Destination Londres ? Bienvenue à Kigali
Le Premier ministre britannique Boris Johnson a annoncé, la semaine dernière, un plan qui consiste à transporter au Rwanda les migrants demandant l'asile au Royaume-Uni. Objectif : dissuader les traversées clandestines de la Manche en bateau.
Selon Johnson, à compter du 1er janvier 2022, toute personne entrée en Grande-Bretagne par des moyens irréguliers et n'ayant pas demandé l'asile dans un pays tiers peut être transportée vers le Rwanda en vue d'une éventuelle réinstallation dans ce pays. Un accord dans ce sens a été conclu avec le gouvernement de ce pays.
Centres de traitement offshore
Il s’agit d’une ancienne promesse qu’il avait faite lors de sa campagne réussie du Brexit en 2016. Il avait déclaré que le peuple britannique avait voté pour « contrôler » plutôt que « fermer » les frontières. Pour lui, abuser du système pour s'installer dans le Royaume ne sera plus permis. Les demandeurs seront rapidement et humainement renvoyés vers un pays tiers sûr. Le gouvernement Johnson lutte pour empêcher les personnes d'arriver au Royaume-Uni par le biais de petites embarcations. Les estimations parlent de 28 526 réfugiés en 2021, un record. En novembre dernier, 27 personnes ont trouvé la mort lorsque leur bateau a sombré au large des côtes françaises. Depuis la fin de la période de transition du Brexit, le gouvernement estime que les personnes arrivant en Grande-Bretagne depuis un État tiers sûr peuvent voir leur demande d'asile déclarée irrecevable, sans droit d'appel et être envoyées dans tout autre pays sûr. Selon le nouveau plan, ces personnes seront transférées vers le Rwanda dans des avions affrétés par le gouvernement. Les exceptions seraient celles qui présentent des vulnérabilités.
A quel prix ?
Les organisations caritatives ont condamné ce programme, qualifié même de cruel et d’immoral. Le Premier ministre britannique a reconnu que cette nouvelle
politique serait confrontée à des défis juridiques, même s'il a insisté sur le fait qu'elle était pleinement conforme aux obligations juridiques internationales. Il a déclaré que son gouvernement aurait préféré un accord avec la France et l'Union européenne, mais que cela n’était pas possible. L’expérience australienne, pionnière dans l'utilisation de centres de traitement offshore, montre que le pays a dépensé 461 MGBP (1 803 MTND) pour traiter seulement 239 réfugiés et demandeurs d'asile détenus offshore en 2021 ! C’est un coût exorbitant et qui peut mener à s’interroger sur le coût d’une telle stratégie. Des associations ont déjà présenté le chiffre de 1 400 MGBP (5 477 MTND). Boris Johnson s’est défendu en estimant que le coût actuel de l'hébergement de tous les demandeurs d'asile dans des hôtels s'élève à 5 MGBP (19 MTND) par jour et qu'il était en augmentation permanente.
Il est à signaler qu’il s’agit d’un élément d’une stratégie plus large, prévoyant notamment que la Royal Navy prenne le relais de la Border Force pour les patrouilles sur la Manche. Un nouveau centre de traitement des migrants sera également installé à Yorkshire. L’objectif ultime est dissuasif. Si les migrants prennent le risque de traverser la mer illégalement, ils finiront par se retrouver au Rwanda et non au Royaume-Uni. C’est quelque chose qui pousserait les prétendants à y penser à deux fois avant de tenter l’expérience.
Une belle enveloppe en vue pour le Rwanda
Le Rwanda a déclaré qu'il recevrait un investissement initial de 120 MGBP (470 MTND) dans le cadre de l'accord. Ce montant servira à financer des opportunités pour les Rwandais et les migrants, notamment des qualifications secondaires, des formations professionnelles et qualifiantes, des cours de langue et même de l’enseignement supérieur. Les migrants seront intégrés dans les communautés du pays et auraient droit à une protection totale en vertu de la législation locale, à l'égalité d'accès à l'emploi et à l'inscription aux services de santé et aux services sociaux. Le Rwanda a une tradition d'accueil des réfugiés. Il en héberge actuellement environ 130 000, principalement originaires du Burundi et de la République Démocratique du Congo. Il avait accepté de participer à un programme de l'Union africaine visant à secourir les réfugiés et les demandeurs d'asile de la Libye déchirée par la guerre, mais il n'a accueilli qu'environ 190 personnes sur une promesse initiale de 30 000. Il a également proposé d'accueillir des jeunes filles afghanes après la prise de contrôle du pays par les Talibans l'année dernière.
Sous le feu des critiques
Toutefois, le bilan de Kigali en matière de droits de l'homme a fait l'objet d'une intense controverse. En juillet 2021, l'ambassadrice internationale du Royaume-Uni pour les droits de l'homme a ouvertement critiqué le Rwanda dans un discours devant le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies. Les militants des droits de l'homme reprochent également à Paul Kagame, le Président rwandais, de ne tolérer que peu de dissidence politique. Il avait remporté l'élection présidentielle de 2017 avec 98,6% des voix. Human Rights Watch a toujours insisté sur le fait que le Rwanda est un pays qui ne respecte pas l'État de droit ni certains des droits de l'homme les plus fondamentaux. Toute personne, même perçue comme critique à l'égard du gouvernement ou de ses politiques, peut être prise pour cible. Pour l’organisation, le pays a régulièrement démontré qu'il n'avait que peu d'estime pour les protections accordées aux réfugiés par le droit international. Le gouvernement a parfois enlevé des réfugiés rwandais en dehors du pays pour les ramener chez eux afin qu'ils soient jugés et maltraités. De plus, certains réfugiés ne reçoivent plus assez d'argent pour acheter suffisamment de nourriture ou s’offrir des soins de santé. Les fonds alloués par les donateurs aux réfugiés ont été réduits ces dernières années, ce qui a entraîné des coupes dans certains programmes d'aide. Cette initiative n’est donc qu’un moyen pour les dirigeants rwandais d'améliorer leur image de partenaire indispensable en matière de sécurité et une couverture diplomatique pour la persécution des opposants.
Les forces armées du pays ont été envoyées pour intervenir dans des conflits en République Centrafricaine et au Mozambique, où les soldats rwandais jouent un rôle central dans les efforts visant à éloigner les insurgés islamistes des investissements gaziers offshore financés par l'Occident. Le HCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, a déclaré qu'il ne pouvait pas commenter l'accord, mais il a souligné qu'il ne soutenait pas l'externalisation des obligations des États d'asile. Il a exhorté le Royaume-Uni et le Rwanda à repenser leurs plans. Certes, il s’agit d’un plan sordide d'échange d'argent contre des personnes. Toutefois, cet accord pourrait servir de prototype à d’autres pays pour faire face aux déplacements probables de milliards de personnes à travers la planète dans les années à venir n