Une lecture dans les états financiers de la Banque centrale de Tunisie
La Banque centrale de Tunisie (BCT) est un établissement financier comme les banques. Elle publie des états financiers, tient une assemblée générale et distribue des dividendes à son unique actionnaire, l’Etat.
Le total actif de la banque, la BCT, s’élève à 40 017 MTND. Depuis 2010, il a progressé à un rythme annuel moyen de 9,4%. En 2021, il n’a augmenté que de 313,309 MTND, une nette décélération après l’hypertrophie de 2020, année durant laquelle le bilan s’est gonflé de 5 146 MTND.
Le bilan le plus lourd en Tunisie
L’élément qui avait fait la différence était le volume des avoirs en devises. Après avoir gagné 3 708 MTND en 2020, ces réserves n’ont évolué que de 203 MTND durant 2021 à 23 633 MTND. Il n’y avait pas également les facilités accordées à l’Etat et qui ont totalisé 2 810 MTND une année auparavant. Ce n’est autre que le fameux financement attribué à l’Etat dans le cadre de la loi de finances complémentaire 2020. Ce montant est censé disparaître rapidement et le début commencera cette année. La loi de finances 2022 a déjà prévu le remboursement de 910 MTND au mois de décembre.
Autre poste clé dans le bilan : les titres achetés dans le cadre des opérations d’Open Market. Ces transactions reflètent les besoins des banques en matière de liquidités. Pour répondre à ces demandes, la BCT accepte des garanties, sous forme de titres de créances émis par l’Etat et souscrits par les établissements de crédits.
En 2021, la BCT a procédé à des opérations d’achats fermes de Bons de Trésor qui ont porté ce solde à 3 045 MTND à la clôture de l’exercice, contre 3 321 MTND en 2020. Il s’agit d’un repli de 275 MTND, qui ne nie pas le rôle que la banque joue pour garder le bon fonctionnement de l’ensemble du système financier. Est-ce qu’il atteste de la baisse des besoins de liquidités par les banques ? A elle seule, cette rubrique ne peut pas donner une réponse claire.
Injection intensive de liquidités
Pour avoir l’image intégrale, il faut également regarder les autres interventions de la BCT pour injecter des liquidités. Fin 2021, l’encours de liquidités s’est établi à 6 534 MTND, en hausse de 224 MTND par rapport à 2020, un chiffre que compense quasiment la baisse enregistrée au niveau des opérations d’Open Market.
Les interventions du régulateur ont essentiellement pris la forme d’appels d’offres à 7 jours, qui ont constitué 79,6% de l’encours global desdites opérations à fin 2021, et dont le montant s’est établi à 5 200 MTND (contre 3 600 MTND en 2020).
Cette tendance a également été favorisée par le recours des banques, de plus en plus, aux refinancements à 1 mois, dont l’encours est passé de 557 MTND fin 2020 à 939 MTND fin 2021. Il s’agit d’un instrument qui a été instauré par la BCT en avril 2020 dans le but de soutenir les banques et les établissements financiers dans leurs efforts pour parer aux retombées de la pandémie de la Covid-19.
En termes de moyennes annuelles, l’encours des opérations de refinancement à plus long terme d’une durée d’un mois et des facilités de prêts à 24 heures, s’est accru respectivement de 699 MTND et de 142 MTND, atteignant 863 MTND et 606 MTND. Par ailleurs, l’enveloppe moyenne des opérations de swaps de change s’est établie à 452 MTND, contre 192 MTND un an auparavant, soit une hausse de 260 MTND.
Tous ces refinancements se font également en contrepartie de présentation de collatéraux sous forme de Bons de Trésor (1 983 MTND) ou de créances courantes (4 156 MTND).
Pour les banques, c’est une opération juteuse. Elles souscrivent ces papiers à des taux dépassant les 9%, les mettent comme garanties auprès de la BCT pour avoir des financements à un coût ne dépassant pas en moyenne 7,5%.
Plus de monnaie, moins de pouvoir d’achat
La valeur de la monnaie en cir
culation en Tunisie au mois de décembre 2021 s’élève à 17 232 MTND. Pour rappel, en 2010, elle était de 5 789 MTND. Les billets sont de l’ordre de 16 804 MTND, alors que les pièces de monnaie sont valorisées à 428 MTND.
Les billets les plus échangés sont ceux de 20 TND (10 620 MTND) et de 10 TND (3 832 MTND). Les billets de 50 TND sont de 2 310 MTND. Côté pièces, celles de 1 TND sont les dominantes (150 MTND) devant celles de 5 TND (100 MTND). Il faut dire que la circulation fiduciaire est en train d’augmenter plus rapidement que le PIB nominal, reflétant un changement du comportement des agents économiques vis-à-vis de la fiducie et traduisant une préférence nette pour l’utilisation du cash. C’est un moyen de paiement qui rime avec l’expansion du secteur informel et de l’évasion fiscale. Il traduit aussi le retard accusé dans le développement des moyens de paiement modernes, vu la réticence croissante des commerçants pour l’acceptation de chèques et le nombre encore insuffisant de TPE (terminal de paiement électronique) installés. Une majorité de commerçants, mises à part les grandes surfaces, rechigne à adopter la carte bancaire, qui est pourtant un moyen de paiement rapide et sécurisé, en raison notamment des commissions élevées, obligeant les agents économiques dans la plupart des situations à payer en espèce.
Les prix ont naturellement suivi la tendance. Malheureusement pour la population, la valeur de la monnaie ne dépend pas entièrement de sa quantité absolue, mais de sa quantité relativement aux paiements à effectuer.
Moins de refinancement, moins de recettes
Si les banques sont critiquées pour les gains qu’elles engrangent grâce à la hausse des taux, les analystes oublient souvent que cela permet également à la BCT de gagner de l’argent. Les produits d’exploitation de 2021 se sont établis à 839,466 MTND, confirmant la tendance baissière après les chiffres record de 2019 (1 459 MTND). La principale source de revenus pour la BCT reste les opérations de refinancement qui représentent 81,1% de ses produits, soit 681,103 MTND. Ce montant reste moins important que celui de 2020 (797,342 MTND). L’amélioration relative de la situation des banques, en matière de collecte de dépôts et de génération de cash, implique une baisse des recettes pour le régulateur. La BCT a également perçu moins d’intérêts sur ses placements en devises (78,143 MTND), provenant surtout de ceux en Euro (26 MTND) et en USD (34 MTND). En parallèle, elle a engagé plus de charges d’intervention sur le marché monétaire (17,113 MTND) et d’autres charges sur opérations en devises (87,069 MTND).
Par ailleurs, et pour faire face aux risques, la BCT a constitué des provisions pour risques et charges de 31,102 MTND, dont des provisions sur les opérations de politique monétaire de 29,880 MTND. Implicitement, la banque s’inquiète de la capacité de certains établissements de crédits à honorer leurs engagements et même de la qualité de certains papiers présentés comme collatéraux. Sur le front du risque opérationnel, aucune allocation supplémentaire n’a été constatée au titre de l’exercice 2021.
Le jackpot de l’Etat
Les bénéfices nets de la BCT sont de 451,223 MTND pour 2021, contre un record de 621,704 MTND l’année d’avant. La banque paiera 360,723 MTND de dividende à l’Etat, une bonne nouvelle. Il s’agit de la principale source de revenus de participations pour le ministère des Finances. La banque a constitué une réserve spéciale de 85,500 MTND, dont 10,500 MTND pour financer le budget d’investissement et 75 MTND dans le cadre de la constitution progressive de réserves, permettant de faire face aux impacts futurs sur les fonds propres de la banque, lors de la migration vers les normes IFRS. Pour rappel, en 2019, la banque a consacré 200 MTND pour cette même fin. Idem en 2018 avec 125 MTND. La BCT a donc prévu une enveloppe de 440 MTND pour ce passage. Quelle serait alors la facture pour les banques ? ■