L’énergie verte, un facteur de développement
Dans le troisième panel, « L’innovation et la technologie au service de la transition », l’accent a été mis sur l’aspect concret des choses. La modératrice, Madame Douja Gharbi, CEO RedStart, a posé les bonnes questions et les quatre invités du panel ont donné les bonnes réponses. Chacun dans son domaine et au niveau de l’entreprise qu’il représente a énuméré les réalisations en matière de transition écologique et énergétique. Des réalisations modestes, au vu des défis colossaux posés par la célérité du changement climatique d’une part, et par la flambée des prix des énergies fossiles d’autre part. Celles-ci auraient pu être beaucoup plus importantes sans les freins multiformes qui entravent l’action des acteurs économiques engagés dans la promotion et le développement des énergies renouvelables en Tunisie. Les réalisations effectuées à ce niveau à l’UIB ont été exposées par la DGA de
cette banque, Madame Ilhem Bouaziz. « Nous avons, dit-elle, digitalisé le parcours client permettant l’accès à la banque 24 sur 7. Cela évite au client le transport et lui permet de réduire la consommation des gaz à effet de serre ». Au vu des nombreux services créés par la digitalisation et énumérés par Madame Bouaziz, le client de l’UIB gagne beaucoup de temps. Il n’a plus à se déplacer jusqu’à la banque. Qu’on en juge : « un réseau DAB sur tout le territoire pour des opérations de retrait et de consultation ; un espace libre-service pour effectuer des opérations de versement espèce et chèque ainsi que des opérations de change ; mobile-banking, internet-banking, etc. ».
La DGA de l’UIB a fait état d’une nouveauté : le crédit à la consommation 100% digital. « Le client, explique-t-elle, peut ne pas se déplacer à la banque et signer son contrat à distance à travers la mise en place d’une signature électronique que nous sommes les premiers à déployer en Tunisie. Une signature utilisable pas seulement auprès de la banque, mais aussi auprès d’autres institutions ».
Toujours en termes de transition écologique et énergétique, l’UIB s’est lancée dans des programmes d’abandon progressif de l’usage du papier et d’économie d’énergie. La tendance est d’éviter de plus en plus l’usage de la paperasse, pas seulement avec les clients, mais aussi avec les employés. Ceux-ci, selon Madame Bouaziz, sont incités à recourir le moins possible au papier, aux imprimantes, au consommable informatique et autres produits à impact négatif sur l’environnement.
Un autre projet important va permettre à l’UIB de faire des économies d’énergie. Madame Bouaziz indique : « Nous avons déployé un pilote sur deux sites pour faire du monitoring énergétique. Cela nous a permis d’économiser 43% de la consommation énergétique sur le premier site et 25% sur le deuxième. Ce résultat m’a encouragée à demander à la direction générale de déployer ce pilote sur 50 autres sites. Mais j’ai été aussi agréablement surprise par la réaction de nos collaborateurs et collaboratrices qui se sont pleinement impliqués dans l’effort de réduction de la consommation énergétique dans la banque ». L’entreprise BWSolutions (Be Wireless Solutions), cofondée par M. Karim Kharrat, est également pleinement engagée dans le vaste programme d’économie d’énergie à un niveau global. « Nous offrons des solutions intégrées pour l’économie d’électricité, d’eau, de carburant et de gaz. Nous produisons une plateforme unique pour suivre tous les programmes d’économie relatifs à ces ressources », souligne M. Karim Kharrat. BWS est leader sur le marché tunisien avec « 10.000 objets connectés », chiffre que les cadres de l’entreprise comptent tripler en une année. « Avant, affirme M. Kharrat, on allait chez le client pour lui expliquer qu’il pouvait économiser de l’argent en faisant des économies sur sa consommation d’eau et d’électricité. Aujourd’hui, avec la mise en place en Europe de la traçabilité carbone, on a un argument de taille. Avec cette nouvelle règle européenne, on ne parle plus de pays ni d’entreprise, mais de produit à travers lequel on peut mesurer les émissions, et donc toutes les consommations sur toute la chaine de valeurs ». Le patron de BWS s’inscrit en faux contre l’idée de transfert technologique de l’Europe vers la Tunisie. « En ce qui me concerne, affirme-t-il, en tout cas en ce qui concerne la technologie dans laquelle on se positionne, on est à la pointe. On n’a pas besoin de transfert de technologie en provenance de l’Europe ». M. Karim Kharrat conteste une autre idée qui consiste à dire que le problème est dans le manque de fonds. « Non, dit-il, ce n’est pas l’argent qui manque. Les bailleurs de fonds en Tunisie et à l’étranger sont prêts à mettre de
Nous avons digitalisé le parcours client permettant l’accès à la banque 24 sur 7. Cela évite au client le transport et lui permet de réduire la consommation des gaz à effet de serre. Ilhem Bouaziz
l’argent dans des projets intéressants et rentables ». Alors, où se situent les freins ? Il cite : « le cadre de change, les procédures administratives et l’impossibilité de recruter des talents à l’étranger » sont des obstacles à l’innovation en Tunisie.
Yassine Allani, directeur général de l’entreprise « Advanced Solar Hub », ne cache pas son amertume devant le rythme excessivement lent du développement des énergies renouvelables en Tunisie. « Pourquoi sommes-nous encore dans les 3%, loin des objectifs tracés pour 2030 ? ». Pourtant, préciset-il, « dans cette chaine de valeurs, il y a des maillons qui ont bien fonctionné : le maillon juridique, le maillon institutionnel et le maillon relatif aux banques et aux fonds d’investissement ». Mais alors, où est le problème ? Il y a le problème de l’innovation dans le plan solaire tunisien. « Aujourd’hui, on voit encore les panneaux photovoltaïques que j’ai moi-même installés à Kairouan il y a trente ans, sans parler de l’absence d’innovation dans les biogaz, la géothermie etc. ».
Il y a aussi le problème de l’implication du citoyen, une implication totalement absente. « Et l’un des maillons de la chaine de valeurs, signale M. Allani, est l’emploi. Est-ce qu’on a créé suffisamment d’emplois verts ? Non.
Aujourd’hui, nous avons des centrales photovoltaïques dans le sud tunisien qui peinent à démarrer. Dès que le chantier est terminé, on dit aux employés : il n’y a plus de travail ».
Il y a trente ans, M. Yassine Allani appelait déjà dans ces mêmes colonnes à la production et à l’exportation de l’énergie verte. Trois décennies plus tard, le même Yassine Allani, au 23e Forum de l’Economiste Maghrébin, pose pathétiquement cette question : « Qu’a-t-on a préparé comme chaine de valeurs pour prédisposer le pays à entrer dans cette ère d’exportation de l’énergie verte ? ». Mais si, à ce niveau, le pays est dans un état de léthargie, l’entreprise « Advanced Solar Hub » fait preuve d’un grand dynamisme. « Avec Enda (micro-finance), ajoute M. Allani, nous sommes en train de promouvoir un grand projet-pilote comportant 200 sous-projets qui vont permettre aux femmes rurales de procéder à la distillation des huiles essentielles avec l’énergie solaire, aux agriculteurs de pomper l’eau avec l’énergie solaire et aux « berbecha » de recycler le cuivre et l’aluminium avec l’énergie solaire ». La même entreprise travaille sur 40 applications de l’énergie solaire dans l’agro-alimentaire. « Lorsque je mets 100 mégawatts à la disposition des paysans, je peux avoir un retour sur investissement en termes de création d’emplois », précise l’orateur. La société « Méthania » est spécialisée dans la transformation des déchets organiques en biogaz. Son patron, M. Selim Kanzari, ambitionne de rendre le biogaz « accessible au plus grand nombre ». « Notre entreprise, déclare M. Kanzari, a bâti sa stratégie à partir d’un constat : 80% des gisements de déchets sont de petite taille, et donc on a dû opter pour des solutions micro, proches de ces gisements pour les valoriser ». Les débuts n’ont pas été faciles. « Nous avons peiné, reconnait l’orateur. Nous avons commencé par un prototypage en 2015, un premier pilote en 2018 et un premier export en 2019 ».
En ce qui me concerne, en tout cas en ce qui concerne la technologie dans laquelle on se positionne, on est à la pointe. On n’a pas besoin de transfert de technologie en provenance de l’Europe.
Karim Kharrat Est-ce qu’on a créé suffisamment d’emplois verts ? Non. Aujourd’hui, nous avons des centrales photovoltaïques dans le Sud tunisien qui peinent à démarrer. Dès que le chantier est terminé, on dit aux employés : il n’y a plus de travail.
Yassine Allani
Pour « Méthania », les choses marchent beaucoup mieux à l’étranger : « Malheureusement, déplore Selim Kanzari, en Tunisie, nous n’avons installé qu’une seule unité, alors qu’à l’étranger, nous en avons installé une trentaine par an ». Pourquoi ? « Parce qu’en Tunisie, nous souffrons d’un certain nombre de failles : le biogaz est considéré comme le parent pauvre de l’énergie renouvelable. Et puis, même s’il s’agit de micro-mécanisation, même si on parle de petites solutions, pour pouvoir les développer, il ne suffit pas d’apporter les subventions ou de consacrer des fonds, il faut aussi et surtout mettre les mécanismes efficaces pour que les projets aboutissent ».
La conscience de l’empreinte carbone est beaucoup plus développée en Europe qu’en Tunisie. M. Karim Kharrat, dont l’entreprise vend des solutions en France et en Suisse, sait de quoi il parle. « En Europe, les gens sont conscients. Ils ont engagé des investissements lourds pour réduire l’empreinte carbone et les coûts de l’énergie. En Tunisie, si l’on veut prendre conscience de l’importance de l’empreinte carbone, il y a beaucoup d’effort à faire en matière de relations publiques pour sensibiliser et expliquer qu’il y a des solutions techniques qui permettent de réduire l’empreinte carbone et de maitriser la consommation énergétique ». Comme preuve de cette inconscience qui sévit en Tunisie, il cite l’exemple de l’éclairage public. « Dans tous les pays du monde, dit-il, quand on travaille sur l’éclairage intelligent, on peut économiser 70% de la facture. Techniquement, cela a été démontré et prouvé. La pratique de l’éclairage intelligent est répandue dans le monde entier, sauf en Tunisie. Pourquoi ? Parce que les communautés locales ne payent pas l’électricité… ».
Les entreprises tunisiennes ne vont pas tarder à devoir produire des documents justifiant leur empreinte carbone pour pouvoir exporter. C’est la sonnette d’alarme que tire M. Yassine Allani. Il les exhorte à se préparer en citant des exemples. « Aujourd’hui, annonce-til, j’ai un projet avec une importante entreprise tunisienne pour produire de la spiruline dans le sud tunisien avec la géothermie et le solaire. Le produit sera labélisé zéro carbone ». Enthousiaste, le patron d’« Advanced Solar Hub » donne un autre exemple : « Nous sommes en train de construire en Tunisie un four solaire pour tous les horlogers suisses avec 20 sous-traitants de taille. Ce four concentre le soleil 12 000 fois. Il se caractérise à la fois par un aspect high-tech et un côté low-tech. Cela permettra aux horlogers suisses de vendre des montres zéro carbone ». L’une des idées essentielles qui se dégage du troisième panel du 23e Forum de l’Economiste Maghrébin est que l’énergie verte n’est pas seulement un agent énergétique de substitution, mais un facteur de développement n
En Tunisie, nous n’avons installé qu’une seule unité, alors qu’à l’étranger, nous en avons installé une trentaine par an ». Pourquoi ? « Parce qu’en Tunisie, nous souffrons d’un certain nombre de failles : le biogaz est considéré comme le parent pauvre de l’énergie renouvelable.
Selim Kanzari