L'Economiste Maghrébin

QUEL ARBITRAGE ?!

RESSERREME­NT MONÉTAIRE VS STATU QUO MONÉTAIRE

- Par Moez Labidi

Une décision de politique monétaire suppose une bonne lecture de la balance des risques. Dans le cas tunisien, l’évaluation de la décision de la BCT ne doit pas se limiter à estimer le coût de la hausse du taux directeur sur les acteurs économique­s. Un coût que personne ne pourra éluder. Mais plutôt à le comparer au coût du statu quo monétaire. L’inaction face à la montée des pressions inflationn­istes nourrit un comporteme­nt de stockage des produits importés (matières premières, produits semi-finis…) qui pèse sur la balance commercial­e et exerce des pressions baissières sur les réserves de change. Ce comporteme­nt spéculatif qui alimente les anticipati­ons de dépréciati­on du dinar débouche sur une forte inflation importée, ravageuse pour le pouvoir d’achat et les grands équilibres macro-économique­s. Tant que les gains espérés (côté prix et côté change) sont supérieurs au taux d’intérêt, les entreprise­s continuent d’emprunter pour financer leurs importatio­ns. La BCT ne pourrait casser cette spirale spéculativ­e qu’en augmentant ses taux directeurs.

Tant que les pressions sur les réserves de change pèsent sur la balance courante, générant ainsi un déficit qui dépassera facilement les 10% du PIB à la fin de l’année, la BCT ne pourra pas rester dans l’expectativ­e. Une situation très embarrassa­nte lorsqu’elle débarque dans un contexte d’assèchemen­t des sources de financemen­t externes !

Peut-on calmer les pressions baissières sur les réserves en puisant uniquement dans la boîte à outils de la Banque centrale ? Avec une facture énergétiqu­e qui pèse à la fois sur le budget (subvention­s) et la balance commercial­e (plus du tiers du déficit), alors que la transition énergétiqu­e avance à pas de tortue, avec une politique agricole qui creuse le déficit alimentair­e et nourrit le stress hydrique, avec une incapacité de réformer en profondeur les entreprise­s publiques malgré leurs déficits colossaux dévoreurs de devises…, il est difficile d’atténuer ces pressions. Aujourd’hui, le coût du resserreme­nt monétaire est largement inférieur au coût de l’inaction, qui est à la fois économique, social et politique. Une telle situation n’est pas viable. L’heure est plutôt au policy-mix. Sans une déterminat­ion politique pour déclencher une dynamique de réformes structurel­les, le dérapage des finances publiques finira par déclencher une crise de dette et du coup, la politique monétaire perdra toute son efficacité n

Par sa dernière décision d’augmenter le taux directeur de 6,25% à 7%, le Conseil d’administra­tion (CA) de la Banque centrale de Tunisie (BCT) démontre qu’il a perdu le sens de l’orientatio­n et le sens de la direction. Une telle décision relève, soit d’une analyse erronée de la situation économique et financière de la Tunisie, soit d’un refus de mettre la politique monétaire au service d'une économie qui traverse les pires difficulté­s de son histoire. Une telle décision ne permettra certaineme­nt pas de freiner l’inflation, mais plutôt de l’attiser. Une telle mesure va torpiller le peu de reprise économique à laquelle nous voulons croire : tourisme, agricultur­e, exportatio­n, etc. Elle va appauvrir davantage l’État par le coût de sa dette intérieure en dinars. Elle appauvrit les entreprise­s qui ont déjà à supporter des majoration­s de prix des hydrocarbu­res, de l’énergie, des matières premières, des produits semifinis importés, de la logistique (transport internatio­nal, assurances, etc.), du cours du dollar qui flambe. Cette majoration appauvrit le consommate­ur qui rembourse un ancien crédit ou qui compte en demander un. La majoration au niveau des intérêts à payer est de l’ordre de 8 à 10%. Cette augmentati­on du taux directeur, vous l’avez bien compris, ne profite qu’aux banques. Pour qui roule le CA de la BCT ?

Le rôle essentiel d’une Banque centrale, que ce soit en Tunisie ou ailleurs, est d’assurer la stabilité des prix ou, en d’autres termes, de combattre l’inflation. La Banque centrale, qui est l’Institut d’émission, est responsabl­e de la politique monétaire. Et la politique monétaire vise à assurer un bon financemen­t de l’économie et à garantir un équilibre entre la sphère monétaire et la sphère réelle, et donc entre la masse monétaire et le niveau d’activité économique. Un niveau d’inflation de l’ordre de 1 à 2%, mais sans dépasser le niveau de 3%, est même considéré souhaitabl­e afin de garantir un fonctionne­ment fluide de l’économie.

Mais l’inflation peut être d’origine monétaire, comment elle peut être d’origine non monétaire. En effet, elle peut provenir d’un déséquilib­re entre la masse monétaire et le niveau d’activité économique dans le pays. Lorsque la masse des moyens de paiement en circulatio­n dans le pays dépasse les besoins de l’économie, l’ajustement se fait par une augmentati­on du niveau général des prix, et donc par l’inflation. L’autre forme d’inflation est celle qui provient de l’augmentati­on des prix des facteurs de production. En effet, l’augmentati­on des coûts des facteurs se traduit par une augmentati­on des prix de revient des produits et des services, ce qui à son tour se traduit par une augmentati­on des prix de vente des produits et services, et donc par de l’inflation. Ce deuxième type d’inflation s’appelle l'inflation par les coûts des facteurs.

Dans le cadre de sa politique monétaire, la Banque centrale fixe le taux d'intérêt directeur, appelé aussi taux d'intérêt central dans d’autres pays. Ce taux directeur est le taux de référence sur la base duquel se déterminen­t tous les autres taux d’intérêt, ceux relatifs aux

différente­s formes de dépôts auprès des banques, ainsi que ceux relatifs aux différente­s formes de crédits bancaires et de financemen­ts non bancaires (leasing, factoring, etc.). S’il y a un regain d’inflation dans le pays, et si la Banque centrale considère que cette inflation est d’origine monétaire, elle décide d'augmenter le taux directeur dans le but de renchérir le crédit, de réduire la masse des crédits octroyés par les banques, d’éviter une surchauffe de l’économie et ainsi de combattre de ce fait l’inflation. Cependant, si l’origine de l’inflation est essentiell­ement ou totalement non monétaire, c’est-à-dire provenant des coûts des facteurs de production, le relèvement du taux directeur n’y peut rien du tout et il n’est certaineme­nt pas l'outil idoine et efficace pour combattre ce genre d’inflation. À titre d'exemple, si vous augmentez les salaires sans qu’en contrepart­ie il y ait des gains de productivi­té et une croissance économique, ces augmentati­ons vont se traduire de manière quasi automatiqu­e par des augmentati­ons de prix et donc par de l’inflation. Il n’est pas possible de combattre ce genre d’inflation par une manipulati­on du taux directeur. L'augmentati­on du prix du baril de pétrole, des céréales, des matières premières et des produits semi-finis importés, et enfin du coût du transport à l’internatio­nal, comme la flambée des cours des devises, se traduisent par ce qu'on appelle de l'inflation importée. Et là aussi, ce type d’inflation ne peut pas être combattu par un relèvement du taux directeur.

La BCT se met dans une situation gravement contradict­oire. En effet, elle encourage d’une part les banques, qu’elle supervise, contrôle et refinance, à prêter davantage à l’État qui gère très mal ses finances et enregistre des niveaux historique­s de déficit budgétaire et d’endettemen­t, et à prêter davantage à des entreprise­s publiques en faillite non annoncée. Et d’autre part, elle prétend combattre l'inflation par un relèvement insensé du taux directeur de 75 points de base (pb). La même BCT fait fonctionne­r la planche à billets d’une part, tout en continuant à le nier, et augmente son taux directeur d’autre

La BCT se met dans une situation gravement contradict­oire. En effet, elle encourage d’une part les banques, qu’elle supervise, contrôle et refinance, à prêter davantage à l’État qui gère très mal ses finances et enregistre des niveaux historique­s de déficit budgétaire et d’endettemen­t, et à prêter davantage à des entreprise­s publiques en faillite non annoncée. Et d’autre part, elle prétend combattre l'inflation par un relèvement insensé du taux directeur de 75 points de base (pb).

part. Ceci relève de quelle logique, ou plutôt de quelle politique monétaire ? La même BCT prétend avoir réussi à freiner l'inflation de 1% environ et à stabiliser (artificiel­lement) le dinar entre 2018 et 2019, en augmentant le taux directeur à trois reprises en moins de 12 mois (+100 pb, +100 pb et +75 pb, soit un total de 2,75%). Mais à quel prix ? Au prix d’un déficit commercial record et d'une récession économique profonde qui persiste jusqu’à aujourd’hui. Le Gouverneur de la BCT avait annoncé vendredi dernier (le 20 mai) à Sfax que la décision d’augmenter le taux directeur était une mesure préventive visant à éviter une augmentati­on future du taux d’inflation, qui risque d’ailleurs de dépasser le niveau de 10% avant la fin de l'année, malgré l’augmentati­on du taux directeur (ou plutôt suite à). Il reconnaît donc implicitem­ent que l’origine de l'inflation que nous constatons aujourd'hui n’est pas monétaire, mais il persiste à la combattre et à la prévenir par une mesure purement monétaire ! Il laisse entendre implicitem­ent que la BCT n’a pas procédé aux analyses nécessaire­s pour déterminer l’origine de l’inflation (monétaire ou non monétaire). Ensuite, comment peut-on augmenter le taux directeur à titre préventif dans une économie qui agonise ? La seule explicatio­n est de vouloir rester dans le déni total et dans une dangereuse fuite en avant.

Notre PAYS a besoin :

- d’un vrai diagnostic complet, courageux et réaliste de sa situation économique, financière, sociale et politique ; - d’un plan d’ajustement structurel permettant d’arrêter l’hémorragie et d’une stratégie globale de sauvetage de son économie et des ses finances publiques, avec une coordinati­on parfaite entre sa politique économique et sa politique monétaire ;

- d’une équipe aux commandes qui est prête à sacrifier son avenir politique afin de préserver celui de la TUNISIE. Le CA de la BCT devrait revoir sa copie, corriger son analyse et protéger la BCT - une institutio­n que nous respectons beaucoup - de la dérive et trouver le moyen de revenir sur cette décision, tout en sauvant la face à la BCT n

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