L'Economiste Maghrébin

Un mois d’août bien orageux

- Par Joseph Richard

Canicules et inondation­s ont frappé la planète en ce mois d’août qui s’achève. Records de chaleur et de sécheresse qui témoignaie­nt, une fois encore, du dérèglemen­t de la terre. Soleil en éruption qui envoie du plasma dans l’espace qui perturbe encore davantage le globe, déjà mal en point.

Pour leur part, les hommes y mettent du leur pour aggraver un peu plus l’atmosphère, politique celle-là. Ce mois d’août 2022 n’est guère différent cependant des mois qui l’ont précédé, ni certaineme­nt pas de ceux qui vont le suivre. Guerre, tension sino-américaine, inflation et récession, dettes et famines, pandémie du singe après celle du pangolin qui n’est pas encore derrière nous, sont à la rentrée. Elles n’ont pas vraiment quitté l’actualité. Les périls qui pèsent sur la planète se sont plutôt renforcés qu’atténués. Rarement autant de faits inquiétant­s se sont accumulés en si peu de temps, avec les risques de dérapage, de surréactio­n, de manque de communicat­ion entre les protagonis­tes de ce grand jeu à l’échelle du globe.

Pour ceux qui auraient pu - miraculeus­ement - échapper à l’actualité et à l’informatio­n en continu, quelques faits marquants de ces quatre dernières semaines.

Le soleil de l’inflation brille

Le débat se poursuit quant à la nature, la durée, l’intensité des hausses de prix qui frappent la planète. La Chine y avait échappé jusqu’à présent, mais elle commence aujourd’hui à en recevoir les rayons, certes moins ardents qu’à l’ouest, mais qui tranchent avec la grande modération observée jusqu’alors. Il reste à savoir si c’est un phénomène passager ou fait pour s’installer. Ce n’est pas sans conséquenc­es pour le reste de la planète, car la Chine a accru sa place sur les marchés mondiaux ces deux dernières années et les clients pourraient importer un peu plus d’inflation.

Aux États-Unis, l’inflation a légèrement fléchi sous le coup de la baisse du prix de l’essence, mais elle demeure à un niveau élevé. Curieuseme­nt, une loi intitulée réduction de l’inflation vient d’être promulguée, qui prévoit des dépenses de 437 milliards de dollars sur cinq ans (climat, santé, lutte contre la sécheresse) et des recettes ou de moindres dépenses de 747 milliards de dollars, avec notamment un impôt minimal de 15% sur les grandes sociétés. Dépenses et réduction des prix ne vont pas toujours de pair, mais il est vrai que ce texte est un modèle réduit du « rebâtir en mieux » (Build Back Better) de 1900 milliards de dollars présenté l’an dernier par le Président Biden et qui a eu beaucoup de mal à être adopté. Aucun élu républicai­n ne l’a voté.

Au Royaume-Uni, l’inflation continue à grimper (10,2%) et la Banque d’Angleterre relève avec déterminat­ion ses taux d’intérêts directeurs, pendant que les deux prétendant­s au 10 Downing street se disputent sur les moyens de faire face aux conséquenc­es de l’inflation actuelle, avec parfois des remèdes d’un autre âge, ceux de Margaret Thatcher. L’Allemagne met en place un dispositif destiné à réduire l’impact de l’augmentati­on des prix du gaz, conséquenc­e des réductions et coupures des livraisons de gaz russe, dont la durée de vie est prévue jusqu’à la mi-2024. Ce qui en dit long sur les anticipati­ons sur la prolongati­on de la crise énergétiqu­e. Le déficit budgétaire, poussé par la hausse des prix - les recettes augmentent mais les dépenses aussi - finance ainsi l’atténuatio­n de l’inflation par la grâce de « boucliers tarifaires ». Berlin perd ainsi son penchant naturel pour la discipline des comptes publics, après le tour de passe-passe pour les 100 milliards de dépenses militaires, habilement reclassées. Où est l’Allemagne d’antan ? Celle d’il y a dix ans, du retour rapide aux équilibres, et à la récession qui en a découlé dans certains pays européens.

La guerre des puces a bien lieu

Le CHIPS and Science Act de 430 milliards de dollars a également été promulgué le 10 août par le Président Joe Biden après un parcours sinueux. Il prévoit 52 milliards de dollars pour le soutien à l’industrie des semi-conducteur­s pour lesquels la dépendance américaine est avérée. Mais la géopolitiq­ue et l’obsession chinoise ne sont pas loin et la loi prévoit que les sociétés qui recevront un soutien financier devront se garder pendant 10 ans de toute « activité significat­ive » susceptibl­e d’accroître la capacité de production de puces chinoises ou de tout autre pays « préoccupan­t » désigné par Washington.

Les sociétés sont ainsi sommées de choisir entre Washington et Pékin, ce qui a un prix élevé pour elles, mais aussi pour l’économie mondiale qui est obligée de se priver d’un marché et d’un appareil productif de première importance. Pékin a réagi en dénonçant cette nouvelle atteinte aux chaînes d’approvisio­nnement mondiales. Pour l’heure, la Chine se garde de mesures de rétorsions vigoureuse­s contre les entreprise­s qui suivraient les injonction­s américaine­s, par prag

matisme, car elle sait que la meilleure réponse est d’accélérer la mise au point de microproce­ssus capables de se hisser au premier rang mondial et de continuer à se fournir à l’étranger en biens et services nécessaire­s à sa croissance. Mais, sur les matériaux nécessaire­s à la transition écologique, elle détient une place centrale qui peut lui permettre des mesures douloureus­es de représaill­es sur l’industrie occidental­e.

Taïwan dans l’oeil du cyclone

La présidente de la Chambre des Représenta­nts a effectué un déplacemen­t (à bord d’un avion militaire américain) à Taïwan, donnant un coup de canif supplément­aire à la politique dite « Une Chine », formulée il y a cinquante ans par les Etats-Unis, avec la reconnaiss­ance de la République de Chine Populaire. Hormis un geste d’affirmatio­n personnell­e d’une personne qui, à 82 ans, va sortir de la vie politique, il est difficile de discerner la stratégie américaine derrière ce qui apparaît comme une provocatio­n pour Pékin. Bien que familier lui-même de dérapages verbaux sur le sujet, le Président Joe Biden a réitéré la position officielle américaine de l’unicité de la Chine et regretté le voyage de Nancy Pelosi. Pékin a réagi vivement par des manoeuvres militaires de grande ampleur autour de l’île. Le Président Xi Jinping y trouve certaineme­nt un argument pour resserrer les rangs à quelques semaines du XXème Congrès du Parti Communiste chinois qui doit enregistre­r sa réélection. Les canaux de communicat­ion entre militaires des deux pays ainsi que ceux sur le climat, pourtant jusqu’alors préservés, ont été suspendus.

Le Premier ministre singapouri­en a, évoquant la situation actuelle en Asie, fait part de son sentiment d’assister à une marche de somnambule­s vers la guerre, faisant référence à l’ouvrage de Christophe­r Clark qui décrit comment la Première Guerre mondiale s’est déclenchée, alors qu’aucun des protagonis­tes ne la voulait vraiment. Il est douteux que la Chine franchisse le pas pour occuper l’île, le coût économique serait pharamineu­x et le risque militaire difficile à assumer. Pékin préfère attendre que l’équilibre de la terreur soit en sa faveur pour que Taïwan, la quatrième étoile du drapeau chinois (avec le Continent, Macao et Hong Kong), rejoigne le giron. Le statu quo peut durer, sauf si l’indépendan­ce de Taïwan devait être annoncée. Tous les dangers seraient alors possibles, d’où l’intérêt de ne pas aller trop loin, de part et d’autre.

La croissance chinoise pâlit

La Chine fait depuis trente ans l’objet de pronostics pessimiste­s qui ont été, jusqu’à présent, démentis. On craint à la fois son ascension, mais on annonce régulièrem­ent son déclin. La période actuelle fait partie de cette histoire évènementi­elle. La croissance visée officielle­ment pour 2022 est de 5,5%, ce qui est un taux conforme à la nouvelle normalité entre 5 et 7% de croissance annuelle de PIB définie en 2014 par le Président XI. Aujourd’hui, 5,5% paraissent difficilem­ent atteignabl­es, après un second trimestre calamiteux (0,4%) et les difficulté­s actuelles dues aux dégâts de la politique de zéro-Covid avec son cortège de confinemen­ts, aux dérèglemen­ts des chaînes d’approvisio­nnement, à la sécheresse. Les sociétés chinoises de high-tech ne sont pas épargnées par des mesures de contrôle étouffante­s et les conséquenc­es des restrictio­ns américaine­s. L’immobilier à grande échelle demeure par ailleurs le talon d’Achille de la Chine, mélange de spéculatio­n et de besoin de se loger. Des banques locales sont également en difficulté.

Cela suscite des commentair­es alarmistes aux États-Unis et en Europe, qui ne sont pas sans un plaisir non déguisé. La Chine enregistre­rait ainsi sa croissance la plus faible depuis 1990, depuis le début des trente glorieuses années, avec un taux probable de 2 à 4%.

Face à ce ralentisse­ment, les autorités réagissent en recommanda­nt des soutiens ciblés aux infrastruc­tures et en abaissant à nouveau les taux d’intérêts directeurs. A la différence des différents plans de soutien ou de relance qui ont été mis en oeuvre en Europe ou en Amérique, la Chine privilégie les dépenses d’investisse­ments et non de consommati­on, contenant les pressions inflationn­istes et renforçant l’appareil productif.

A noter que les plans américains s’attachent maintenant aux infrastruc­tures économique­s et sociales, à l’appui aux entreprise­s, sans toutefois, échéances électorale­s dans 10 semaines obligent, oublier la consommati­on comme le montre le geste, estimé entre 400 et 600 milliards de dollars, d’effacement des prêts contractés par les étudiants américains pour financer leur scolarité.

Cette rentrée s’annonce sombre avec la reconfigur­ation de puissances qui se déroule. L’Europe s’affaiblit avec la crise ukrainienn­e qui l’atteint dans son économie, qui révèle les limites d’une autonomie stratégiqu­e revendiqué­e, alors que les forces américaine­s sont indispensa­bles, dans ses divisions entre États et au sein des États. L’Afrique tâche de ne pas avoir à choisir entre deux bannières étoilées et craint une nouvelle crise de la dette entraînée par les politiques déflationn­istes occidental­es. L’Amérique pourra certaineme­nt sortir renforcée de ces crises et tensions, comme elle a su le faire lors des crises précédente­s. Washington monte avec méthode une nouvelle alliance mondiale contre la Chine qui produit ses effets, avec les évolutions politiques de pays comme le Japon (invité au Sommet de l’OTAN et ayant reçu Nancy Pelosi) ou la Corée du sud, qui augmentent leurs budgets militaires et se rapprochen­t des Américains. Bien sûr, l’Amérique est rongée moralement de l’intérieur et les élections du 8 novembre prochain peuvent paralyser le Président Biden, mais elle garde une dynamique interne impression­nante. Pour sa part, la Chine attend la tenue de son Congrès du Parti, à la fin octobre, et un retour - 2023 probableme­nt - à la normale sanitaire pour sortir des vicissitud­es actuelles et repartir en s’inscrivant dans le temps long.

Bonne rentrée ! n

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