Les deux vieillards et l’Ukraine
L’un a 99 ans et possède encore suffisamment de lucidité pour se prononcer sur les dossiers brûlants de l’actualité mondiale et donner avis et conseils sur la meilleure façon de les traiter. L’autre a 92 ans et assez d’énergie physique et intellectuelle pour gérer une fortune personnelle évaluée à plusieurs milliards de dollars. Le premier, de confession juive, est né en Allemagne, a émigré aux Etats-Unis à l’âge de 20 ans. Chanceux, il a fait une carrière dans la politique qui a fait de lui pendant des années le principal architecte de la politique étrangère américaine.
Le second, de confession juive aussi, est né en Hongrie. Il a quitté son pays natal à l’âge de 17 ans pour s’installer à Londres pendant quelques années. Il a émigré aux Etats-Unis à l’âge de 26 ans. Chanceux lui aussi, il a fait carrière dans la spéculation financière où, au fil des ans, il a accumulé une fortune colossale.
A part leur confession juive, leur origine européenne et l’émigration au nouveau monde à leur jeune âge, Henry Kissinger et George Soros n’ont rien de commun. Ou plutôt si. Ils partagent un autre point commun très important : les deux sont de virulents anti-communistes. Les deux, chacun à sa manière et selon ses moyens, ont combattu le communisme.
Le premier, en tant que conseiller à la sécurité nationale du président Richard Nixon et secrétaire d’Etat de Gerald Ford, cherchait les moyens d’affaiblir le communisme mondial en travaillant sur deux fronts : entraver l’expansionnisme soviétique d’une part, et s’ouvrir sur la Chine en vue d’approfondir le schisme sino-soviétique et prévenir une éventuelle réconciliation des deux grandes puissances communistes dans le monde.
Le second, en tant que milliardaire, a financé les dissidents avant l’effondrement de l’Union soviétique ; il a financé les oppositions anti-communistes en Europe de l’Est ; il a financé également « la révolution orange » en Ukraine en 2004, ainsi que le soulèvement de Maïdan et le coup d’Etat de 2014. Le premier, depuis des années, met en garde contre les dangers de l’expansion de l’Otan en direction de la Russie. Le second applaudissait une telle expansion, car pour lui, « la Russie menace l’existence même de l’Europe ».
Les deux vieillards étaient les invités du 22e forum de Davos qui s’est tenu fin mai. Les deux ont fait des interventions pour parler du sujet brûlant du moment : l’Ukraine. Ils ont exprimé des vues diamétralement opposées sur la question et proposé des solutions contradictoires pour mettre fin à la guerre.
Kissinger a parlé le premier le lundi 23 mai. Pour lui, « l'Ukraine devrait céder du territoire à la Russie pour aider à mettre fin à l'invasion ». Il a conseillé l’Occident en général et son pays en particulier de « ne pas rechercher une défaite embarrassante pour la Russie en Ukraine, car cela pourrait aggraver la stabilité à long terme de l'Europe ». Le vieil homme a exhorté les pays occidentaux de « se souvenir de l'importance de la Russie pour l'Europe et ne pas se laisser emporter par l'humeur du moment.» Un clin d’oeil sans doute aux 27 millions de Russes morts pendant la Seconde Guerre mondiale pour défendre l’Europe contre le fléau du nazisme allemand…
Si l’on veut mettre fin à la guerre, ditil, « il faut commencer des négociations dans les deux prochains mois (…). Idéalement, la ligne de démarcation devrait être un retour au statu q uo ante. » Concrètement, Kissinger propose que l’Occident accepte la souveraineté russe sur la Crimée et le Donbass (qui faisaient partie historiquement de la Russie). Sans oublier de garantir à l’Ukraine un statut de pays neutre. Tout autre est l’idée du milliardaire George Soros qui a parlé au même forum un jour après, le mardi 24 mai. Pour lui, « une grave menace pèse sur la civilisation occidentale ». Elle a un nom : Vladimir Poutine, et une adresse : le Kremlin, Moscou. Selon la logique imparable du vieux Soros, on ne négocie pas avec les menaces, on les affronte. Ce qui l’amène tout naturellement à affirmer sans sourciller : « La meilleure et peut-être la seule façon de préserver notre civilisation est de vaincre Poutine. C’est l’essentiel ». Peut-être que les origines hongroises de George Soros y sont pour quelque chose dans cette obsession antirusse et ce désir pathologique de voir le Pré