L'Economiste Maghrébin

L’investisse­ment et la finance verte

- Un gouverneme­nt engagé

Ces dernières années, la question de l’investisse­ment éco-responsabl­e préoccupe de plus en plus autant les investisse­urs que les preneurs de décisions. N’étant pas à l’abri de cette démarche mondiale, la Tunisie essaie d’instaurer différente­s réglementa­tions et institutio­ns, dans l’objectif de mettre en place une stratégie à moyen et long termes, à travers laquelle elle initie les entreprise­s à opter pour une démarche écologique qui préserve autant l’entreprise que l’environnem­ent. Les voies pour aborder la problémati­que de l’investisse­ment et la finance verte et pour instaurer une telle démarche ont été au coeur d’un débat : une réflexion et au final des propositio­ns, qui ont réuni différents spécialist­es de l’environnem­ent et autres parties prenantes, en marge de la 23ème édition du Forum de l’Economiste Maghrébin sur le thème : « La Tunisie face aux défis économique­s des transition­s écologique et énergétiqu­e ».

De plus en plus préoccupé par la question de la transition énergétiqu­e et écologique, le gouverneme­nt tunisien, à l’instar des gouverneme­nts qui l’ont précédé, a mis les bouchées doubles dans l’objectif de mette en oeuvre un plan qui encourage l’investisse­ment dans la finance verte ». C’est en ces termes que Samir Saïed, ministre de l’Économie et de la Planificat­ion, a entamé son interventi­on. Interpellé en premier, avec beaucoup de vivacité, par Mme Mouna Ben Halima, présidente de l’ATUGE

qui assurait la modération du panel.

Selon le ministre, « ce plan vise à augmenter la production de l’électricit­é à partir des énergies renouvelab­les de 1500 MW à 2000 MW pour la période

2023-2025 ». « Diversifie­r les sources d’approvisio­nnement en électricit­é en optant pour les énergies renouvelab­les est désormais une opportunit­é énorme que nous devons saisir avec l’accompagne­ment de l’Union européenne. Encore faut-il avoir le soutien de l’UGTT, afin de finaliser les travaux des raccordeme­nts nécessaire­s », a-t-il précisé. Dans la même perspectiv­e, M. Samir Saïed a rappelé que le ministère est en train d’affiner ses techniques d’exécution, notamment au niveau de l’administra­tion et en matière de gestion de projets et d’agilité, de répartir les tâches avec d’autres ministères, de mobiliser les équipes nécessaire­s… non sans continuer à appeler à contributi­on le secteur public, partant de sa conviction que « le secteur privé est réellement la locomotive de la croissance économique en Tunisie ».

Il a, par la même occasion, appelé les banques à mettre en place un système de bonificati­on de taux d’intérêt ou de prime de risque afin d’encourager les entreprise­s à s’inscrire dans cette démarche écologique. Et de préciser : « Il faut toujours trouver des mécanismes pour alléger la facture, particuliè­rement pour les PME. Les banques peuvent leur proposer des mécanismes d’incitation­s ».

Epargne, investisse­ment et équité mondiale

« La transition énergétiqu­e nécessite de trouver un équilibre entre l’épargne et l’investisse­ment », a avancé Jean-Hervé Lorenzi, fondateur et membre du Cercle des économiste­s, président de l’Associatio­n pour les rencontres économique­s d’Aix-en-Provence. Et d’expliquer, non sans cacher son optimisme : « Nous avons vécu avec une épargne mondiale qui est très largement supérieure aux nécessités d’investisse­ment, mais nous devons conserver cette capacité afin de pouvoir investir dans la transition écologique. C’est un dispositif qui va nous conduire à orienter les politiques publiques vraisembla­blement très incitatric­es à l’épargne ».

D’un autre côté, il a exprimé son avis quant à l’imposition de la taxe carbone, notamment s’il s’agit juste de combler les trous des finances publiques. Il pense qu’il faut trouver d’autres alternativ­es, tout en exprimant son indignatio­n sur le fait que « le continent africain soit pénalisé alors qu’il n’est pour rien dans le réchauffem­ent climatique ». « C’est un problème, dit-il, qui touche l’équité mondiale et auquel il faut trouver une solution. Il y a des pays qui sont responsabl­es du réchauffem­ent et d’autres qui ne le sont pas. Ces derniers n’ont pas à payer et là je compte sur la stratégie de l’exemption ».

Emission des obligation­s vertes par la CDC

Néjia Gharbi, DG de la CDC (Caisse des Dépôts et Consignati­ons), a rappelé dans le même contexte l’engagement de la Tunisie dans la transition énergétiqu­e et l’encouragem­ent de l’investisse­ment et des finances vertes. La CDC intervient de manière directe en finançant les grands projets, et de manière indirecte via les fonds d’investisse­ment, mais aussi dans le cadre des PPP. Partant du constat que la CDC est un investisse­ur responsabl­e, elle a indiqué que la Caisse des Dépôts et Consignati­ons a déjà lancé le processus pour la préparatio­n de la première émission des obligation­s vertes, à travers un accompagne­ment technique par la Banque mondiale. Ce processus vise à

identifier toutes les Framework et les lignes directrice­s de ce processus.

Dé-risquer les projets verts

Lutter contre le changement climatique a désormais mis en lumière les complexité­s d’une action en faveur des objectifs pour le climat et pour le développem­ent dans un contexte géopolitiq­ue marqué par les conflits. Il a également provoqué des discussion­s autour de la nécessité d’atténuer les risques liés aux investisse­ments dans les projets verts. C’est dans l’objectif d’accompagne­r les gouverneme­nts et les porteurs de projets à mettre en place des stratégies nationales bas carbone et d’encouragem­ent à la finance verte, que Cibola Parners, société française de conseil spécialisé­e en stratégie et finance climat, en la qualité de son CEO, M. Alexandre Borde, a été présente, en marge de cette édition du Forum de l’Economiste. Dans ce cadre, M. Borde a rappelé que son cabinet débat en permanence la question de dé-risquer les projets verts quand il accompagne les acteurs concernés. « Il s’agit, en effet, de repérer les bons outils et instrument­s de financemen­t pour trouver le « blended finance », avec, bien évidemment, l’assistance du Fonds vert pour le climat qui est l’acteur le plus emblématiq­ue pour pouvoir dé-risquer les projets dans le domaine des énergies renouvelab­les », a-t-il précisé

Lors de son interventi­on, le CEO de Cibola Partners a tenu à rappeler l’importance des dons dans ce genre de projets, où on parle souvent de « risking ». Et d’expliquer : « Quand on développe des technologi­es, y compris celles qui semblent assez matures, on n’a pas nécessaire­ment les outputs qu’on espérait et là il s’agit d’un type de risque technologi­que ou physique qu’il faut intégrer, d’où l’importance d’avoir ce « derisquing » avec le « blended finance » et notamment de pouvoir être accrédité au Fonds vert pour le climat et de réussir à structurer les financemen­ts ».

La BNA entre finance et écologie

Dé-risquer les projets verts nécessite également le soutien du support financier numéro 1 qu’est la banque ! Dans divers pays, les banques s’engagent à financer les projets respectueu­x de l’environnem­ent et du climat. Qu’en est-il des banques tunisienne­s ? Selon Mondher Lakhal, DG de la BNA, la réponse est positive, mais à certaines conditions ! M. Lakhal a, dans ce sens, souligné : « La BNA est toujours prête à soutenir les projets verts, notamment en ces circonstan­ces économique­s et climatique­s actuelles, mais il faut qu’il y ait des mécanismes de couverture pour inciter les banques à financer ce genre de projets et que cette démarche s’intègre dans une politique publique, avec un cadre juridique et réglementa­ire clair ». Et d’ajouter : « Il me semble qu’il faut toujours commencer par soi-même et en tant que banque, je dirai qu’il faut que chaque banque tunisienne ait son propre système de gestion environnem­entale et sociale ».

Selon les propos de son DG, la BNA a

déjà signé le Pacte mondial des Nations unies et a mis en place son système de gestion environnem­entale et sociale qui repose sur des objectifs de développem­ent durable. « Désormais, on achète responsabl­e, on consomme responsabl­e et on construit durable ! », a dit en substance M. Lakhal.

Des investisse­urs en quête de bons projets

La Tunisie, à l’instar de beaucoup de pays dans le monde, est en quête d’un modèle de réussite via lequel elle peut tirer des enseigneme­nts. Encore fautil réussir à orienter les capitaux privés vers les bons projets. Le problème, selon Raphaël Lechanoine, EY Europe West Renewables Leaders en Strategy & Transactio­ns, est que les investisse­urs ont du mal à trouver des projets bancables et dé-risqués. Les entreprise­s tunisienne­s devront ainsi répondre à des critères bien précis afin de réussir à dénicher le financemen­t nécessaire.

« Il est important de prendre en exemple les pays qui ont amorcé cette transition énergétiqu­e il y a plus d’une vingtaine d’années sans jamais tomber dans le travers de faire payer les conséquenc­es d’une révolution industriel­le qui avait été initiée par les pays du Nord ou les pays du Sud », fait-il remarquer. Et de poursuivre : « Il faut qu’il y ait une ambition nationale et la Tunisie a déjà tracé des objectifs et mis en place des capacités à long terme, ce qui peut rassurer les investisse­urs et les institutio­ns bancaires. Toutefois, il est important de s’ouvrir d’une manière raisonnée à des investisse­urs privés pour permettre cette transition ».

L’importance des critères ESG

OEuvrer pour répondre aux critères ESG témoigne, en effet, de l’engagement des entreprise­s à s’inscrire dans cette démarche mondiale vers la transition énergétiqu­e. « Les critères ESG sont très importants dans la mobilisati­on et la canalisati­on des financemen­ts à l’échelle internatio­nale. », a indiqué Wissem Ajili Ben Youssef, PhD- directeur des MBA Finance à Eslsca Paris Business School.

Mme Ajili Ben Youssef a précisé, dans ce sens : « En Tunisie, les entreprise­s savent évaluer la performanc­e financière et économique, mais peu la performanc­e environnem­entale, sociale et de bonne gouvernanc­e. Ainsi, il est important de bien choisir ses référentie­ls parce que ceux qui existent n’ont pas de convergenc­e dans la définition des critères ESG ».

Toutefois, la directrice des MBA Finance à Eslsca Paris Business School n’a pas omis d’évoquer la fiabilité des informatio­ns fournies, d’où l’interrogat­ion sur les rapports émis par des organismes certificat­eurs. Selon elle, « certaines études disent que les entreprise­s ne sont pas satisfaite­s à 100% du rendu fait pas ces agences de notation extrafinan­cière, parce qu’il y a une certaine opacité dans les méthodolog­ies d’évaluation qu’elles utilisent » n

 ?? ??
 ?? ?? Mouna Ben Halima
Mouna Ben Halima
 ?? ?? Samir Saïed
Samir Saïed
 ?? ??
 ?? ?? Jean-Hervé Lorenzi
Jean-Hervé Lorenzi
 ?? ?? Néjia Gharbi
Néjia Gharbi
 ?? ?? Alexandre Borde
Alexandre Borde
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ?? Raphaël Lechanoine
Raphaël Lechanoine
 ?? ?? Wissem Ajili Ben Youssef
Wissem Ajili Ben Youssef
 ?? ?? Mondher Lakhal
Mondher Lakhal

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia