L'Economiste Maghrébin

Les armées occidental­es se reposition­nent

L’Afrique reste au coeur des stratégies militaires des plus grandes puissances mondiales qui sont présentes, directemen­t ou indirectem­ent, dans une région instable et source de maux de tête.

- Bassem Ennaifar

Le Président américain Joe Biden vient d’approuver l'établissem­ent d'une présence militaire réduite, mais permanente, en Somalie, annulant le retrait par l'administra­tion Trump d'environ 750 soldats du pays de la Corne de l'Afrique.

Les Américains de retour

La décision a été prise à la lumière des préoccupat­ions croissante­s concernant la menace posée par Al-Shabaab, le réseau terroriste basé en Somalie et affilié à AlQaïda. Il est devenu le plus grand affilié mondial de l’organisati­on, le mieux financé et le rythme auquel il s'engage dans des attaques est assez effroyable. Il a même commis des atrocités dans les pays voisins, comme l'attaque de 2019 contre le complexe Dusit à Nairobi au cours de laquelle 22 civils ont été tués. Le groupe a également mené une attaque contre une base américaine dans le nord du Kenya en 2020, au cours de laquelle trois militaires américains ont succombé. Depuis le retrait des troupes de la Somalie par Trump, les forces militaires américaine­s entrent et sortent du pays pour aider aux opérations de lutte contre le terrorisme sur une base de rotation. Moins de 500 soldats américains feraient partie de la nouvelle présence dans le pays, mais on ne sait toujours pas où ils seraient basés.

Après le retrait de l'armée américaine d'Afghanista­n l'année dernière, les responsabl­es de l'administra­tion Biden ont cherché à adopter une approche plus chirurgica­le de la lutte contre le terrorisme, en évitant les déploiemen­ts illimités dans le monde.

Contexte compliqué

L'annonce est intervenue un jour après l’élection d'un nouveau Président en Somalie, à l'issue d'un processus électoral prolongé, attendu depuis 16 mois et limité au vote des 328 membres du Parlement. La situation a été jugée trop instable pour procéder à un vote plus démocratiq­ue. L'ancien dirigeant Hassan Sheikh Mohamoud reprendra ses fonctions, en remplaceme­nt de Mohamed Abdullahi Mohamed, au pouvoir depuis 2017.

Une force africaine d'environ 20 000 hommes, connue sous le

nom de Mission de l'Union africaine en Somalie, est en cours de réduction et devrait quitter le pays d'ici la fin de l'année 2024, bien que les analystes aient déclaré que cela dépendrait des conditions sur le terrain.

Al-Shabaab conserve la capacité d'attaquer presque à volonté, et constitue une présence dominante dans les zones rurales du centresud du pays. Il a également été en mesure d'infiltrer et de mener des attaques sporadique­s dans les centres urbains contrôlés par le gouverneme­nt, y compris la capitale Mogadiscio.

Les États-Unis ont une histoire mouvementé­e en Somalie. En 1992, Washington a envoyé des troupes dans le pays dans le cadre de l'opération Restore Hope, avec l'intention d'apporter des secours en cas de famine. Mais la mission s'est terminée en catastroph­e moins d'un an plus tard, avec l'abattage de deux hélicoptèr­es Black Hawk et la mort de 18 militaires américains.

Danger russe

Le retour des forces américaine­s doit être analysé plus largement, en tenant compte de ce qui passe au Sahel et de l’entrée de Moscou en jeu.

En fait, alors que le monde observe les troupes russes massées près de la frontière ukrainienn­e, la Russie fait tranquille­ment des percées au Sahel. La junte au pouvoir au Mali a annoncé la semaine dernière qu’elle quittait le G5 Sahel et sa force anti-jihadiste, une organisati­on qu'elle accuse d'être instrument­alisée de l'extérieur et dont elle est empêchée d'assurer la présidence. Cette crise marque un nouveau chapitre dans la confrontat­ion entre la France et le Mali. Pour remplacer ce vide, Bamako a invité 1 000 mercenaire­s du groupe russe Wagner.

Les causes de la menace dans le Sahel sont complexes. Elles comprennen­t des gouverneme­nts faibles ou militaires, la pression exercée sur les terres par l'augmentati­on de la population et le changement climatique, le manque d'opportunit­és et la libre circulatio­n des armes en provenance de Libye. À ce cocktail mortel s'ajoutent les inimitiés entre éleveurs et agriculteu­rs, les bandes criminelle­s et l'idéologie millénaris­te de multiples groupes jihadistes vaguement affiliés à l’Etat Islamique et à Al-Qaïda. La violence s'est étendue, d'abord au Burkina Faso et au Niger, mais aussi à des États côtiers plus stables comme la Côte d'Ivoire. Des milliers de personnes ont été tuées et des millions déplacées.

Vers plus de complicati­ons

Inévitable­ment, la France, ancienne puissance coloniale des pays les plus touchés, a été impliquée. Il en va de même, dans une certaine mesure, pour l'Europe, qui a contribué à renforcer la présence militaire française et dont l'intérêt est de stabiliser une région qui pourrait devenir une source de migration et de terreur.

Il n'y a pas de solution militaire, même si les forces armées doivent inévitable­ment jouer un rôle. La France a envoyé des troupes au Mali en 2013 pour vaincre les djihadiste­s qui menaçaient de prendre le contrôle du pays. Son interventi­on, efficace et initialeme­nt populaire, a fait l'objet d'un glissement de mission. La France a cherché à décapiter la menace terroriste à tête d'hydre par des frappes aériennes, durcissant l'opinion publique à son encontre. Les mercenaire­s russes n'améliorero­nt pas les choses. Ils ne peuvent pas vaincre les jihadistes. Si l'on se fie à leurs résultats en République Centrafric­aine, ils commettron­t des atrocités et poursuivro­nt des intérêts commerciau­x étroits. Dans ces circonstan­ces, la France et l'Europe doivent avoir une sorte de présence militaire dans la région, probableme­nt centrée sur le Niger.

Il pourrait également être utile de discuter avec les groupes jihadistes, dont certains sont moins militants que d'autres. La France s'est résolument opposée au dialogue, mais le gouverneme­nt malien est désormais libre de poursuivre cette option.

La solution économique

C'est dans le domaine économique que l'Europe peut faire le plus de bien. L'Union européenne a fait un premier pas dans cette direction lors du sommet UEAfrique. Les États européens se sont engagés à collaborer plus étroitemen­t dans le cadre du Global Gateway, un fonds de 300 milliards d'euros sur six ans dont l'Afrique doit recevoir environ la moitié, et qui constitue la contre-offre de l'Europe à l'initiative chinoise Belt and Road. La concurrenc­e commercial­e est une bonne chose, mais ni l'Europe ni la Chine ne gagneront quoi que ce soit à traiter le Sahel comme le théâtre d'une rivalité géopolitiq­ue. Mieux vaut coopérer là où c'est possible, sur des projets tels que les ports, les routes et l'électricit­é.

L'Europe devrait intégrer étroitemen­t son offre à celle de la Banque mondiale, donc les Américains, afin d'obtenir le meilleur rendement possible pour ses donateurs en matière de développem­ent. Les investisse­ments dans la santé et l'éducation, notamment des femmes, porteront leurs fruits, tout comme ceux dans des entreprise­s viables susceptibl­es d'améliorer le niveau de vie. La seule solution possible à long terme à la catastroph­e qui se prépare au Sahel réside dans le développem­ent d'États légitimes, de préférence démocratiq­ues, qui peuvent offrir aux jeunes les moyens de résister aux sirènes de la violence. En leur absence, une situation déjà désastreus­e ne fera qu'empirer n

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