Agir sur l’épargne pour y remédier
Pénurie de liquidités
Le manque de liquidités bancaires figure parmi les pénuries les plus graves dont souffre, depuis quelques années, la Tunisie. Cet épuisement de liquidités, perceptible à travers la tendance du gouvernement à pomper l’argent des banques, ne permet pas de fournir des prêts aux opérateurs dans les secteurs économiques, l’agriculture, l’industrie, et aux consommateurs. Cette pénurie est hélas une réalité, en dépit des tentatives de la BCT de rassurer les marchés, concernant sa capacité d’injecter des finances dans le marché. Seulement, avec un taux d’intérêt directeur de 7% actuellement, taux auquel il faut ajouter la marge fixée par les banques (4 à 5%), les entreprises rencontrent d’énormes difficultés pour accéder au crédit. Concrètement, cet assèchement est dû à une « opération de pompage » menée par l’Etat, afin de répondre à ses besoins de financement, faute d’une croissance économique soutenue et d’un volume d’épargne conséquent. Quand l’Etat concurrence le secteur productif
Interpellé sur cette problématique dans le cadre d’une interview accordée à l’Economiste Maghrébin, le président de la centrale patronale (UTICA), Samir Majoul a déclaré qu’avec ce pompage des liquidités, l’Etat devient votre principal concurrent sur le marché monétaire pour la levée de fonds de financements (liquidités). « Ainsi, dit-il, quand vous allez le matin chez les banques demander des liquidités, on vous dit, le camion de l’Etat est passé avant vous. Il a tout raflé et on n’a plus rien ». L’universitaire Ridha Chkandali rejoint le patron des patrons et estime, dans des déclarations aux médias, qu’« en empruntant régulièrement auprès des banques, l’Etat est devenu un concurrent pour les secteurs productifs ». Or, observe-t-il, les banques sont appelées aujourd’hui à orienter leurs crédits vers le financement des projets d’investissement. « Le recours de l’Etat aux emprunts bancaires porte préjudice à l’économie nationale, d’autant que ces financements ne sont pas orientés vers les secteurs économiques », explique-t-il.
A l’origine de la pénurie, le recul de l’épargne
Pour d’autres experts, cette situation est imputable, principalement, à deux facteurs. Le premier consiste en la régression de l’épargne en Tunisie, qui est passée d’une moyenne de 21% du PIB avant 2010 à 9% actuellement, sous l’effet de l’érosion du pouvoir d’achat des citoyens et de la dégradation de la situation des entreprises. Cette dégradation étant générée par la dépréciation du dinar et la hausse du taux d’inflation déterminé par l’inflation importée et l’augmentation des coûts à l’import (importation de denrées alimentaires, de pétrole...). A ces pressions inflationnistes importées, l’Agence de notation « Moodys » ajoute, dans une récente appréciation de la situation des banques tunisiennes, les conséquences de la pandémie du coronavirus, l’impact du conflit militaire en Ukraine et une éventuelle nouvelle dépréciation de la monnaie locale, si les discussions sur un troisième plan de sauvetage du FMI pour le pays échouent. Pour elle, tous ces facteurs risquent d’aggraver les problèmes de crédits des banques, d’éroder leur rentabilité et d’augmenter les pénuries de liquidités ».
L’indépendance de la BCT sera le grand péché
Le deuxième facteur, cité par Jamel Aouididi, spécialiste en économie politique et développement, serait les retombées de la loi n°35 de l’année 2016 qui consacre l’indépendance de la Banque centrale de Tunisie (BCT) et le changement de son statut. D’après lui, ladite loi, perçue en principe comme outil pour la concrétisation de l’indépendance de la BCT, s’est avérée en fait « un cadeau octroyé aux banques commerciales », en ce sens où elle interdit à la BCT « la souscription aux obligations de la trésorerie publique mais permet, en revanche, aux banques commerciales d’octroyer ces crédits à la trésorerie publique et de souscrire aux titres émis par l’Etat contre des taux d’intérêt élevés ».
Le paragraphe 4 de l’article 25 de cette loi stipule que « la Banque centrale n’est pas autorisée à permettre à la trésorerie de l’Etat d’accéder à la liquidité ou aux crédits à des taux d’intérêt quasiment nuls ». Conséquence : les banques de la place récoltent d’importants revenus tirés principalement des crédits octroyés à l’Etat, soit en devises soit en monnaie locale, avec la prise en charge des risques du prix de change par l’Etat, d’où l’accumulation des dettes publiques qui dépassent la barre de 120% du PIB, si on ajoute la dette des entreprises publiques et les garanties de l’Etat. Mieux, les bénéficies des banques publiques et privées se sont fortement accrus depuis la promulgation de cette loi. A titre indicatif, le taux de croissance du secteur bancaire a été, en 2017, de l’ordre de 10 à 11%, alors que le taux de croissance du PIB était aux alentours de 1,8% seulement. Ce qui montre, selon l’expert, que le secteur bancaire tire son épingle du jeu en gagnant des bénéfices, au grand dam des autres secteurs productifs, à l’instar de l’agriculture et de l’industrie.
Les pistes à explorer pour y remédier
Au rayon des solutions à adopter pour remédier à l’assèchement des liquidités, les experts suggèrent l’institution d’incitations multiformes à l’épargne. Cette suggestion a trouvé de l’écho auprès de la BCT. En mai dernier, le Conseil d’administration de l’Institut d’émission a décidé de relever le taux minimum de rémunération de l’épargne de 100 points de base, pour le porter de 5 à 6%. Cette augmentation serait, néanmoins, insuffisante. Elle gagnerait à être renforcée par l’institution, en faveur des épargnants bancaires, d’avantages fiscaux, notamment pour les épargnes logement, étude, investissement. Il s’agit également d’explorer d’autres pistes, dont la promotion de l’assurance vie et l’orientation des fonds de retraite vers l’investissement. Autant de mécanismes qui peuvent, selon les experts, contribuer à développer l’épargne, notamment celle de long terme, et , partant, à atténuer de manière significative le manque de liquidité n