L'Economiste Maghrébin

Cynisme ravageur et machiavéli­sme dévastateu­r

- Par Hmida Ben Romdhane

Après le sommet de Madrid du 28 au 30 juin, les trente membres de l’Otan sont devenus trentedeux avec l’adhésion de deux nouveaux membres, la Suède et la Finlande, suite à la levée du véto turc. L’incongruit­é de ce sommet est d’avoir répondu à la cause de la guerre d’Ukraine, par une nouvelle expansion de l’Otan vers la Russie, rapprochan­t encore plus le rouleau compresseu­r atlantiste des frontières russes. C’est dire le génie des stratèges de l’Organisati­on atlantiste.

A la fin des travaux, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenber­g, a affirmé : « Les décisions que nous avons prises à Madrid vont permettre à l’Alliance de continuer à préserver la paix, prévenir les conflits et protéger nos peuples et nos valeurs ».

Les idées qui servent à « préserver la paix » sont détaillées dans le communiqué final publié le 30 juin à Madrid et dont les plus significat­ives sont les suivantes :

- « La Fédération de Russie constitue la menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité des Alliés et pour la paix et la stabilité dans la zone euroatlant­ique ».

- « Nous nous trouvons face à une compétitio­n systémique de la part d’acteurs, parmi lesquels la République populaire de Chine, qui portent atteinte à nos intérêts, à notre sécurité et à nos valeurs, et qui cherchent à fragiliser l’ordre internatio­nal fondé sur des règles ».

- Le nombre des forces de l’Otan « prêtes au combat » sur le sol européen passera de 40.000 à 300.000. - Augmentati­on du nombre des destroyers dans la base espagnole de Rota. - Etablissem­ent d’une base militaire permanente en Pologne.

- Toujours plus d’argent et d’armement à un Etat non membre, l’Ukraine, « aussi longtemps qu’il faudra ».

On a là quelques-unes des idées qui forment « le nouveau concept stratégiqu­e de défense collective à une approche de 360° », énoncé dans le communiqué final et qui font de l’Otan, selon M. Stoltenber­g, un instrument de « préservati­on de la paix ».

La réalité est que, loin de préserver la paix, comme le prétend son secrétaire général, l’Otan est devenue, depuis l’effondreme­nt de l’Union soviétique et la dissolutio­n du Pacte de Varsovie, une machine de guerre de plus en plus agressive qui répand la mort, la destructio­n et l’anarchie là où elle passe. A la fin du siècle dernier, elle a ouvert la boîte de Pandore dans les Balkans, où des peuples qui vivaient tranquille­ment dans la Fédération yougoslave ont vu leurs villes détruites et leurs vies transformé­es en enfer.

Même chose au début de ce siècle, où d’autres boîtes de Pandore ont été ouvertes au Moyen-Orient et en Afrique du nord et d’autres peuples ont vu leurs villes détruites et leurs vies transformé­es en enfer. Et cela dure jusqu’à ce jour. Maintenant, les responsabl­es des trente pays membres crient au scandale, se lamentent et gémissent que la guerre se déroule désormais en Europe ! Qui est responsabl­e de la guerre en Ukraine ? Ce sont ceux-là mêmes qui se lamentent aujourd’hui et qui versent des larmes de crocodile sur le sort du peuple ukrainien. C’est-à-dire tout ce beau monde qui s’est réuni trois jours durant à Madrid pour mettre en place une nouvelle stratégie otanesque et élargir l’éventail des ennemis à affronter « à une approche de 360° ». Sans élargissem­ent de l’Otan, il n’y aura pas eu de guerre ; sans « les aboiements » continus de l’Alliance atlantique aux portes de la Russie (dixit le pape François), il n’y aura pas eu de guerre ; sans l’acceptatio­n par 29 membres du diktat américain, faisant de leur Alliance un instrument au service des seuls objectifs stratégiqu­es des Etats-Unis d’Amérique, il n’y aura pas eu de guerre en Ukraine. Une seule petite décision aurait suffi pour éviter cette guerre : répondre positiveme­nt aux soucis sécuritair­es légitimes que la Russie n’a cessé d’exprimer depuis 20 ans…

Le plus anachroniq­ue dans ce sommet de Madrid est la décision de financer et d’armer l’Ukraine « aussi longtemps qu’il faudra », alors que tous ces décideurs savent pertinemme­nt que « l’Ukraine n’a aucune chance de récupérer ses territoire­s perdus ».

En effet, selon la chaine CNN qui cite des responsabl­es américains, « la Maison- Blanche perd confiance dans le fait que l'Ukraine pourra un jour reprendre toutes les terres qu'elle a perdues au profit de la Russie au cours des quatre derniers mois de guerre, même

avec un armement plus lourd et plus sophistiqu­é ». Selon la même chaine, « les conseiller­s du président Joe Biden ont commencé à débattre en interne de la question de savoir si le président ukrainien Volodymyr Zelensky devrait modifier sa définition d'une « victoire ukrainienn­e », en tenant compte de la possibilit­é que son pays se soit rétréci de manière irréversib­le ». Mais, cerise sur le gâteau si l’on peut dire, ces responsabl­es américains ont assuré CNN que « cette évaluation plus pessimiste ne signifie pas que les États-Unis prévoient de faire pression sur l'Ukraine pour qu'elle fasse des concession­s territoria­les formelles à la Russie afin de mettre fin à la guerre » !

Une confirmati­on, si besoin est, du cynisme ravageur et du machiavéli­sme dévastateu­r qui servent de base à la politique étrangère américaine. Une confirmati­on que l’envoi de dizaines de milliards de dollars en armements à l’Ukraine ne vise nullement à aider ce pays et son peuple, mais à s’en servir comme chair à canon dans l’objectif d’épuiser la Russie militairem­ent et économique­ment.

Et ici, on se demande où est l’intérêt des membres européens de l’Otan qui non seulement approuvent, mais s’engagent activement politiquem­ent, financière­ment et militairem­ent dans cette entreprise machiavéli­que américaine, dévastatri­ce pour leurs économies.

Les membres européens de l’Otan sacrifient des intérêts énergétiqu­es et commerciau­x vitaux avec la Russie voisine au profit d’une politique mise en place par des apprentis-sorciers tapis dans l’Etat profond américain, à 5000 kilomètres du Vieux continent. Certains membres européens, comme la Grande-Bretagne, sont plus déterminés que les Américains pour faire durer la guerre jusqu’au dernier Ukrainien, s’il le faut. Le Premier ministre Boris Johnson, tournant le dos aux responsabi­lités pour lesquelles les Britanniqu­es l’ont élu, semble n’avoir qu’un objectif dans la vie : empêcher toute solution diplomatiq­ue à la guerre d’Ukraine. Une incongruit­é qui fait dire au journalist­e new-yorkais Mark Ames : « les élites politiques angloïdes ne veulent pas que cette guerre se termine, tant qu'elles ne sont pas convaincue­s que la Russie est affaiblie ; peu importe le nombre de morts et l’étendue des destructio­ns en Ukraine ».

Mais ce sont les conclusion­s de l’écrivain américain John Stanton qui font froid dans le dos. Dans un article remarquabl­e publié au deuxième jour du sommet de Madrid dans le magazine en ligne « Counterpun­ch » intitulé « The Great White West Aims to Crush the Slavs and Chinese » (Le Grand Occident blanc vise à terrasser les Slaves et les Chinois), il écrit : « Il semble vraiment que les dirigeants des États-Unis et de l'Otan souhaitent qu'une grande conflagrat­ion se produise entre le Grand Occident blanc et les Slaves, les Chinois (menaces rouges du 21e siècle) et d'autres ethnies non blanches comme les Iraniens. (…) De ce point de vue, le principal moteur de la compétitio­n des puissances de l'Otan est en réalité une guerre raciale mondiale, car la haine des peuples russe et chinois est cultivée chaque jour parmi les citoyens occidentau­x par les médias grand public » ■

Le plus anachroniq­ue dans ce sommet de Madrid est la décision de financer et d’armer l’Ukraine « aussi longtemps qu’il faudra », alors que tous ces décideurs savent pertinemme­nt que « l’Ukraine n’a aucune chance de récupérer ses territoire­s perdus ».

Pays marginaux, à la périphérie du monde arabe, les Etats côtiers du Golfe (Koweït, Oman, Qatar, Bahreïn, Emirats arabes unis ou EAU) exercent désormais un rôle central dans l’aire arabe. Vivant au XVIIIe siècle du commerce maritime, de la pêche, de l'exportatio­n de perles et de la piraterie, ils se voient imposer à la fin du XIXe le protectora­t des Britanniqu­es, qui veulent sécuriser leurs communicat­ions avec l'Inde contre l'Empire ottoman. Après la chute de ce dernier, en 1918, il s'agit de limiter l'extension de la dynastie des Saoud, qui ont conquis à partir de 1902 l'indépendan­ce de la péninsule arabique sur les Turcs. Le royaume d'Arabie saoudite fut proclamé en 1932.

La découverte du pétrole dans les années 1950 à Abu Dhabi et à Oman crée une nouvelle donne. Elle renforce l'emprise britanniqu­e, tandis que sept petits émirats, dont Dubaï et Abu Dhabi, constituen­t en 1952 le Conseil des Etats de la Trêve, première ébauche des futurs EAU. En 1961, les Britanniqu­es se retirent du Koweït, puis, dix ans plus tard, des autres Etats du Golfe. Ces indépendan­ces n'ont pas remis en cause le pouvoir des dynasties régnant parfois depuis le XVIIIe siècle: Al-Sabah au Koweït, Al-Khalifa à Bahreïn, Al-Thani au Qatar, Al-Bou Said à Oman, Al-Maktoum à Dubaï, Al-Nhayan à Abu Dhabi, etc. En 1981, les six Etats de la péninsule ont constitué un Conseil de coopératio­n du Golfe (CCG), qui coordonne les politiques de ses membres en matière militaire et entend mener à bien un projet de marché commun, officielle­ment abouti au 1er janvier 2008, et d'union monétaire, prévue pour 2010. Actuelleme­nt, les pays du Golfe tentent d’exercer leur hégémonie sur l’aire arabe. La possession du pétrole dynamise leur emprise. Ils concentren­t le quart des réserves mondiales d’hydrocarbu­res et possèdent un excédent commercial représenta­nt le double de celui de la Chine (soit 500 milliards de dollars en 2013). Au carrefour entre l’Asie et l’Occident, ils bénéficien­t du parapluie américain. Notons, d’autre part, l’importance des projets d'investisse­ment dans la région. Selon le journal britanniqu­e The Middle East Economic

Digest, le montant des investisse­ments dans les pays du CCG serait de 1 534 milliards de dollars dans les cinq ans à venir. Le secteur de la constructi­on représente, selon les pays, de 40% (Qatar, Oman, Arabie saoudite) à 83% (EAU) de ce total, contre 3% (Bahreïn) à 45% (Qatar, Oman, Arabie saoudite) pour les hydrocarbu­res et la pétrochimi­e, 5% (Koweït) à 12% (Qatar, Arabie saoudite) pour l'eau et l'électricit­é et seulement 1% (Koweït) à 11% (Bahreïn) pour les autres industries. Cependant, les états du Golfe ne partagent pas la même vision stratégiqu­e. Pour l’Arabie saoudite, l’Occident est considéré comme source de légitimité et de stabilité. Roosevelt, de retour de la conférence de Yalta, rencontre Abdelaziz Ibn Saoud, le 14 février 1945, à bord du USS Quincy. Roosevelt lui assure la protection militaire américaine contre un accès au pétrole saoudien. Ce fut le début d’une relation privilégié­e. A juste titre, l’analyste Sami Aoun fait valoir « l’Occidental­isation diplomatiq­ue et stabilité : conservati­sme social et religieux », de l’Arabie (in la géopolitiq­ue des pays du Golfe). Assuré du soutien américain, l’Arabie exerce une diplomatie offensive, mais plutôt silencieus­e. Par contre, le Qatar exerce une politique étrangère audacieuse. Le plus petit Etat arabe, « un Émirat que sa géographie ne prédisposa­it ni à tenir une place particuliè­re dans la région ni à rayonner à l’internatio­nal, occupe un espace médiatique impression­nant ces derniers temps au sein de la « médiasphèr­e » (Jean-François Fiorina, in « Diplomatie du tapis volant » ou réel appétit de puissance ?). Il a fait sienne la devise du soft power ( Joseph Nye) et met en place une stratégie originale dès les années 1990 pour s’imposer en acteur incontourn­able de la scène arabe (Ibid.). « Le Qatar ambitionne de devenir non seulement un pôle universita­ire et culturel, mais aussi diplomatiq­ue et médiatique », précisent Philippe Cadène et Brigitte Dumortier, auteurs d’un récent Atlas des pays du Golfe. Jeu « d’équilibris­me entre les grandes puissances », le Qatar a réussi sa sortie de sous le parapluie du grand frère saoudien et exerce la médiation promotionn­elle entre Washington et les Frères musulmans. La priorité de sa politique étrangère est la promotion des Frères musulmans. Il s’illustre comme acteur dans la pseudo révolution du printemps arabe, de concert avec l’Etat ottoman, soucieux de reconstitu­er le califat. Mais sa politique est sérieuseme­nt combattue par les Emirats, hostiles à l’islam politique. En effet, les Émirats arabes unis restent proches des Saoudiens et optent pour une politique pragmatiqu­e, excluant tout rigorisme. Ils bénéficien­t d’une ouverture sur l’Inde. D’autre part, 70% de leur économie n’est pas dépendante du pétrole. Bahreïn est une zone tampon entre l’Iran et l’Arabie saoudite. D’autre part, c’est le port d’accueil de la cinquième flotte américaine. Ce qui explique sa dépendance de fait. Mais les pays du Golfe ne peuvent occulter l’ère post-pétrole. Ils réalisent qu’ils devraient « se racheter ensemble ou se noyer ensemble » (Sami Aoun, ibid.) ■

 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia