Le cycle populiste
L’existence d’un cycle populiste inauguré par Kaïs Saïed, correspond à des phénomènes politiques associés à la non-viabilité de la démocratie dans une société ayant été insuffisamment intégrée à un régime de liberté.
La sagesse de l’Egypte ancienne émane d'une civilisation de la parole, écrite ou orale, dont les scribes, qu’on appelait les silencieux, détenaient le secret. La parole était le point de départ indispensable pour faire une fructueuse carrière, mais aussi une ascèse très exigeante qui gouvernera la conduite du fonctionnaire à travers les étapes de son ascension vers les plus hautes dignités. « Chez les Grecs, écrivait Fénelon, tout dépendait du peuple, et le peuple dépendait de la parole ». La civilisation antique toute entière est une civilisation de la parole, qui incarne l’aptitude au commandement et à la contrainte et permet seule de parvenir au pouvoir et au culte de la figure du chef.
Ainsi, pendant des millénaires, la civilisation a été définie comme une culture où les paroles ont prévalu. L’émergence de l’humanité supposait cette première révolution que constitue le passage du monde vécu au monde parlé. Elément constitutif de la communication humaine, la parole est donc fortement liée à l’histoire de la pensée et exprime les moments décisifs de la vie politique et sociale.
Il en va tout autrement du sens de l’écoute, qui n’est pas un comportement naturel de l’humain, principalement en politique. Elle requiert en effet un grand effort sur soi et une grande concentration. L'habitude que nous avons d'écouter, nous met à même de recevoir de tous ceux qui nous entourent une certaine somme de clarté et beaucoup de sujets de réflexion.
Si l’homme politique existe à travers ce qu’il dit, en assumant la responsabilité de propos tenus dans l’exercice de son rôle, il existe aussi à travers l’écoute qui se veut plus ou moins approbation. Prêter l’oreille, c’est donner un peu de soi. En matière de prise de parole, de la pensée qu'elle exprime et de la prudence qu'on doit mettre à la manier, Kaïs Saïed n’a pas le savoir-faire d’un charmeur de serpents. Loin s’en faut. Aussi, dès qu’il se met à discourir, il assomme tout le monde par sa rengaine populiste et le rejet de l’élite qui concentre trop de pouvoir et accumule trop d’argent.
Le devoir de tout leadership politique
Par ailleurs, dans tout entretien, du fait qu’il possède sur n'importe quel sujet des opinions inébranlables, il ne cherche pas à comprendre ce que son interlocuteur lui dit, du moment qu’il n'écoute que luimême. Incapable d’assumer un discours contradictoire, il évite tout débat ou toute question polémique qui l’astreindrait à se justifier ; il évite toute situation conflictuelle qui le mettrait face à d’anciennes déclarations allant à l’encontre de sa position politique actuelle. Tous ses discours, déclamés avec emphase contre l’injustice et les abus, sont régis par des rituels télévisuels ne se référant qu’à tout ce qui fâche. A cette fin, ses services organisent pour l’occasion la scène énonciative à sa convenance, lui permettant de présenter sa vision politique à l’instance citoyenne en profitant des avantages que lui offrent ses allocutions télévisées, aussitôt relayées par les réseaux sociaux. Or, RIEN dans ses propos n’est de l’ordre du constructif. RIEN ne s’adresse à ceux qui auraient tout à apprendre sur les choix politiques et les enjeux pour préparer l’avenir du pays. ENCORE MOINS l’annonce de réformes vitales qui pourraient susciter l’adhésion ou les réticences.
Chez lui, le devoir de tout leadership politique, qui consiste normalement à faire comprendre ce qu’il pense et ce qu’il a décidé de faire pour le bien de la collectivité, laisse place aux véhémentes diatribes à l’encontre des ennemis du peuple. Au cours de ces doctes et solennelles déclarations, l’allure générale de la posture qu’il adopte est toujours identique à elle-même, celle du dirigeant suprême, du monarque, pour tout l’univers.
Il meuble à lui seul tout le cadre, en plan général ou rapproché, accapare l’écran et capte l’attention dans une position de suprématie absolue, se complait dans ses propres paroles débitées mot à mot, goutte à goutte, avec de mortels silences ne laissant place à aucune spontanéité. Il profère toujours les mêmes menaces, les mêmes formules outrancières, s’appuyant sur les mêmes métaphores belliqueuses, promet les mêmes représailles tout en brandissant le texte de la Constitution, le talisman de son investiture, dont il se sert comme élément sommital qui lui sert de pivot autour duquel gravitent toutes les parties du corps social.
Dialogue national : pour quoi faire ?
Bien que la théorie de la démocratie représentative organise et encadre la parole conférée aux gouvernants, Kaïs Saïed n’arrête pas de parler au nom du peuple, il croit même parler à sa place, mais en retour, celui-ci se reconnaît de moins en moins dans ce qui est dit en son nom. Non seulement, il peine à travailler sa présentation de soi pour apparaître aux yeux du peuple souverain plus compétent, plus sympathique et plus proche, mais il se rend compte qu’il est incapable de décider, seul contre tous, un plan d’urgence face à la dégradation des conditions de vie de la multitude souffrante qu’il chérit tant. Aujourd’hui, la situation désastreuse que traverse le pays le pousse à contrecoeur à rappeler tous les proscrits, les exilés et les bannis avec lesquels il entend entamer un Dialogue national. Pour faire l’inventaire de positions irréductiblement opposées ou divergentes et en rester là ? Ou bien pour entamer un dialogue qui imposera à toutes les parties le sens du temps qu’il s’agit, non pas de suivre, mais de produire ? Voilà donc que notre donneur de leçons, forcé d’écarter provisoirement le peuple pour se tourner vers les corps intermédiaires, s’ouvre aux représentants de la société civile, multi
plie les audiences : UGTT, représentants du patronat, vice-président de l'Instance supérieure indépendante pour les élections, etc. Mais avant de pouvoir établir une relation durable, encore faut-il être à l’écoute, accepter d’engager un débat contradictoire, faire preuve d’empathie, se défaire de ce délire paranoïaque, qui fait de tous les riches des affameurs du peuple, qui rend les juges véreux, les avocats corrompus, les opposants politiques des traitres. Il faudrait percevoir le monde autrement que du seul prisme d’une obsession nouvelle pour les vertus publiques où prévaut l’idée d’une moralisation contrainte de l’Homme comme domination de chacun sur soi. Le recours au terme peuple est rarement tout à fait innocent. Son invocation relève d’une stratégie verbale susceptible d'augmenter la légitimité des options politiques que défend un politicien. Ce dernier, l’identité partisane lui faisant défaut, s’est, dès le départ, présenté comme le défenseur de la volonté populaire. Le fait d'investir le terme « peuple » d'un enjeu de pouvoir montre qu'il y a là un terrain propice à l'analyse des modalités de référence au peuple, que chacune conçoit de façon différente concernant les liens entre gouvernants et gouvernés. L’existence d’un cycle populiste inauguré par Kaïs Saïed, correspond à des phénomènes politiques associés à la non-viabilité de la démocratie dans une société ayant été insuffisamment intégrée à un régime de liberté. Le processus de transition, particulièrement turbulent, a empêché un accès pérenne à la citoyenneté et à la morale civique, jalons essentiels pour la participation de tous à la modernité politique. Au lendemain de la chute du régime, la constitution à profusion de partis politiques souvent sans projet, créés sur des coups de tête et naissant comme par enchantement, avait suscité un scepticisme sur la capacité d’une démocratie aussi hybride à promouvoir le bien commun. Pendant dix ans, la politisation des masses n’était ni guidée ni orientée comme elle aurait dû l’être, afin d’alimenter les partis démocratiques. Tout en défendant le régime constitutionnel et tout en garantissant les libertés fondamentales, ces associations étaient toujours en quête de modernisation, égarées entre différentes tendances : gauchiste, populaire, progressiste, nationaliste, traditionaliste, démagogique et, signe de la suprême malédiction, un mouvement d’obédience islamiste qui a fini par ruiner le pays. De même qu’il n’y a pas d’idéologie commune qui définit le populisme, il n’y a pas une identité unique qui constitue « le peuple ». Il peut s’agir d’ouvriers, de paysans, de fonctionnaires, de cadres ou d’entrepreneurs. Des masses hétérogènes ni médiatisées ni institutionnalisées et à peine organisées. Ce vocable peut englober aussi bien les pauvres que les représentants de la classe moyenne. Il n’y a pas non plus d’identification commune de « l’élite ». Les référents exacts du « peuple » et de « l’élite » ne définissent pas le populisme, ce qui le définit, c’est plutôt le conflit qui les oppose.
Les arguments de campagne d’un leader populiste fonctionnent souvent comme des signes avant-coureurs d’une crise politique, à un moment où les gens perçoivent les normes politiques dominantes, qui sont préservées et défendues par l’establishment, comme étant en contradiction avec leurs propres espoirs, craintes, et préoccupations. Le leader populiste vient traduire ces préoccupations et les encadre dans une politique qui oppose le peuple à une élite intransigeante et jalouse de ses intérêts. Ce faisant, il devient un catalyseur du changement politique. Considéré comme étant aussi indéterminable qu’imprévisible, le leader populiste peut, selon les circonstances, encourager la démocratisation ou l’autoritarisme. Il sera modernisateur, réactionnaire ou carrément tyrannique.
Une insupportable ingérence
Sur le plan de la politique économique, Kaïs Saïed appelle au peuple souverain comme à une entité homogène dépositaire de valeurs fondamentales contre certains ennemis locaux ou internationaux qui menacent ces valeurs : oligarchie, classe politique, capital étranger, institutions internationales. Il se retrouve à l’aise dans la configuration du modèle populiste dans sa quête d’un équilibre à établir entre des groupes sociaux distincts, médiatisé par un État arbitre. Partisan d’une approche keynésienne démodée, il se montre réfractaire aux programmes de réformes structurelles qui réduisent la taille de l’État, la dépense publique, privatisent les entreprises nationales, ouvrent l’économie à la compétition internationale et entament le coeur même de la logique de souveraineté du pays qui sera vécue comme une insupportable ingérence. L’arrivée au pouvoir du leader populiste, qu’il soit de gauche ou de droite, traditionaliste ou moderniste, progressiste ou réactionnaire, porte généralement atteinte à l’activité économique et les dommages provoqués s’avèrent massifs et durables : chute du PIB, dérapage du déficit budgétaire, inégalités de revenu, augmentation du chômage, inflation, baisse du pouvoir d’achat. Cette contraction de l’activité n’est certainement pas le « prix à payer » pour une amélioration, même relative, de la situation des plus modestes. Suite à son arrivée au pouvoir, et alors qu’il n’arrête pas de promettre d’améliorer le sort du « peuple », le dirigeant populiste ne fait qu’exacerber les tensions économiques et les conflits politiques par une dégradation du cadre institutionnel, notamment des contrepouvoirs comme l’indépendance de la justice et la liberté de la presse. Un épisode au terme duquel le dirigeant populiste « s’autodétruit ».
Dans l’histoire du populisme depuis le XXème siècle, on a identifié une cinquantaine de leaders, chefs d’État et Premiers ministres, allant de Benito Mussolini à Donald Trump, en passant par Adolf Hitler, Silvio Berlusconi, Hugo Chávez, Recep Tayyip Erdogan, Viktor Orbán et Narendra Modi. Ils ont tous accédé au pouvoir en se présentant comme les seuls représentants du « peuple » et en se proposant de le défendre d’une façon ou d’une autre face aux élites en place. Beaucoup d’entre eux sont arrivés au pouvoir après une crise macroéconomique, ce qui va dans le sens du lien entre crises financières et soutien en faveur des extrêmes. En outre, beaucoup de dirigeants populistes ont su rester longtemps au pouvoir. En moyenne, deux fois plus longtemps en place que les autres dirigeants. Enfin, les dirigeants populistes ont rarement quitté le pouvoir par le seul jeu des élections : beaucoup ont été amenés à démissionner, ont fait l’objet de procédures de destitution ou de coups d’État n
La politique étrangère d'un pays ne peut être que la continuation de sa politique intérieure. Celles-ci ne peuvent en aucun cas être en contradiction, car ça finira toujours par donner une diplomatie défaillante, incapable de relever les défis que posent quotidiennement les transformations souvent rapides, et parfois radicales, de la situation internationale. Or nous vivons actuellement un changement des rapports de forces mondiaux, particulièrement après l'occupation de l'Ukraine par l'armée russe, ce qui frappe de plein fouet notre pays, déjà fragilisé par plus de dix ans de règne des islamistes et de leurs alliés permanents ou temporaires qui l’ont mis à genoux, lui faisant perdre sa souveraineté arrachée de haute lutte au colonialisme français, par le mouvement national.
Un front intérieur brisé
Une lecture approfondie du mouvement national nous révèle que les périodes où le front intérieur a été unifié, politiquement et socialement, coïncident toujours avec celles où les Tunisiens ont remporté des victoires contre le colonialisme français. Le Néo-Destour, qui dirigeait la lutte pour l'Indépendance, en était pleinement conscient, même s'il s'arrangeait toujours pour imposer son hégémonie politique à ses alliés. Deux composantes essentielles de ce front ont toujours été présentes. Il s’agit des représentants des salariés et ceux du patronat. Cette politique a continué après l'Indépendance, dans la phase de l'édification d’un Etat et d’une société modernes, mais en excluant tout pluralisme politique ou en le réduisant à une représentation formelle. Cependant, le font intérieur a toujours été très fort et les seules périodes où il a été affaibli, furent celles où l'UGTT a été, d'une façon ou d'une autre, exclue de ce front. Et ceci sous Bourguiba ou Ben Ali et jusqu'aux élections de 2011, avec le triomphe de l'islam politique, soutenu et dopé par des puissances étrangères. Depuis, tout a été fait pour briser le front intérieur et l'empêcher de se reconstruire, car il est le seul qui peut, sinon empêcher, du moins réduire toute forme d'ingérence étrangère dans nos affaires intérieures. Pourtant, en 2013, il s'est reconstitué contre la Troïka et a fini par éjecter Ennahdha du pouvoir. La situation n'a guère changé quant au fond, sous Kaïs Saïed, sauf que ce dernier refuse toute action frontiste, non parce qu'il a d'autres instruments politiques, comme un vrai parti politique, mais par conviction populiste qui croit que la légitimité politique s'acquiert uniquement à travers les urnes. D'où cette forme de populisme simpliste et réducteur, car il fait abstraction du rôle incontournable des corps constitués, organismes, instances médianes, partis politiques, syndicats, société civile, dans l'édification d'un Etat fort et d'une société plurielle.
C'est ainsi que se sont faites les nations modernes! C'est l'histoire de l'humanité toute entière et particulièrement l'histoire politique des nations qui le démontrent, sauf que Kaïs Saïed semble méconnaître ces évidences.
Son background culturel et son bagage théorique relèvent d'un paradigme qui lui est propre. Son obstination à faire toujours cavalier seul, sans chercher à s'allier même les forces sociales et politiques qui lui sont favorables, surtout après le 25 juillet 2021, prouve qu'il n'a pas encore acquis la stature politique d'homme d'Etat. Non seulement il fait tout pour perdre ses alliés, mais il commet des fautes politiques qui rendent service à ses adversaires, voire même à ses ennemis jurés, les adeptes de l'islam politique.
Le rôle d'un chef d'Etat et encore plus d'un président de la République est d'unir, autour d'un projet, toutes les forces politiques et sociales qui ne peuvent être que ses alliées.
Kaïs Saïed s'évertue à faire exactement le contraire et il ne rate aucune occasion pour tirer sur ses propres amis, réels ou potentiels. Comme lorsqu'il a ignoré superbement de célébrer, le 20 mars, avec le peuple, la fête de l'indépendance du pays, avant de tenter de se rattraper, à minuit, en prononçant un discours qui a semé la discorde et dressé contre lui tous les bourguibistes, anciens et nouveaux. Il a tenté aussi de rattraper le coup le 6 avril, date du décès du grand leader Habib Bourguiba en se recueillant sur sa tombe et en prononçant une allocution digne d'un président de la République.
Dans cette allocution, tout en se référant au grand combattant, il a réhabilité la notion de souveraineté nationale et mis en garde contre toute ingérence étrangère dans les affaires de notre pays. Mais trop tard et trop peu!
L'ingérence, une constante tunisienne !
L'histoire de la Tunisie, depuis la fondation de Carthage jusqu'à ce jour, a été faite d'ingérences dans ses affaires intérieures, allant jusqu'à l'occupation pure et simple du pays, par les Romains, les Vandales, les Byzantins, les Arabes, les puissances maghrébines du Moyen âge, les Espagnols, les Turcs, les Algériens, les Français, et ceci jusqu'au 20 mars 1956, date à laquelle le pays était enfin dirigé par ses propres enfants, en toute souveraineté et indépendance. La République de Bourguiba fut le premier Etat purement tunisien et indé
pendant. Ce qui a valu ce destin à ce pays, c'est essentiellement sa position géographique stratégique, au coeur de la Méditerranée, au confluent de l'Orient et de l'Occident, de l'Afrique et de l'Europe, au centre de la rive nord et la rive sud de la Mare nostrum, avec un peuple parmi les plus mélangés en races, en ethnies et en religions. Quoi de plus normal alors que de subir des ingérences de toutes sortes et tout le temps? Mais les élites de ce pays, à travers le temps, les occupations, les guerres et les conflits ont aussi appris à voguer dans les eaux les plus troubles de la politique internationale, tout en tentant de garder un minimum de souveraineté. L'histoire du pays, depuis le début du 19ème siècle, le prouve. La Tunisie fut l'objet d'une lutte âpre entre les Ottomans, les Français, les Anglais et les Italiens. Cette lutte s’est soldée par la signature du protectorat français. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le pays a connu les combats les plus violents entre les forces de l'Axe et les Alliés, avant de retomber dans l’escarcelle française. Le mouvement national, dirigé notamment par Bourguiba, a fini par rendre au pays son indépendance, mais tout en choisissant de rester dans le camp occidental et de ne pas basculer dans le camp socialiste, contrairement à nos voisins de l'Ouest et du Sud. Le garant de cette indépendance fut l’unité nationale qui, certes, a connu des hauts et des bas, mais qui a tenu contre vents et marées jusqu'à janvier 2011, où le pays a subitement sombré dans la dépendance totale, économique, militaire, sécuritaire et surtout politique. Mais le pays n'a pas cédé, il a continué à résister jusqu'à maintenant.
Ce qui est nouveau, c'est que l'ingérence dans nos affaires politiques intérieures se fait de plus en plus ouvertement et directement. Donnez-moi le nom d’un seul pays au monde pour lequel les ambassadeurs des sept Etats les plus puissants au monde (G7) font une déclaration commune ou font paraître dans un quotidien (gouvernemental en plus) un article commun ? Aucun ! Même les communiqués de l'UE ou des pays occidentaux à propos de l'occupation russe de l'Ukraine portent des nuances et révèlent des clivages. Pas celui des ambassadeurs occidentaux concernant la Tunisie! On dirait que la situation politique intérieure de notre pays est le seul point qui unit cette multitude d’États. Pourtant, il existe un grand nombre de pays arabes, musulmans, africains ou latinoaméricains, dont la situation des droits de l'homme ou des libertés est de loin plus déplorable que la nôtre. La raison est toute simple: ces Etats qui s'ingèrent dans nos affaires sont nos principaux « donateurs » (comprendre usuriers), car ils nous prêtent à un fort taux d'intérêt. Ils menacent actuellement de cesser leurs crédits, alors qu’ils ont tout fait, depuis le 14 janvier 2011, pour nous mener à cette situation. C’était une époque où, depuis longtemps, la Tunisie ne devait plus rien au FMI et enregistrait plus de 5% de croissance par an et sur vingt ans ! Ils nous ont poussé dans le gouffre « démocratique » et nous empêchent de ramer pour en sortir, tout en nous gratifiant du titre pompeux « de pays arabe qui a réussi sa transition démocratique ». Un proverbe tunisien dit : « il vend le singe et tourne en dérision son acheteur ».C'est actuellement la situation de la Tunisie. Le gage d'être un pays démocratique pour eux, c'est de pérenniser le règne de l'islam politique, même si, démocratiquement, il ne représente plus désormais grand-chose.
Reconstruire le front nationaliste tunisien
Que le chef de l'Etat déclare et insiste sur le fait que la Tunisie est un pays souverain et qu'il n'est pas dirigé par des Farmans (décrets ottomans), cela est rassurant, et que le MAE convoque l'ambassadeur de Turquie pour lui signifier sa colère contre les déclarations du chef de l'Etat turc, cela est encore plus efficace, mais les ingérences quotidiennes ne nous viennent pas uniquement de ce côté-là. Ce sont nos propres amis et alliés et leurs ambassadeurs, qui se considèrent comme les tuteurs de notre pays et qui poussent le bouchon un peu trop loin. Le seul moyen évidemment de leur signifier que leurs tentatives de soumettre l'Etat tunisien à leurs diktats ne peuvent pas tenir est de continuer sur la voie du dialogue national qui doit exclure leur cinquième colonne, l'islam politique et de faire réussir et le référendum et les élections législatives de décembre 2022. Kaïs Saïed a choisi l'hommage qu'il rendait à Bourguiba pour annoncer le mode de scrutin uninominal à deux tours pour les élections législatives. Et il a bien dit élections « législatives » et non pas « des comités populaires », comme le veulent ses fans basistes « qa3idiyin ».
Ce processus doit être discuté avec les principaux constituants d'un front politique, avec les syndicats, les partis politiques qui s'y engagent et les associations patriotiques représentant les corporations. L'on s'achemine vers la création de facto d'un front politique large qui regroupe ceux qui veulent instaurer une démocratie aux dépens des tenants de l'islam politique, face à un conglomérat de partis et de forces politiques qui veulent nous ramener à la case départ (avant le 25 juillet). Ce front peut encore une fois sauver le pays de la déliquescence et le redresser économiquement et politiquement, tout en absorbant le choc social qui ne manquera pas de se produire, si nos « amis » occidentaux tentent de nous priver des ressources nécessaires pour relancer l'économie et protéger notre modèle social.
Une autre alternative existe, mais il est trop tôt pour en parler! Celle qui consiste à se repositionner sur l'échiquier mondial en se rapprochant plus de la Russie et de la Chine, comme le font d'ailleurs les pays du Golfe, Israël et la Turquie. Mais nous pensons que la question n'est pas encore posée. KS, qui ne doit son élection ni au soutien français ou allemand, ni encore moins aux Américains, peut le faire, mais c'est un choix très périlleux, à moins qu'il n'y ait plus d'alternative.
Face à l'ingérence étrangère grandissante, les forces patriotiques doivent se mobiliser pour renforcer le front intérieur, quitte à mettre leurs désaccords en sourdine, et s'engager dans la préparation du référendum et des élections, quelles que soient les réserves justifiées qu'on peut formuler à l'égard du Président de la République et de ses discours qui divisent parfois plus qu'ils n'unifient.
Le moment est grave et le temps n'est pas aux escarmouches électorales et aux joutes politiciennes. Il s'agit de l'avenir d'une Nation n
Sommes-nous en train de vivre un retour de la guerre froide, avec ses protagonistes les USA, la Russie et leurs alliés ? Il s’agissait de l’état de tension qui opposa, de 1945 à 1990, les États-Unis, l'URSS et leurs alliés respectifs qui formaient deux blocs dotés de moyens militaires considérables et défendant des systèmes idéologiques et économiques antinomiques. La fracture entre les Etats-Unis (ainsi que les démocraties européennes) et l'URSS ne surgit pas inopinément en 1946. Les racines de la guerre froide remontent à la révolution d'Octobre 1917, d'où
naît en 1922 l'Union soviétique. Les relations difficiles entre les ÉtatsUnis et l'Union soviétique tiennent à la nature même de leur régime politique et des idéologies qui les soustendent. Les deux pays souffrent, en effet, d'une véritable « incompatibilité idéologique ». D'un côté, les Etats-Unis s'affichent comme les représentants du libéralisme, tant politique qu'économique, tandis que de l'autre, l'URSS fustige le capitalisme et prône une société sans classe, où les initiatives de l'individu s'effacent devant les intérêts du peuple. Or, la guerre froide actuelle que l’invasion de l’Ukraine a mise à l’ordre du jour; a profondément bouleversé l'ordre du monde et relancé une logique de blocs. Notons, cependant, que dans la situation actuelle, il n’y a pas d’incompatibilité idéologique. Les temps ont changé et le système communiste a été abandonné par la Russie, après la désintégration de l’URSS. L’abandon du communisme est confirmé par le président Poutine qui affirma, dans une interview à NBC, le 1er juin 2000 : « j’ai été convaincu que l’idée communiste n’était rien de plus qu’une belle histoire, mais une belle histoire dangereuse, menant à une impasse non seulement idéologique, mais aussi économique ».
La doctrine du président Poutine
Elle est résumée par le professeur Michel Eltchaninoff, spécialiste de la pensée russe et grand connaisseur de Vladimir Poutine. Dans son ouvrage Dans la tête de Vladimir Poutine (Actes Sud, 2022), il explore les sources intellectuelles de l’idéologie du Kremlin : « Cette doctrine s’étage à partir d’un héritage sur plusieurs plans : à partir d’un héritage soviétique assumé et d’un libéralisme feint, le premier plan est une vision conservatrice. Le deuxième, une théorie de la voie russe. Le troisième, un rêve impérial inspiré des penseurs eurasistes » (ibid, pp. 13-14). Peut-on parler d’une « défense du traditionalisme russe face au modernisme de l’Occident »? Cette opinion de Michel Eltchaninoff nous parait plutôt arbitraire.
D’autre part, Michel Eltchaninoff fait valoir l’opposition de Poutine à l’idéologie marxiste, doublée d’une fidélité sans faille à l’Union soviétique. Quinze ans après son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine affirme en le regrettant : « Ce qui semblait incroyable, malheureusement est devenu une réalité : l’URSS s’est intégrée ». Il effectue une revanche sur l’histoire et attaque l’Ukraine. Il affirma, le 21 février 2022 : « l’Ukraine n’est pas juste un pays voisin, mais une partie inaliénable de notre propre histoire, de notre culture, de notre espace spirituel. Ce sont nos camarades, nos proches, parmi lesquels ne se trouvent pas seulement des collègues, des amis, mais des parents, des gens liés à nous par des liens de sang ». Poutine insiste sur l’unité inaliénable et historiquement fondée des deux peuples. En conclusion, il affirme : « Il n’y a pas de place pour l’Ukraine souveraine ».
La bipolarisation
Affirmant l’unité spirituelle entre la Russie et l’Ukraine, Poutine estime que le départ de l’Ukraine vers l’Europe couperait la Russie d’une parie d’ellemême. D’ailleurs, Poutine veut mettre à l’ordre du jour une union économique avec le Kazakhstan, la Biélorussie, l’Arménie et le Kirghizistan. Cette Union eurasiatique serait le pendant de l’Union européenne, d’après son programme. Ces alliés de la Russie la rejoignent dans cette bipolarité. De l’autre côté, l’Union européenne s’engage dans cette guerre froide. Elle s’érige en acteur principal, se considérant comme une victime de la guerre de l’Ukraine, qui bloquerait son extension, dans les anciens pays de l’Est. Par contre, cette guerre est révélatrice du fossé entre Washington et le camp saoudien. Les Emirats et l’Arabie Saoudite ne font pas partie du front formé par les USA contre la Russie. Est-ce à dire qu’ils s’insèrent de plus en plus dans le réseau international autoritaire que la Russie et la Chine développent ? Par contre, Qatar reste l’allié des USA, défendant ses causes. Conclusion : La bipolarisation fait valoir le discours sur la réalité. Dans les deux cas, on développe des visions partisanes. Le président Poutine critique « la nazification et la militarisation » de l’Ukraine. Le clan occidental occulte les revendications de la Russie et dénonce ses velléités de bloquer l’Union européenne. Il s’agirait plutôt d’une tempête dans un verre d’eau n