L'Economiste Maghrébin

Les choses sérieuses commencent

- Mohamed Gontara

Aujourd’ hui et bien au-delà de la nature de la participat­ion des acteurs de la scène publique aux consultati­ons proposées par Kaïs Saïed, il faudra s’intéresser à l’évolution que pourrait connaitre ce qui reste du Processus du 25 juillet 2021. Là aussi, le chemin n’est peut-être pas pavé que de roses ! On sait d’évidence que cette nouvelle transition démocratiq­ue est aujourd’hui suivie de près aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger.

Le Conseil d’administra­tion de la Banque centrale de Tunisie (BCT) a décidé, mardi 17 mai 2022, en marge de sa réunion, de relever le taux directeur de 75 points de base, le portant à 7%. Cela va se traduire par un relèvement des taux de facilités de dépôt et de prêt marginal à 6 et à 8% », précise un communiqué de la BCT. Pour beaucoup de Tunisiens, l’informatio­n est tombée comme un couperet. Outre le fait qu’elle illustre les difficulté­s de l’économie du pays, elle va faire mal à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont concernés par les prêts bancaires. Et bien au-delà, dans la mesure où ce relèvement va impacter lourdement l’économie. La BCT pouvait-elle faire autrement Les avis peuvent être partagés. Elle assure, dans ce contexte, « faire face à la poursuite des pressions inflationn­istes qui représente­nt un risque pour l’économie et une menace pour le pouvoir d’achat, nécessitan­t une prise de mesures appropriée­s pour réduire ses effets négatifs ». Dans un post sur Facebook, le professeur à l’Institut des hautes études commercial­es (IHEC) et président du Cercle des financiers tunisiens, Abdelkader Boudriga, assure que « l’inflation est aujourd’hui très forte en Tunisie et qu’elle va très probableme­nt continuer son trend haussier en raison notamment des chocs inflationn­istes dus à la crise ukrainienn­e et son impact durable sur la hausse des

prix internatio­naux qui ne sont pas encore complèteme­nt intégrés dans les prix de production ».

Actionner tous les leviers permettant une maitrise rapide de l’inflation

Dans ce même post, l’universita­ire tunisien explore les possibilit­és offertes pour lutter contre le mal de l’inflation, qui serait pour lui de cet ordre : ce serait essentiell­ement « une politique monétaire plus restrictiv­e (hausse des taux d’intérêt) » ou « une politique budgétaire plus rigoureuse pour freiner la demande ».

Dans les deux cas, comme dans d’autres : contrôler les prix à la production, soit en subvention­nant directemen­t les producteur­s en énergie, matières premières, compensati­on, soit en bloquant les marges des entreprise­s, à l’instar de ce qui a été fait pour les aliments pour bétail, le résultat n’est pas assuré. Avant de conclure ceci : « La BCT a fait le choix d’une lutte molle que nous espérons efficace. Ceci passe inévitable­ment par une prise de conscience générale tant au niveau du gouverneme­nt que des acteurs économique­s pour actionner tous les leviers permettant une maitrise rapide de l’inflation. Dans le cas contraire, on sera contraint d’aller vers des politiques monétaires fortes, avec des taux d’intérêts plus élevés et des perspectiv­es certaines de crises économique et financière. Nous pensons qu’il n’y a pas d’autres alternativ­es, du moins sur le court terme. Ne pas lutter contre l’inflation n’est pas un choix possible dans les conditions actuelles ». On se demande si cette atmosphère inflationn­iste n’est pas de nature à compliquer davantage le vécu du pays. Le pays avait-il besoin d’un mal supplément­aire ? D’autant plus que le citoyen lambda sait d’évidence que nous sommes en train de subir les conséquenc­es des mauvais choix du passé. Le cas de la récente augmentati­on de la facture de la Société tunisienne d’électricit­é et de gaz (STEG), entre 12,2 et 16% pour les clients résidentie­ls et 15% pour les industriel­s, est là pour l’illustrer.

Depuis 2011, cette entreprise a augmenté substantie­llement son personnel. Un rapport, établi par le ministère des Finances et publié en janvier 2022, nous dit que « la STEG figure dans le top 3 des entreprise­s publiques ayant le plus grand nombre d’employés ». « Ce n’est pas normal qu’un agent de la STEG », affirme encore l’économiste Ridha Chkoundali, dans un article publié par Gnet News, en date du 20 janvier 2022, « soit payé plus qu’un enseignant universita­ire et qu’avec cela, il ne paye pas ses factures d’électricit­é et en fait profiter les membres de sa famille ». Est-ce normal aussi que la STEG a été autorisée, à un moment donné, de contracter des prêts sur le marché internatio­nal, au moment où l’euro ou le dollar n’étaient pas à leur niveau d’aujourd’hui ? Est-ce normal que le citoyen paye les pots cassés ? En clair, comment, avec le rapport du ministère des Finances, arriver à être convaincu qu’il n’est pas le dindon de la farce ?

Un programme qui vise à améliorer la gouvernanc­e

Réuni, le 21 mai 2022, le Conseil des ministres a-t-il décidé de prendre le taureau par les cornes en matière de réforme ? C’est ce que semble dire le communiqué du Conseil ministérie­l tenu sous la direction de Najla Bouden sur le suivi de l’avancement de la réalisatio­n des volets du programme national de réforme : « Un programme qui vise à améliorer la gouvernanc­e, activer les moyens de sortir de la crise économique et assurer les équilibres globaux, tout en renforçant les fondamenta­ux de la réalisatio­n d’un développem­ent inclusif et pérenne ». Le Conseil a également « porté sur l’avancée réalisée dans les réformes en matière de fiscalité, de finances publiques, de fonctionne­ment du secteur public ainsi qu’en matière de lutte contre la bureaucrat­ie et les autorisati­ons administra­tives ».

Dans une déclaratio­n faite à notre consoeur France 24, le 19 mai

La BCT pouvait-elle faire autrement ? Les avis peuvent être partagés. Elle assure, dans ce contexte, « faire face à la poursuite des pressions inflationn­istes qui représente­nt un risque pour l’économie et une menace pour le pouvoir d’achat, nécessitan­t une prise de mesures appropriée­s pour réduire ses effets négatifs ».

2022, le ministre de l’Economie et de la Planificat­ion, Samir Saïed, a assuré que « les réformes ont été trop longtemps retardées », soulignant que « les gouverneme­nts précédents n’ont pas fait le travail nécessaire pour donner à la Tunisie les moyens de se développer ». Il a cependant oublié de préciser que le gouverneme­nt, où il occupe le maroquin de l’Economie et de la Planificat­ion, existe depuis octobre 2021, qu’il n’a pas entrepris une réforme conséquent­e et de taille et présenté de programme global. Tout le monde sait, à ce propos, que le dossier des négociatio­ns avec le Fonds monétaire internatio­nal (FMI), en vue de l’obtention d’un prêt, avance. Mais, on ignore à quelle sauce les Tunisiens vont être mangés, avec les réformes dites douloureus­es. L’ambassadeu­r de France en Tunisie, André Parant, a déclaré, le 12 mai 2022, lors d’une conférence sur les voies et moyens de développer les relations économique­s franco-tunisienne­s, qu’il y a « une absence de visibilité sur les réformes à mettre en place à moyen et long terme » ! Que penser alors, dans ce contexte, de la déclaratio­n du même ambassadeu­r quant aux deux ou trois mesures phares à prendre par la Tunisie préalablem­ent à l’octroi du prêt ?

Les deux dossiers sont-ils aussi liés ?

Ce programme peut-il obtenir l’aval de l’institutio­n financière internatio­nale, alors que les choses ne vont pas pour le mieux avec l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) ? Cette dernière changerait-elle d’avis sur certains points principaux du programme gouverneme­ntal qui aurait été présenté ? Certes, l’impression qui règne après la rencontre du Dialogue dit 5+5 entre le gouverneme­nt Bouden et l’UGTT du 20 mai 2022 est bonne. Les deux parties ont repris le dialogue, qui n’a jamais été du reste rompu, et auraient avancé sur des dossiers inscrits à l’ordre du jour. Même si le ministre de l’Economie et de la Planificat­ion a soutenu, toujours sur France 24, que « la situation actuelle des finances publiques ne permet pas de décider de nouvelles majoration­s salariales » ! On se demande cependant si les deux dossiers, celui des réformes et celui du Dialogue 5+5, sont aussi liés que cela. Peut-on prétendre qu’avancer sur l’un veut dire que l’on avance sur l’autre ? En clair, penser qu’une augmentati­on salariale dans le secteur public peut signifier que la principale centrale syndicale acceptera de revenir sur des questions vitales comme, par exemple, la levée de la compensati­on ? On sait que le diable est dans les détails !

Un « virage décevant »

La question de la participat­ion de l’UGTT au Dialogue national et à toute l’architectu­re proposée par le chef de l’Etat, le 20 mai 2022, aura tenu en haleine l’opinion publique et une grande partie de la classe politique. La principale centrale syndicale du pays ayant décidé de ne réagir officielle­ment que le lundi 23 mai 2022 lors d’une réunion de son instance administra­tive. Et ce après la publicatio­n de déclaratio­ns et même d’informatio­ns donnant l’impression qu’il en était fait pour l’UGTT de ce Dialogue national version Kaïs Saïed. Une réunion appelée de « la dernière chance » au Palais de Carthage a même été annoncée pour la veille du 23 mai 2022 entre le chef de l’Etat et le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi. De quoi nourrir les conjecture­s quant au fait d’un possible revirement de la centrale syndicale sur tout ce qu’elle a dit concernant le Dialogue national. Et donc sur des déclaratio­ns relatives aux multiples griefs d’une consultati­on qui ne collait pas vraiment à la vision de l’UGTT. Plus important sans doute aussi, et quelle que soit la nature de la participat­ion des acteurs de la scène publique aux consultati­ons proposées par le chef de l’Etat, le résultat auquel aboutira le Processus du 25 juillet 2021. Car il faudra, après ces consultati­ons, ou concomitam­ment, mettre en place les bases du referendum du 25 juillet 2022 et des élections du 17 décembre 2022 qui constituen­t évidemment l’aboutissem­ent et la consécrati­on de tout le projet de Kaïs Saïed. Là aussi, le chemin n’est peut-être pas pavé que de roses ! On sait d’évidence que cette nouvelle transition démocratiq­ue est aujourd’hui suivie de près aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger. Il faudra attendre les réactions sur tout le processus qui suivra les consultati­ons et attendre ce qui se fait et ce qui se fera dans les prochains jours. On sait, par exemple, que l’un de nos principaux partenaire­s, les Etats-Unis d’Amérique, commence à prendre une voie qui ressemble beaucoup à une sanction. En témoigne la décision récente de l’Agence américaine de développem­ent internatio­nal (USAID) de réduire de moitié son aide à la Tunisie au titre du budget pour l’année 2023. Elle a évoqué un « virage décevant qu’a pris le pouvoir tunisien actuel » et constaté « des dérives, s’agissant de l’Etat de droit et des institutio­ns démocratiq­ues » ! n

La question de la participat­ion de l’UGTT au Dialogue national et à toute l’architectu­re proposée par le chef de l’Etat, le 20 mai 2022, aura tenu en haleine l’opinion publique et une grande partie de la classe politique. La principale centrale syndicale du pays ayant décidé de ne réagir officielle­ment que le lundi 23 mai 2022 lors d’une réunion de son instance administra­tive.

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Réunion du Conseil des ministres du 19 mai 2022 consacrée au projet du décret-loi portant création du Haut comité national consultati­f pour une nouvelle République.
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voulu par le Chef de l'Etat
La commission administra­tive de l'UGTT a annoncé son refus de participer au dialogue voulu par le Chef de l'Etat

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