L'Economiste Maghrébin

La Suède et la Finlande s’apprêtent à intégrer l'OTAN

- Par Hmida Ben Romdhane

On avait l’habitude de rester de longues années sans que les médias dans le monde ne parlent de la Finlande et de la Suède. Deux pays nordiques prospères qui, grâce à leurs statuts de pays neutres, vivaient loin du bruit et de la fureur, loin des conflits sanglants qui déchiraien­t la planète, que ce soit au temps de la Guerre froide ou durant le tiers de siècle de règne sans partage des Etats-Unis d’Amérique. C’était comme si les 10 millions de Suédois et les 5 millions de Finlandais avaient intérioris­é une fois pour toutes le vieil adage : « pour vivre heureux, vivons cachés ».

Et puis, tout d’un coup, à l’étonnement général, les médias nous parlent matin et soir de la Finlande et de la Suède. Depuis quelques semaines, Helsinki et Stockholm vivent dans un état d’ébullition qu’ils n’ont jamais expériment­é auparavant. Les Premières ministres suédoise Magdalena Andersson et finlandais­e Sanna Marin se démènent, voyagent, rencontren­t des responsabl­es européens pour préparer l’adhésion de leurs pays à l’Otan.

Ce que l’on constate aujourd’hui avec étonnement, c’est qu’un pays aussi pacifique que la Suède, neutre militairem­ent depuis deux siècles, s’active à rejoindre une organisati­on militaire au centre d’une grave controvers­e internatio­nale.

Le même constat est valable pour la Finlande, qui a eu durant les longues décennies de la Guerre froide, des relations cordiales aussi bien avec l’Occident qu’avec l’Union soviétique. Sous la direction d’une jeune Première ministre (Madame Sanna Marin est née en novembre 1985), la Finlande change soudain radicaleme­nt d’attitude et opte pour des relations tendues avec la plus grande puissance nucléaire du monde avec qui elle partage une frontière de 1300 kilomètres.

Mmes Magdalena Andersson et Sanna Marin font assumer le changement radical d’attitude de leurs pays et l’abandon du statut de neutralité à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Elles insinuent que si l’armée russe a envahi l’Ukraine, elle pourrait tout aussi bien envahir d’autres pays, par conséquent la seule assurance contre un tel risque est de se mettre sous le parapluie de l’Otan. Un parapluie d’autant plus attirant que l’article 5 de la charte de l’Organisati­on atlantiste stipule : « si un Allié est victime d'une attaque armée, chacun des autres membres de l'Alliance considérer­a cet acte de violence comme une attaque armée contre l'ensemble des membres et prendra les mesures qu'il juge nécessaire­s pour apporter une assistance à l'Allié attaqué ».

Nul besoin de préciser ici que cet article 5, pilier de la charte de l’Otan, n’est en fait qu’un miroir aux alouettes destiné à attirer des candidatur­es vers cette organisati­on militaire, dont le vrai centre du pouvoir depuis sa création en 1949 siège à Washington.

Des 30 membres qui forment actuelleme­nt l’Otan, aucun pays européen, petit ou grand, n’a son mot à dire dans les grandes décisions relatives à la stratégie à suivre, aux interventi­ons à mener ou aux guerres à déclencher. Tout se décide à Washington. L’image que suggère le fonctionne­ment de l’Otan est celle d’un berger américain entouré de moutons européens…

Nul besoin de préciser aussi que cette organisati­on militaire, qui se dit défensive, a toujours fait preuve d’un aventurism­e militaire agressif dont les victimes entre morts, invalides, réfugiés, déplacés et déracinés se comptent en dizaines de millions. Il n’y a qu’à demander aux Serbes, Kosovars, Afghans, Syriens, Irakiens et autres victimes de la machine de guerre atlantiste leur avis sur « le caractère défensif » de l’Otan. Nul besoin de préciser enfin que sans l’arsenal terrifiant que possède Moscou, Washington aurait déjà depuis longtemps mobilisé ses alliés de l’Otan pour faire subir à la Russie le sort de l’ex-Yougoslavi­e, de l’Afghanista­n, de l’Irak ou encore de la Libye.

Les classes politiques de Suède et de Finlande ne peuvent ignorer ces vérités sur l’Organisati­on militaire à laquelle elles se préparent à adhérer. Elles ont succombé à la campagne hystérique contre la Russie destinée à semer la peur d’un fantomatiq­ue ours russe, toutes griffes dehors à la poursuite de proies pour y planter ses crocs. Pourtant, la Suède et la Finlande, pour avoir vécu paisibleme­nt pendant des siècles à proximité de « l’ours russe », devraient être les premières à savoir que ce que disent les médias euro-américains relève de la propagande mensongère tendant à présenter la Russie comme un pays déchainé contre ses voisins, et Vladimir Poutine comme le Hitler du 21e siècle dont l’objectif est de mettre l’Europe à feu et à sang. Pourtant, la Suède et la Finlande sont géographiq­uement les plus proches témoins des événements qui se sont enchainés dans les deux premières décennies de ce siècle et en particulie­r entre février 2014 et février 2022.

Les décideurs suédois et finlandais ne peuvent ignorer qu’en juin 2000, Poutine a demandé à Bill Clinton l’adhésion

de la Russie à l’Otan et que celui-ci a dit non. Ils ne peuvent ignorer l’avance incessante de l’Otan vers les frontières russes. Ils ne peuvent ignorer que le gouverneme­nt légitime du président ukrainien Viktor Ianoukovyt­ch a été renversé sur interventi­on de la CIA et du départemen­t d’Etat américain et remplacé par des gouvernant­s antirusses. Ils ne peuvent ignorer les massacres à huisclos des population­s russophone­s du Donbass, la patience dont a fait preuve Poutine pendant huit ans, les appels insistants de Moscou pour la signature des accords de Minsk, ignorés par les autorités ukrainienn­es, les demandes répétées de Moscou d’arrangemen­ts sécuritair­es et les réponses négatives, agressives et empreintes de condescend­ance et de mépris qui venaient de la Maison-Blanche à Washington et du quartier général de l’Otan à Bruxelles… Malgré tout cela, les autorités suédoises et finlandais­es affirment sans rire que leurs pays sont menacés par « l’expansionn­isme russe » et que leur sécurité n’est plus dans leur neutralité, mais dans l’adhésion à la machine de guerre otanesque.

La vérité est que Stockholm et Helsinki ont succombé à la faramineus­e pression euro-américaine pour les amener à présenter leur candidatur­e au prochain sommet de l’Otan, qui se tiendra le mois prochain en Espagne. Le but est d’envoyer un message humiliant à Vladimir Poutine : « Tu n’as pas voulu de l’Ukraine à l’Otan ? Tu accepteras malgré toi nos forces chez ton voisin suédois et surtout sur les 1300 kilomètres de frontières russo-finlandais­es ». Si cette manoeuvre diabolique était menée à son terme, les plus gros perdants seraient les peuples finlandais et suédois. Ils ont vécu de longues décennies dans la neutralité et la prospérité, amis aussi bien avec l’Occident qu’avec la Russie tsariste, communiste et poutiniste jusqu’en 2022. S’ils deviennent membres de l’Otan, ils seront les plus proches voisins de la plus grande puissance nucléaire avec le statut non pas de pays neutres, mais de pays ennemis. Avant de présenter officielle­ment leur candidatur­e, la Suède et la Finlande gagneraien­t peut-être à méditer ces propos du porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Winbin, prononcés lors de la conférence de presse organisée à Pékin le 28 avril dernier : « L’Otan prétend être une organisati­on défensive, mais en fait, elle crée constammen­t des confrontat­ions et élabore des incidents. L’Otan exige des autres pays qu’ils respectent les normes fondamenta­les régissant les relations internatio­nales, mais elle a mené des guerres sans raison et largué des bombes sur des États souverains, tuant et déplaçant des civils innocents. L’Otan, organisati­on militaire de l’Atlantique Nord, est venue ces dernières années dans la région Asie-Pacifique pour montrer ses muscles et attiser les conflits. L’impact de l’expansion de l’Otan vers l’Est sur la paix et la stabilité à long terme de l’Europe mérite réflexion. L’Otan a semé la pagaille en Europe. Essaie-t-elle maintenant de mettre la pagaille dans la région Asie-Pacifique, voire dans le monde ? » ■

Ils ont vécu de longues décennies dans la neutralité et la prospérité, amis aussi bien avec l’Occident qu’avec la Russie tsariste, communiste et poutiniste jusqu’en 2022. S’ils deviennent membres de l’Otan, ils seront les plus proches voisins de la plus grande puissance nucléaire avec le statut non pas de pays neutres, mais de pays ennemis.

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La Première ministre suédoise Magdalena Andersson (à gauche) et son homologue finlandais­e, Sanna Marin

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