour lui, Kaïs Saïed ne fait pas mieux que ceux qui ont dirigé le pays avant le 25 juillet 2022. Il utilise les mêmes stratagèmes ! Même son de cloche du côté de Fadhel Abdelkafi, président d’Afek Tounes, dans une vidéo postée le 6 avril 2022, sur sa page Facebook : « Nous sommes sur le même scénario que celui du Liban », assurant que le gouvernement de ce pays « devient incapable d’importer du blé et de payer les salaires des fonctionnaires publics ». Intervenant sur une chaîne tunisienne privée au sujet du plan de relance présenté par Samir Saïed, le ministre de l'Economie et de la Planification, au début de ce mois, le président d’Afek Tounes a eu cette phrase : « Trop tard, trop peu ». Il a jugé que le ministre de l'Economie et de la Planification « a mis cinq mois pour dresser le diagnostic que tout le monde a posé, à l’intérieur et à l’extérieur de la Tunisie ». Evoquant l’objectif du plan de relance économique qui est de « rétablir la confiance des opérateurs économiques », il a soutenu ceci : « N‘entend-il pas les discours du Président sur la confiance ? De quelle confiance parle-t-il lorsqu’on ne sait pas faire la différence entre spéculateur illégal et approvisionnement du marché et de l’économie ? Est-ce qu’il ne s’agit pas plutôt de casser la machine économique, lorsque vous faites irruption chez un pâtissier qui garde 20 kilos de farine, ou chez un industriel qui stocke de l’eau minérale pour la haute saison, que vous les confisquez et que l’industriel est jeté en prison ? Le résultat est que tout le monde va lever le pied et la machine économique s’arrêtera ». Prononcés à quelques jours de la visite à Washington d’une délégation tunisienne, dans le cadre des négociations avec le FMI, ces propos ont eu un certain écho dans le milieu des affaires et font réfléchir plus d’un n
La question lancinante de savoir si les autorités sont en train d’approvisionner comme il se doit le marché est dans tous les esprits.
Intervenant sur une chaîne tunisienne privée au sujet du plan de relance présenté par Samir Saïed, le ministre de l'Economie et de la Planification, au début de ce mois, le président d’Afek Tounes a eu cette phrase : « Trop tard, trop peu ». Il a jugé que le ministre de l'Economie et de la Planification « a mis cinq mois pour dresser le diagnostic que tout le monde a posé, à l’intérieur et à l’extérieur de la Tunisie ».