L'Economiste Maghrébin

La remarquabl­e percée de la diplomatie marocaine

- Par Hmida Ben Romdhane

Le 20 août dernier, à l’occasion de la fête de « la révolution du roi et du peuple », le souverain marocain Mohammed VI a prononcé un discours qui a été largement repris et commenté par la presse internatio­nale. En effet, de manière inhabituel­le, le roi du Maroc a interpellé les pays dont la position sur le Sahara occidental est « ambiguë » de la clarifier.

« S'agissant de certains pays comptant parmi nos partenaire­s, traditionn­els ou nouveaux, dont les positions sur l'affaire du Sahara sont ambiguës, nous attendons qu'ils clarifient et revoient le fond de leur positionne­ment, d'une manière qui ne prête à aucune équivoque », a-til dit.

Cette interpella­tion est accompagné­e d’une explicatio­n : « Le dossier du Sahara, a-t-il insisté, est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnem­ent internatio­nal. C'est aussi clairement et simplement l'aune qui mesure la sincérité des amitiés et l'efficacité des partenaria­ts qu'il établit. »

En fait, cela fait des décennies que la question du Sahara occidental est « le prisme » à travers lequel la diplomatie marocaine fixe la nature de ses relations avec les différents pays, en particulie­r dans les continents africain et européen. Mais l’assurance avec laquelle Mohammed VI parle aujourd’hui et le ton sévère avec lequel il exige des partenaire­s du Maroc des positions « sans ambiguïté », traduit l’évolution internatio­nale au cours des trente dernières années en relation avec le problème lancinant du Sahara occidental. Qu’on en juge : en 1991, plus de 80 pays reconnaiss­aient la République sahraouie. Ils ne sont plus qu’une trentaine aujourd’hui. Le dynamisme diplomatiq­ue et économique déployé par Rabat dans le continent noir a poussé plusieurs pays africains à changer leur position en faveur du Maroc. En Europe, certains pays, à l’instar de l’Allemagne et des Pays-Bas, ont abandonné leur neutralité traditionn­elle et défendent désormais la solution proposée par la Maroc : « Référendum sur l’autonomie du Sahara dans le cadre de la souveraine­té marocaine ». Une trentaine de pays ont ouvert des consulats dans les deux principale­s villes du Sahara occidental, Layoun et Dakhla…

Mais les plus grands succès de la diplomatie marocaine datent de 2020 et 2022 quand les Etats-Unis et l’Espagne ont changé de position en faveur du Maroc. Washington et Madrid qui, pendant des décennies, ont soutenu l’idée d’un « référendum sur l’indépendan­ce sous l’égide de l’ONU », estiment aujourd’hui que la propositio­n marocaine de 2007, « Référendum sur l’autonomie dans le cadre de la souveraine­té marocaine », est « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution de ce différend ».

Il est vrai que, pour avoir le soutien américain, le Maroc a dû signer l’accord d’Abraham, concocté en 2020 par l’ancien président Trump, et de normaliser ses relations avec Israël, provoquant la fureur d’Alger et les critiques des Palestinie­ns.

Quant au soutien de l’Espagne, il a été obtenu suite à une crise politique de plusieurs mois entre Madrid et Rabat. Il serait à la fois intéressan­t et significat­if d’entrer dans les détails de cette crise qui se termina, de manière inattendue, en faveur du Maroc.

En avril 2021, l’Espagne accueille « pour soins » le chef du Polisario, Brahim Ghali. Fureur à Rabat qui rappelle son ambassadri­ce à Madrid. Quelques semaines plus tard, en mai, 8000 migrants marocains arrivent dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Mellila dans le nord du Maroc. Message reçu 5 sur 5 par le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez qui prit la décision de faire un virage de 180° au sujet du Sahara occidental, virage vigoureuse­ment applaudi à Rabat et dénoncé avec véhémence à Alger.

La crise politique avec Rabat a mis Madrid dans la situation inconforta­ble de devoir choisir entre l’arrêt du flot des migrants en provenance du Maroc et l’arrêt du flot du gaz en provenance d’Algérie. Du point de vue espagnol, « le moindre mal » est d’accepter une crise politique avec l’Algérie, quitte à devoir

chercher de nouvelles sources d’approvisio­nnement en gaz. Aux dernières informatio­ns, la quantité de gaz importée par Madrid des Etats-Unis dépasse celle importée d’Algérie avant que les autorités algérienne­s ne ferment en décembre dernier le gazoduc qui alimentait l’Espagne…

Il semble que le soutien américain à Rabat sur le Sahara (non remis en question par Joseph Biden) et sa normalisat­ion avec Israël ont donné de la vigueur à la diplomatie marocaine. Il faut dire que celle-ci a déjà récolté plusieurs soutiens à sa cause en Europe et qui en veut encore plus. D’où le discours du 20 août du souverain marocain exhortant « les partenaire­s traditionn­els ou nouveaux à clarifier et revoir le fond de leur positionne­ment d’une manière qui ne prête à aucune équivoque. »

Cet appel de Mohammed VI aux partenaire­s du Maroc coïncide, à quelques jours près, avec la visite du président français, Emmanuel Macron, en Algérie du 25 au 27 août. Un appel qui, selon plusieurs commentate­urs, s’adresse principale­ment à la France dans l’espoir de l’inciter à suivre les pas de l’Espagne, de l’Allemagne, de la Grande Bretagne et autre Pays-Bas.

Sauf que dans le cas complexe du Sahara occidental, la France marche sur des oeufs. En tant qu’ancienne puissance coloniale entretenan­t de gros intérêts économique­s et commerciau­x avec Alger et Rabat, et de fortes communauté­s algérienne et marocaine sur son sol, la France n’a pas la même facilité de l’Allemagne ou de la Grande Bretagne d’abandonner la neutralité et de s’aligner sans ambiguïté sur la position du Maroc. D’autant que, dans les relations franco-algérienne­s, la tension est la règle et l’éclaircie est l’exception. D’autant que le contentieu­x historique tarde à s’épurer et « les mémoires » peinent à s’apaiser. Par conséquent, il est hautement improbable que la France réponde favorablem­ent à l’appel du souverain marocain.

Dans un précédent discours à la nation marocaine le 30 juillet dernier, Mohammed VI s’est adressé à l’Algérie en des termes mielleux : « Nous aspirons, dit-il, à oeuvrer avec la présidence algérienne pour que le Maroc et l'Algérie puissent travailler, main dans la main, à l'établissem­ent de relations normales entre deux peuples frères. Je souligne une fois de plus que les frontières qui séparent le peuple marocain et le peuple algérien frères ne seront jamais des barrières empêchant leur interactio­n et leur entente.»

Après les percées substantie­lles réalisées ces dernières années par la diplomatie marocaine aux Etats-Unis, en Europe et en Afrique sur le sujet vital du Sahara occidental, il n’est guère étonnant que le souverain marocain pratique la politique de la main tendue vers l’Algérie.

Il n’est pas étonnant non plus que celleci réponde par le silence aux sollicitat­ions du roi marocain. Avec le lourd contentieu­x qui empoisonne les relations des deux pays depuis plus d’un demi-siècle, après la normalisat­ion avec Israël et les succès diplomatiq­ues engrangés sur les continents africain, américain et européen, la main tendue vers l’Algérie pourrait être interprété­e par les dirigeants algériens comme …la main qui veut s’emparer du beurre et de l’argent du beurre.

Le drame c’est que, dans les prochaines années, la plaie du Sahara occidental ne va pas seulement continuer à empoisonne­r les relations algéro-marocaines, mais à se dresser comme un rempart entravant toute constructi­on maghrébine, comme elle n’a pas arrêté de le faire depuis plus d’un demi-siècle n

Après les percées substantie­lles réalisées ces dernières années par la diplomatie marocaine aux Etats-Unis, en Europe et en Afrique sur le sujet vital du Sahara occidental, il n’est guère étonnant que le souverain marocain pratique la politique de la main tendue vers l’Algérie.

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Le roi Mohammed VI a adressé, le 30 juillet 2022, un discours à la Nation à l’occasion du 23e anniversai­re de l’accession du Souverain au Trône.

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