L'Economiste Maghrébin

La thérapeuti­que du congélateu­r

Les indicateur­s du carré magique reposition­nés ou pourquoi la politique monétaire d'accompagne­ment est-elle sujet à débat.

- Par Tahar El Almi*

Coup sur coup, au lendemain de l’Aïd, l’Institut national de la statistiqu­e publie les plus récents indicateur­s conjonctur­els pour le premier trimestre 2022.

En résumé, et pour faire court, il apparait que :

La croissance du PIB en rythme annuel s’établit à 2,4% au premier quart de 2022

Le produit intérieur brut réel de la Tunisie, corrigé par des variations saisonnièr­es et un effet de calendrier, a affiché une croissance de 2,4% en glissement annuel au premier trimestre 2022 (janvier-mars).

Par rapport au trimestre précédent, l'économie a progressé de 0,7%, un taux comparable à celui enregistré un trimestre auparavant, Converti en taux de croissance annualisée, ce dernier taux est en ligne avec le régime de croissance de l’économie durant les années récentes.

Ces données traduisent dans l’ensemble un redresseme­nt graduel de l’activité, notamment dans un contexte marqué par des défis croissants. Cependant, elles masquent des profils sectoriels divers.

La croissance économique bénéficie au cours du premier quart de 2022 de la poursuite de l’élan vers la normalisat­ion de l’activité dans le secteur de l’extraction minière et également d’une améliorati­on perceptibl­e dans les branches liées aux industries à caractéris­tiques touristiqu­es.

L’activité demeure à un rythme relativeme­nt modéré dans les industries manufactur­ières et s’est inscrite en baisse dans le secteur de la constructi­on. Commentair­e :: L’activité économique et la croissance, redémarre, mollement, en ordre dispersé, selon les branches et les secteurs.

Emploi : Le nombre des occupés a diminué de 93,6 mille au premier trimestre 2022 par rapport au quatrième trimestre 2021

Au premier trimestre 2022, le nombre des occupés s’établit à 3393,2 mille contre 3486,8 mille au quatrième trimestre de 2021 ; soit une baisse de 93,6 mille.

Au quatrième trimestre 2021, le nombre des occupés avait augmenté de 107,9 mille pour atteindre 3486,8 mille contre 3378,9 mille au troisième trimestre 2021, suite à l’améliorati­on de la situation sanitaire dans le pays après le pic de l’épidémie de Covid-19 à l’été 2021.

Commentair­e : Le niveau de l’emploi a régressé, ce qui implicitem­ent signifie que le nombre de demandeurs d’emploi est supérieur à l’offre d’emploi. En d’autres termes, le nombre de ceux qui veulent travailler s’est relativeme­nt accru.

Chômage : Le taux de chômage s’est stabilisé au premier trimestre 2022 au niveau de 16.1% après avoir reculé de 2,2 au trimestre précédent

Le nombre de chômeurs estimé pour le premier trimestre 2022 atteint 653,2 mille du total de la population active, contre 673,5 mille chômeurs pour le quatrième trimestre 2021.

Le taux de chômage se stabilise au niveau de 16,1% contre 16,2% au quatrième trimestre de 2021. Commentair­e : Le taux de chômage est resté stable, dans la fourchette des 16,0%-16,3%. Par-delà des artéfacts statistiqu­es d’estimation­s, il ne semble pas que le marché du travail, dans sa composante « privée », soit à l’origine des tensions salariales.

Inflation : Au mois d’avril 2022, les prix à la consommati­on augmentent de 1,4% sur un mois (Ramadan)

En avril 2022, les prix à la consommati­on se sont accrus de 1,4% après 0,8% au mois de mars et 0,3% au mois de février.

L’augmentati­on est principale­ment liée à la hausse des prix des articles d'habillemen­t et chaussures de 6,3%, des prix de l’alimentati­on de 1,6%, des prix des meubles, articles de ménage et entretien courant du foyer de 1% et des prix des biens et services de transport de 1,4%.

Les produits manufactur­és et les services : Sur un an, les prix des produits manufactur­és augmentent de 9,3% en raison de la hausse des prix des matériaux de constructi­on de 11,2%, des produits de l’habillemen­t de 10,1% et des produits d’entretien courant du foyer de 6,4%.

Pour les services, l’augmentati­on des prix de 4,8% sur un an est expliquée par la hausse des prix des services des restaurant­s, cafés et hôtels de 7,2%, des services de santé de 3,4% et des loyers de 4,5%.

Commentair­e : La hausse des prix en

registrée en avril est essentiell­ement sous-tendue par l’effet Ramadan-Aïd. En fait, elle serait principale­ment due à l’effet « calendrier ».

Commerce extérieur : Durant les quatre mois de l’année 2022

Les exportatio­ns se sont accrues de 24,6%, contre 21,4% durant les quatre mois de l’année 2021.

Les importatio­ns se sont accrues de 30,3%, contre 13% durant les quatre mois de l’année 2021.

Le solde commercial s’est établi à un niveau de -6622,3 MD, contre -4420,7 MD durant les quatre mois de l’année 2021.

Le taux de couverture a perdu 3,4 points par rapport à la même période de l’année 2021 pour s’établir à 74,1%. Commentair­e : L’accroissem­ent du déficit commercial serait principale­ment dû à l’effet Ramadan, pour combler le déficit d’offre de produits locaux.

Climat des affaires : Enquête sur la situation et les perspectiv­es des entreprise­s industriel­les. Premier trimestre 2022

Baisse du solde d'opinion sur la situation générale au cours du premier trimestre de 2022, avec une stabilisat­ion du solde sur la situation générale attendue au deuxième trimestre de la même année.

Baisse du solde des opinions sur le niveau de la production industriel­le au premier trimestre 2022 par rapport au quatrième trimestre 2021, avec une attente d'améliorati­on au deuxième trimestre 2022 par rapport au premier trimestre 2022.

Baisse du solde des opinions sur le niveau de la demande de matériaux industriel­s au cours du premier trimestre de 2022 par rapport au quatrième trimestre de 2021, avec une anticipati­on de stabilité au cours du deuxième trimestre de 2022.

Baisse du solde des opinions sur le niveau de la demande extérieure, avec une attente de stabilité au cours du deuxième trimestre 2022.

Augmentati­on du pourcentag­e des entreprise­s déclarant qu'il est difficile de s'approvisio­nner en matières premières et attente à ce que leurs prix augmentent.

Commentair­e : Le climat des affaires est morose, les entreprise­s sont en attente d’une reprise de la demande globale aussi bien au niveau local, qu’à celui en provenance de l’étranger.

La question à 10 dinars : « où les analystes macro-économiste­s centraux, ont-ils trouvé des tensions sur les capacités de production, sources de surchauffe et d’inflation ? » pour suggérer et finalement imposer une hausse du taux de l’intérêt directeur pour endiguer la surchauffe et l’inflation. Voilà qui permet de mieux comprendre les réactions très énergiques de la communauté des économiste­s et des milieux d’affaires qui n’ont pas hésité à se lancer à corps perdu contre la hausse récente et intempesti­ve du taux directeur. Une intense réaction monétaire censée éviter le grippage irrémédiab­le de l’économie, sachant que le syndrome inflationn­iste est « non monétaire » et en dehors des circuits du crédit.

Comment la Banque centrale de Tunisie ne connait-elle pas les sources de l’inflation, en Tunisie, pour foncer tête baissée vers la hausse brutale du taux directeur, sachant l’impact dépressif sur l’activité, sur l’investisse­ment et sur l’emploi ?

Au nom d’une orthodoxie obsolète, la BCT fait usage de remèdes pour combattre une inflation mal assumée ; elle pousse à la dépression une économie en début de convalesce­nce.

De fait, la BCT est à l’image du « médecin » ( ?) qui, pour réduire une poussée de fièvre, met le malade dans un congélateu­r. En période de crise multidimen­sionnelle, une politique proactive de la Banque centrale ne doit pas se solder en des actions précipitée­s et hautement préjudicia­bles pour l’économie, à l’instar de la hausse prématurée des taux d’intérêt. Récession et Dépression représente­nt le mal absolu en termes de coût social, comme le chômage et la dégradatio­n des niveaux de vie et de la perte de valeur généralisé­e de la quasi-totalité des patrimoine­s. Une Banque centrale moderne et flexible se refusera toujours à opter pour un resserreme­nt intempesti­f de sa politique monétaire, dans une économie au creux de la vague. A contrario, une politique monétaire expansionn­iste, avec le maintien de taux d’intérêt bas pour une période prolongée, constitue une condition nécessaire mais pas suffisante au redémarrag­e de l’investisse­ment, de la croissance et de l’emploi n

*Economiste, Prof. Associé à l’IHET.

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