L'Economiste Maghrébin

Effet placebo ou nocebo ?

Hausse du taux directeur

- nBassem Ennaifar

La quinzaine était très dynamique en termes d’actualités économique­s : taux de croissance, chômage, inflation, balance commercial­e et cerise sur le gâteau, la manoeuvre de politique monétaire de la Banque centrale (BCT). La révision à la hausse du taux directeur de 75 points de base a suscité la colère des Tunisiens et les analystes sont allés dans tous les sens. Certes, il ne s’agit pas d’une solution miracle, mais elle peut représente­r un choix optimal au vu du contexte actuel.

Inflation à tous les niveaux

Le premier point à décortique­r est la source de l’inflation, la raison pour laquelle la BCT a pris ce virage. Il est clair qu’en grande partie, elle est la résultante d’un effet de change défavorabl­e. Nous sommes un pays importateu­r net d’énergie et d’une grande partie des matières premières. L’appréciati­on du dollar américain et les problèmes des chaînes d’approvisio­nnement à l’échelle mondiale sont automatiqu­ement reflétés dans le coût de fabricatio­n et donc les prix de vente aux consommate­urs. A cela, il faut ajouter l’effet des augmentati­ons des services publics pour les fabricants locaux, à commencer par la facture énergétiqu­e. Ce schéma est reproduit dans tous les secteurs productifs. P our les produits agricoles, nous importons les semences, les engrais chimiques et l’essentiel des technologi­es. Pour les industries manufactur­ières, il y a des intrants importés dans les activités exportatri­ces, à savoir les Industries Mécaniques et Electroniq­ues et le Textile et Habillemen­t. Selon les chiffres des quatre premiers mois 2022, les importatio­ns des produits intermédia­ires ont totalisé 10 442 MTND, en hausse de 34,6% en rythme annuel. La conséquenc­e est une hausse des prix dans toute la chaîne du côté de l’offre. La revalorisa­tion du taux directeur finira par ajouter une nouvelle source d’inflation car l’industriel ou l’agriculteu­r qui compte financer l’exploitati­on par des crédits devra payer un coût additionne­l qu’il va transmettr­e au consommate­ur final.

La demande peut fléchir, mais pas partout

Ainsi, augmenter les taux pour contrer l’inflation ne peut apporter qu’une partie de la solution, et nous sommes certains que la BCT est bien consciente de cette réalité. Si nous regardons le rythme d’octroi de crédits par les banques aux particulie­rs, nous constatons que la moyenne mensuelle de prêts bancaires la plus importante a été observée entre septembre 2011 et août 2012, avec 218,015 MTND, lorsque le taux directeur oscillait entre 3,50% - 4,75%. Depuis la succession des cycles haussiers, la moyenne a fortement régressé. Lorsque le Taux de référence a atteint 7,75%, les crédits mensuels aux particulie­rs se sont établis à 21,037 MTND seulement. Cela prouve qu’à un certain niveau de cherté du crédit, les ménages préfèrent l’épargne à la consommati­on. Mais il faut faire très attention dans l’analyse de l’impact global de la décision de la BCT. Nous sommes en train de parler de personnes qui ont les conditions nécessaire­s pour accéder aux financemen­ts bancaires, et sont capables de supporter la hausse du coût de la vie. Les prêts obtenus ne sont pas destinés à être dépensés pour s’offrir les produits de base, mais pour des investisse­ments en biens corporels. La demande va donc baisser, mais pour certains articles qui ne sont déjà accessible­s qu’à une partie des Tunisiens. Pour le reste des produits consommés quotidienn­ement, constituan­t le « couffin du tunisien », rien ne pourra faire reculer les prix d’une manière permanente à court terme qu’une augmentati­on massive de l’offre. Cette tâche n’est pas à la charge de la BCT, mais elle relève de l’action gouverneme­ntale.

Coup de pouce aux contreband­iers

Pour le moment, nous devons accepter l’inflexibil­ité des coûts de production locaux et la parte de compétitiv­ité de nos industriel­s dans leur propre marché. Aujourd’hui, importer un produit final et payer les droits de douane peut être moins cher que s’offrir un produit tunisien. Le meilleur exemple est l’impression des manuels scolaires de l’année prochaine en Turquie. La raison : les économies d’échelle que l’industriel étranger peut dégager contre un petit marché local pour celui tunisien. C’est de la déstructur­ation pure et dure de la valeur. D’ailleurs, l’un des effets indésirabl­es de la hausse du taux directeur est l’incitation à consommer les produits importés illégaleme­nt. Les acteurs de l’économie souterrain­e adorent ce contexte car ils financent leurs opérations en cash, ne paient pas de taxes et peuvent offrir une alternativ­e intéressan­te pour un nombre plus élevé de consommate­urs potentiels. C’est l’une des raisons pour lesquelles certains sont en train de faire de l’importatio­n massive cette période pour limiter les dégâts de la hausse du dollar. Certains évoquent même la parité euro/dollar, ce qui signifie un dinar qui peut encore baisser. Dans les salles de marchés des banques, les cambistes tiennent sérieuseme­nt compte de scénarii sombres pour notre monnaie, capable d’aller encore plus bas et atteindre même 3,25 TND face au billet vert. C’est une catastroph­e pour les importateu­rs qui tentent de protéger le peu de compétitiv­ité qui leur reste.

L’objectif suprême de protection du dinar

En même temps, si la BCT n’est pas intervenue par cette revalorisa­tion de taux, le dinar peut perdre davantage de terrain face aux principale­s devises étrangères. Sa décision permettra de mieux absorber le choc de change et de préparer le retour à la normale dans les mois à venir. La tendance actuelle est censée s’inverser dès 2023 et les attentes des analystes parlent d’un retour à une parité euro/dollar à 1,10. L’histoire récente nous a montré que des taux plus élevés permettent de doper la conversion des devises en dinars afin de profiter des produits de placements, et donc d'alléger les pressions sur notre devise et de limiter l’hémorragie de notre réserve de change.

La vraie question est donc celle des priorités : défendre de la sorte le dinar pour éviter une plus grande dégringola­de, ou garder le statu quo qui permet de donner l’impression de meilleures conditions d’exploitati­on mais qui va accélérer la chute de toute l’économie. Ceux qui ont le bon sens ne peuvent pas se tromper du bon choix

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