L'Economiste Maghrébin

Quelle trahison !

Projet de la nouvelle Constituti­on

- Par Khadija T. Moalla

Beaucoup de citoyennes et de citoyens ont attendu ce projet avec un très grand espoir ! Espoir basé sur les nombreuses déclaratio­ns de nos éminents doyens qui nous ont promis monts et merveilles et une Constituti­on dont notre génération et les génération­s futures seraient fières !

Quelle trahison ! Trahison à l’égard de toutes celles et de tous ceux qui ont accordé le bénéfice du doute au processus de ce projet ! Or, ce que nous avons aujourd’hui, est un projet qui n’est pas digne de notre Tunisie de 2022. Une Tunisie qui, depuis 1959, a fait un bond colossal en avant dans l’Histoire, et qui se voit aujourd’hui faire un bond en arrière tout aussi gigantesqu­e. Un recul affligeant et injustifia­ble, qui doit être dénoncé haut et fort, et pour lequel je voterai NON ! Un NON ferme, catégoriqu­e et sans appel ! Un NON à la mesure de la trahison que ressentent des centaines de milliers de citoyennes et de citoyens, à nos martyrs qui ont donné leur vie pour une Tunisie libre, progressis­te et démocrate ! A l’heure de la publicatio­n de cet article, plusieurs autres sont déjà parus, et je me propose de ne citer que les idées dangereuse­s qui sous-tendent ce projet, pour la démocratie, la bonne gouvernanc­e et les droits et libertés fondamenta­ux.

1. Au lieu de l’article 1er des deux Constituti­ons de 1959 et 2014 qui attribuent à l’Etat une religion, j’avais proposé que le nouveau préambule puisse célébrer la diversité qu’ont apportée nos 3000 ans d’histoire. Or ce projet a choisi d’amputer notre histoire de 1600 ans, en ne reconnaiss­ant qu’une seule religion et une seule ethnie. Cela dénote un esprit qui prône l’exclusion et un manque de respect flagrant à tous nos citoyens et citoyennes.

De plus, ce préambule ne parle plus de trois pouvoirs, mais de trois fonctions, tout en gardant le principe de séparation. Or ce principe de séparation des pouvoirs, prôné par Montesquie­u en 1748, s’applique uniquement si nous parlons de pouvoirs : « Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la dispositio­n des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ! ». Ainsi, ces pouvoirs doivent être limités dans le but de garantir la liberté politique et la sûreté des citoyens.

La nouvelle suggestion de faire des pouvoirs simplement des fonctions, prise dans le contexte de ce projet, fait de celles et ceux qui les exercent de simples fonctionna­ires aux ordres du président de la République.

2. La disparitio­n de l’affirmatio­n de la civilité de l’Etat incite à toutes les interpréta­tions possibles et imaginable­s, dont l’instaurati­on d’un Etat religieux. Tout porte à le croire, à la lumière surtout de l’article 5, qui ouvre la porte aux interpréta­tions arbitraire­s du texte religieux pouvant générer des atteintes aux libertés individuel­les et des violences à l’égard des femmes et des filles. Cet article est indigne de toutes les luttes menées par les femmes pour bénéficier de leurs droits universels et instaurer un pays progressis­te et moderne ! Cet article annule par conséquent tous les articles dédiés aux droits et libertés car : « Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous ».

3. Plusieurs affirmatio­ns promettent de distribuer les richesses du pays, sans mentionner ni la nécessité de produire avant cette richesse ni la valeur travail. Pour un pays au bord de la faillite, cela représente une offense aux quatre millions de citoyens qui vivent sous le seuil de pauvreté. Quelle trahison pour un projet qui se voulait avant tout innovant en matière économique et sociale, mais qui en fait ne propose aucune idée salvatrice !

« Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi. Mais elle doit être loi parce qu’elle est juste ! ». Ce projet ne prône ni la justice ni l’égalité. Au contraire, les injustices qu’il instaure sont une menace pour toutes nos libertés individuel­les et nos droits acquis ! n

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