Un mois d’août bien orageux
Canicules et inondations ont frappé la planète en ce mois d’août qui s’achève. Records de chaleur et de sécheresse qui témoignaient, une fois encore, du dérèglement de la terre. Soleil en éruption qui envoie du plasma dans l’espace qui perturbe encore davantage le globe, déjà mal en point.
Pour leur part, les hommes y mettent du leur pour aggraver un peu plus l’atmosphère, politique celle-là. Ce mois d’août 2022 n’est guère différent cependant des mois qui l’ont précédé, ni certainement pas de ceux qui vont le suivre. Guerre, tension sino-américaine, inflation et récession, dettes et famines, pandémie du singe après celle du pangolin qui n’est pas encore derrière nous, sont à la rentrée. Elles n’ont pas vraiment quitté l’actualité. Les périls qui pèsent sur la planète se sont plutôt renforcés qu’atténués. Rarement autant de faits inquiétants se sont accumulés en si peu de temps, avec les risques de dérapage, de surréaction, de manque de communication entre les protagonistes de ce grand jeu à l’échelle du globe.
Pour ceux qui auraient pu - miraculeusement - échapper à l’actualité et à l’information en continu, quelques faits marquants de ces quatre dernières semaines.
Le soleil de l’inflation brille
Le débat se poursuit quant à la nature, la durée, l’intensité des hausses de prix qui frappent la planète. La Chine y avait échappé jusqu’à présent, mais elle commence aujourd’hui à en recevoir les rayons, certes moins ardents qu’à l’ouest, mais qui tranchent avec la grande modération observée jusqu’alors. Il reste à savoir si c’est un phénomène passager ou fait pour s’installer. Ce n’est pas sans conséquences pour le reste de la planète, car la Chine a accru sa place sur les marchés mondiaux ces deux dernières années et les clients pourraient importer un peu plus d’inflation.
Aux États-Unis, l’inflation a légèrement fléchi sous le coup de la baisse du prix de l’essence, mais elle demeure à un niveau élevé. Curieusement, une loi intitulée réduction de l’inflation vient d’être promulguée, qui prévoit des dépenses de 437 milliards de dollars sur cinq ans (climat, santé, lutte contre la sécheresse) et des recettes ou de moindres dépenses de 747 milliards de dollars, avec notamment un impôt minimal de 15% sur les grandes sociétés. Dépenses et réduction des prix ne vont pas toujours de pair, mais il est vrai que ce texte est un modèle réduit du « rebâtir en mieux » (Build Back Better) de 1900 milliards de dollars présenté l’an dernier par le Président Biden et qui a eu beaucoup de mal à être adopté. Aucun élu républicain ne l’a voté.
Au Royaume-Uni, l’inflation continue à grimper (10,2%) et la Banque d’Angleterre relève avec détermination ses taux d’intérêts directeurs, pendant que les deux prétendants au 10 Downing street se disputent sur les moyens de faire face aux conséquences de l’inflation actuelle, avec parfois des remèdes d’un autre âge, ceux de Margaret Thatcher. L’Allemagne met en place un dispositif destiné à réduire l’impact de l’augmentation des prix du gaz, conséquence des réductions et coupures des livraisons de gaz russe, dont la durée de vie est prévue jusqu’à la mi-2024. Ce qui en dit long sur les anticipations sur la prolongation de la crise énergétique. Le déficit budgétaire, poussé par la hausse des prix - les recettes augmentent mais les dépenses aussi - finance ainsi l’atténuation de l’inflation par la grâce de « boucliers tarifaires ». Berlin perd ainsi son penchant naturel pour la discipline des comptes publics, après le tour de passe-passe pour les 100 milliards de dépenses militaires, habilement reclassées. Où est l’Allemagne d’antan ? Celle d’il y a dix ans, du retour rapide aux équilibres, et à la récession qui en a découlé dans certains pays européens.
La guerre des puces a bien lieu
Le CHIPS and Science Act de 430 milliards de dollars a également été promulgué le 10 août par le Président Joe Biden après un parcours sinueux. Il prévoit 52 milliards de dollars pour le soutien à l’industrie des semi-conducteurs pour lesquels la dépendance américaine est avérée. Mais la géopolitique et l’obsession chinoise ne sont pas loin et la loi prévoit que les sociétés qui recevront un soutien financier devront se garder pendant 10 ans de toute « activité significative » susceptible d’accroître la capacité de production de puces chinoises ou de tout autre pays « préoccupant » désigné par Washington.
Les sociétés sont ainsi sommées de choisir entre Washington et Pékin, ce qui a un prix élevé pour elles, mais aussi pour l’économie mondiale qui est obligée de se priver d’un marché et d’un appareil productif de première importance. Pékin a réagi en dénonçant cette nouvelle atteinte aux chaînes d’approvisionnement mondiales. Pour l’heure, la Chine se garde de mesures de rétorsions vigoureuses contre les entreprises qui suivraient les injonctions américaines, par prag
matisme, car elle sait que la meilleure réponse est d’accélérer la mise au point de microprocessus capables de se hisser au premier rang mondial et de continuer à se fournir à l’étranger en biens et services nécessaires à sa croissance. Mais, sur les matériaux nécessaires à la transition écologique, elle détient une place centrale qui peut lui permettre des mesures douloureuses de représailles sur l’industrie occidentale.
Taïwan dans l’oeil du cyclone
La présidente de la Chambre des Représentants a effectué un déplacement (à bord d’un avion militaire américain) à Taïwan, donnant un coup de canif supplémentaire à la politique dite « Une Chine », formulée il y a cinquante ans par les Etats-Unis, avec la reconnaissance de la République de Chine Populaire. Hormis un geste d’affirmation personnelle d’une personne qui, à 82 ans, va sortir de la vie politique, il est difficile de discerner la stratégie américaine derrière ce qui apparaît comme une provocation pour Pékin. Bien que familier lui-même de dérapages verbaux sur le sujet, le Président Joe Biden a réitéré la position officielle américaine de l’unicité de la Chine et regretté le voyage de Nancy Pelosi. Pékin a réagi vivement par des manoeuvres militaires de grande ampleur autour de l’île. Le Président Xi Jinping y trouve certainement un argument pour resserrer les rangs à quelques semaines du XXème Congrès du Parti Communiste chinois qui doit enregistrer sa réélection. Les canaux de communication entre militaires des deux pays ainsi que ceux sur le climat, pourtant jusqu’alors préservés, ont été suspendus.
Le Premier ministre singapourien a, évoquant la situation actuelle en Asie, fait part de son sentiment d’assister à une marche de somnambules vers la guerre, faisant référence à l’ouvrage de Christopher Clark qui décrit comment la Première Guerre mondiale s’est déclenchée, alors qu’aucun des protagonistes ne la voulait vraiment. Il est douteux que la Chine franchisse le pas pour occuper l’île, le coût économique serait pharamineux et le risque militaire difficile à assumer. Pékin préfère attendre que l’équilibre de la terreur soit en sa faveur pour que Taïwan, la quatrième étoile du drapeau chinois (avec le Continent, Macao et Hong Kong), rejoigne le giron. Le statu quo peut durer, sauf si l’indépendance de Taïwan devait être annoncée. Tous les dangers seraient alors possibles, d’où l’intérêt de ne pas aller trop loin, de part et d’autre.
La croissance chinoise pâlit
La Chine fait depuis trente ans l’objet de pronostics pessimistes qui ont été, jusqu’à présent, démentis. On craint à la fois son ascension, mais on annonce régulièrement son déclin. La période actuelle fait partie de cette histoire évènementielle. La croissance visée officiellement pour 2022 est de 5,5%, ce qui est un taux conforme à la nouvelle normalité entre 5 et 7% de croissance annuelle de PIB définie en 2014 par le Président XI. Aujourd’hui, 5,5% paraissent difficilement atteignables, après un second trimestre calamiteux (0,4%) et les difficultés actuelles dues aux dégâts de la politique de zéro-Covid avec son cortège de confinements, aux dérèglements des chaînes d’approvisionnement, à la sécheresse. Les sociétés chinoises de high-tech ne sont pas épargnées par des mesures de contrôle étouffantes et les conséquences des restrictions américaines. L’immobilier à grande échelle demeure par ailleurs le talon d’Achille de la Chine, mélange de spéculation et de besoin de se loger. Des banques locales sont également en difficulté.
Cela suscite des commentaires alarmistes aux États-Unis et en Europe, qui ne sont pas sans un plaisir non déguisé. La Chine enregistrerait ainsi sa croissance la plus faible depuis 1990, depuis le début des trente glorieuses années, avec un taux probable de 2 à 4%.
Face à ce ralentissement, les autorités réagissent en recommandant des soutiens ciblés aux infrastructures et en abaissant à nouveau les taux d’intérêts directeurs. A la différence des différents plans de soutien ou de relance qui ont été mis en oeuvre en Europe ou en Amérique, la Chine privilégie les dépenses d’investissements et non de consommation, contenant les pressions inflationnistes et renforçant l’appareil productif.
A noter que les plans américains s’attachent maintenant aux infrastructures économiques et sociales, à l’appui aux entreprises, sans toutefois, échéances électorales dans 10 semaines obligent, oublier la consommation comme le montre le geste, estimé entre 400 et 600 milliards de dollars, d’effacement des prêts contractés par les étudiants américains pour financer leur scolarité.
Cette rentrée s’annonce sombre avec la reconfiguration de puissances qui se déroule. L’Europe s’affaiblit avec la crise ukrainienne qui l’atteint dans son économie, qui révèle les limites d’une autonomie stratégique revendiquée, alors que les forces américaines sont indispensables, dans ses divisions entre États et au sein des États. L’Afrique tâche de ne pas avoir à choisir entre deux bannières étoilées et craint une nouvelle crise de la dette entraînée par les politiques déflationnistes occidentales. L’Amérique pourra certainement sortir renforcée de ces crises et tensions, comme elle a su le faire lors des crises précédentes. Washington monte avec méthode une nouvelle alliance mondiale contre la Chine qui produit ses effets, avec les évolutions politiques de pays comme le Japon (invité au Sommet de l’OTAN et ayant reçu Nancy Pelosi) ou la Corée du sud, qui augmentent leurs budgets militaires et se rapprochent des Américains. Bien sûr, l’Amérique est rongée moralement de l’intérieur et les élections du 8 novembre prochain peuvent paralyser le Président Biden, mais elle garde une dynamique interne impressionnante. Pour sa part, la Chine attend la tenue de son Congrès du Parti, à la fin octobre, et un retour - 2023 probablement - à la normale sanitaire pour sortir des vicissitudes actuelles et repartir en s’inscrivant dans le temps long.
Bonne rentrée ! n