L’état des lieux des banques tunisiennes 7 en chiffres
Après la saison des publications annuelles et trimestrielles, nous avons une image claire du secteur bancaire. Au-delà des critiques qui lui sont adressées, il faut comprendre que l’économie tunisienne ne peut pas progresser sans des banques saines. Nous avons exploré les états financiers et les indicateurs d’activité des banques, et nous revenons vers nos lecteurs avec une synthèse. Bien que trois établissements de crédits n’aient pas encore affiché leurs chiffres (QNB Tunisie, BTK et Citibank), nous pouvons confirmer que ces conclusions sont valables pour une industrie de laquelle dépend la croissance économique du pays.
Déjà 6 189 MTND de PNB
Pour la première fois dans l’histoire du secteur, le Produit net bancaire (PNB) dépasse la barre des 6 MdsTND et ce, en dépit de la baisse des taux tout au long de l’année. Les taux effectifs moyens se sont inscrits sur une tendance baissière, avec l’impact progressif des mesures de la Banque centrale de Tunisie (BCT) lors de la crise sanitaire. Après la publication des chiffres par les trois banques manquantes, le chiffre sectoriel devrait s’établir à plus de 6 300 MTND. Ce trend a été confirmé lors du premier trimestre 2022. Pour les douze banques cotées en Bourse, le PNB consolidé a progressé de 11,7% à 1 447 MTND, ce qui promet un volume annuel d’environ 7 MdsTND pour 2022. L’impact de la hausse du taux directeur devrait être positif et la part de la marge d’intérêt serait de 52% selon nos estimations (50,5% au premier trimestre 2022). Les revenus de portefeuilles (28,6% du PNB) devraient également s’amplifier, grâce aux à revenus à taux variables. Le top line des banques n’a jamais été aussi élevé, mais l’histoire nous a enseigné que cela ne signifie nécessairement pas plus de bénéfices.
122 MdsTND d’actifs
Notre groupe de banques affiche déjà un total actif de 122 133 MTND, une progression de 8 785 MTND sur une année. Au niveau sectoriel, nous devrions atteindre 125 MdsTND, ce qui n’est pas loin du PIB du pays.
Ce montant peut paraitre énorme, mais il est plus faible que le total actif du groupe marocain Attijariwafa Bank qui est de 56 milliards de dollars !
Nous comprenons donc pourquoi tous les rapports des institutions financières internationales insistent sur le fait que le système bancaire tunisien reste fragile et en manque de fonds propres. Si nous voulons financer convenablement l’économie tunisienne, nous devons avoir un système bancaire beaucoup plus grand et avec plus de fonds propres. Cela prouve également que le système actuel n’a plus de marge pour grandir durant les prochaines années, car s’il va davantage réduire le gap avec le PIB, c’est qu’il va générer des crédits qui ne seront jamais remboursés.
91 MdsTND de crédits
Les banques qui ont publié leurs états financiers jusqu’à la rédaction de ces lignes, ont un encours net de crédits de 86 175 MTND, soit une hausse de 5,3%. En valeur absolue, c’est une progression de 4 371 MTND. En même temps, nous constatons que les professionnels crient au manque de flexibilité des établissements financiers. Selon les chiffres de la BCT, et jusqu’à fin novembre 2021, le système a accordé 5 516 MTND de crédits nets additionnels depuis le début de l’année. Où va donc tout cet argent ?
En fait, une grande partie se rapporte à des crédits à court terme. La structure des prêts aux professionnels montre que 54,6% des crédits sont de courte durée. La part des financements à long terme, et qui sont destinés à l’investissement, reste minoritaire. En réalité, la part est encore plus petite, car il faudra tenir compte des crédits long terme accordés dans le cadre des mesures antiCovid et qui ont été dépensés immédiatement par les emprunteurs. L’entreprise tunisienne continue à s’endetter pour payer ses charges courantes et supporter des coûts significatifs qui effritent ses marges. Plus de crédits n’est pas synonyme de plus de production, mais plutôt de plus de contraintes. Le rythme du premier trimestre 2022 n’est pas encourageant. Les banques cotées ont accordé des crédits supplémentaires de 635,627 MTND sur les trois premiers mois de l’année, ce qui promet un rythme plus faible que celui observé en 2021. Avec la hausse des taux, la machine risque de se gripper encore.
1 702 MTND de dépôts supplémentaires en trois mois
En contrepartie de ces crédits, il y a une accumulation plus rapide des dépôts. En 2021, ils se sont établis à 86 884 MTND, en progression de 7 069 MTND. Cela dépasse de loin le rythme d’octroi de prêts.
Ce déphasage de rythme atteste que les banques sont plus que jamais averses aux risques. Elles ne prêtent qu’aux bonnes signatures et mettent le reste dans les titres de créance, essentiellement ceux de l’Etat. C’est un très bon placement, surtout que le Trésor est très demandeur sous toutes les formes. Si l’Etat offre un ren
dement vers 7,5% net, c’est une aubaine.
Sur le premier trimestre 2022, nous avons constaté que les douze banques cotées ont pu attirer 1 702 MTND de dépôts supplémentaires. En d’autres termes, pour chaque dinar gagné en dépôts, les banques n’ont accordé que 0,373 TND de crédits nets supplémentaires.
Outre les considérations de risques, le ratio de transformation (Crédits/Dépôts) limite aussi l’activité des banques qui veulent avoir une position confortable vis-à-vis des normes prudentielles de la BCT. Bref, tous les arguments sont bons pour justifier moins de financements aux entreprises qui boîtent.
Vers un coût du risque de 1 350 MTND
Par rapport à 2020, la qualité de l’actif de notre échantillon est restée stable. Le coût du risque s’est établi à 1 240 MTND fin 2021 contre 1 272 MTND une année auparavant. C’est une très bonne nouvelle. Pour rappel, la BCT avait permis aux entreprises de reporter le remboursement de leurs échéances de crédits sans être déclassées jusqu’à fin septembre 2021. Fin décembre, les chiffres montrent qu’il n’y a pas d’aggravation particulière des crédits non performants, et les banques se sont trouvées en mesure de provisionner à un rythme largement supportable. Pour l’ensemble du secteur, nous estimons ce coût à 1 350 MTND.
Ce montant n’est pas négligeable et confirme que le secteur garde une politique de provisionnement stricte par rapport aux moyennes historiques. Pour 2022, ce rythme serait maintenu, car la BCT devrait durcir ses normes prudentielles. Il y a également les IFRS qui vont modifier progressivement le calcul des provisions et l’appréciation des risques. Même si cela réduit les bénéfices des banques, cela rendra l’industrie plus solide et permettra une plus grande résilience face aux chocs économiques.
0,865 TND de charges opérationnelles pour générer 1 TND supplémentaire dans le PNB
Les banques tunisiennes dépensent de plus en plus dans leur exploitation. Si nous analysons les chiffres du premier trimestre 2022, nous constatons que chaque établissement a payé en moyenne 10,861 MTND de charges opérationnelles additionnelles. Ainsi, pour générer 1 TND supplémentaire dans le PNB, il faudra dépenser 0,865 TND ! C’est loin d’être une opération rentable. Le Tunisien n’est pas un adepte des nouvelles technologies, bien qu’il en réclame. Il adore aller à la banque et rester dans les files d’attente. Le virtuel ne le séduit pas et il veut avoir une agence de référence en brique et en béton pour être sûr que son argent est bien protégé. Si un établissement veut attirer plus de dépôts, il doit avoir le plus large réseau possible. En même temps, pour rentabiliser une agence, il faut attendre des années. Il suffit de poser la question aux banquiers pour s’apercevoir qu’une nouvelle ouverture est un exercice particulièrement compliqué.
Une grande partie de ces charges additionnelles concerne les charges sociales, surtout après les revalorisations salariales de 2021. Ainsi, 65,5% des charges opérationnelles sont des rémunérations, ce qui est très élevé. Pour 1 TND de PNB généré, 0,443 TND va aux salaires au premier trimestre 2022 contre 0,395 TND sur la même période en 2021. Cela sans oublier que les hausses des prix qui touchent les entreprises, comme l’électricité et les différents outils de production, touchent aussi les banques. Les coefficients d’exploitation atteindront un record cette année.
1 239 MTND de bénéfices nets
Les profits dégagés par les banques en 2021 se sont établis à 1 239 MTND contre 981 MTND en 2020. Mais cette hausse est à rectifier par les dons que le secteur avait donnés au fonds 18 18. Le secteur pourrait retrouver le niveau de bénéfices de 2019. Pour limiter la distribution excessive de dividendes, la BCT a mis la barre haute en termes de ratio Tier I, afin de garantir un minimum de construction de fonds propres. La profitabilité serait encore meilleure en 2022, mais la progression serait à un seul chiffre selon nos estimations. La hausse des taux est généralement profitable au secteur, avec une hausse mécanique du PNB. Tout dépend de la disponibilité des ressources. Les chiffres de refinancement, actuellement à 9 956 MTND, prouvent que les banques n’expriment pas des besoins importants et qu’elles parviennent à optimiser leurs exploitations. Les investisseurs en Bourse et l’industrie financière seront à l’honneur cette année.
Conclusion : Nous avons des banques performantes à l’échelle locale. Mais si nous appliquons des normes prudentielles plus strictes, une grande partie de cette profitabilité risque de s’évaporer. Une démarche progressive dans l’implémentation des ces règles reste la seule solution face à l’incapacité de la majorité des actionnaires des banques à injecter massivement des fonds propres n
Sur le premier trimestre 2022, nous avons constaté que les douze banques cotées ont pu attirer 1 702 MTND de dépôts supplémentaires. En d’autres termes, pour chaque dinar gagné en dépôts, les banques n’ont accordé que 0,373 TND de crédits nets supplémentaires.