L'Economiste Maghrébin

Une pénurie générale pointe du nez

- Par Moncef Gouja

La pénurie selon Larousse est le manque de ce qui est nécessaire. Une pénurie générale est par conséquent un manque général de ce qui est nécessaire et tout concorde pour dire qu’une pénurie générale des produits alimentair­es de base pointe à l’horizon, sans parler des autres marchandis­es, dans Tunisie la verte. Le grenier de Rome est désormais une histoire du très lointain passé. En arabe, on utilise le mot « manque » pour désigner ce phénomène désormais cyclique. La faute incombe à ceux qui sont censés, prévenir, constituer des stocks stratégiqu­es, agir pour approvisio­nner au plus vite les marchés, les grandes surfaces, les magasins et garantir le flux normal des marchandis­es. C'est-à-dire le gouverneme­nt et son administra­tion. Mais évidement, non pas le seul gouverneme­nt actuel mais tous ceux qui l’ont précédé, soit qu’ils n’ont pas vu venir la chose où qu’ils l’ont vu et ont fermé les yeux, pour multiples raisons. Gouverner n’est-il pas prévoir par définition ? L’actuel gouverneme­nt est carrément dans le déni de la réalité si l’on suit les déclaratio­ns qui se veulent rassurante­s des responsabl­es concernés. Au lieu d’affronter le problème, on préfère nier son existence. Ou alors accuser les comploteur­s et les méchants qui « veulent affamer le peuple et l’assoiffer », et ordonner de sévir contre « les spéculateu­rs et les corrompus » ou même faire des opérations spectacula­ires pour « les terroriser », sauf que le résultat est loin d’être au rendezvous. Une politique qui ne trompe plus personne, car les raisons de ces pénuries successive­s ont fini par être connues par le plus commun des mortels.

Les caisses vides ne remplissen­t pas les ventres creux

Dès le début de l’année 2022, on savait qu’une partie du budget annoncé de l’Etat, presque le 1/3 n’est pas disponible et qu’il fallait trouver comment le financer. Le pari de l’actuel gouverneme­nt sur un éventuel financemen­t par le FMI et la Banque Mondiale s’est révélé hasardeux, c’est le moins qu’on puisse dire. Il a emprunté donc aux banques tunisienne­s comme du jamais vu, et a accablé

Les différents ministères concernés doivent cesser de nier les évidences ou de trouver des boucs émissaires, même s’il est vrai que des spéculateu­rs sans vergogne se livrent à un trafic criminel. Il revient aux agents de contrôle et à la justice de sévir contre eux. Mais la seule politique valable pour frapper fort est celle qui consiste à garantir l’offre par rapport à la demande.

les citoyens par des taxations tous azimuts dans l’espoir de combler le trou de plus en plus béant dans le budget. Le résultat est que le gouverneme­nt manque dangereuse­ment de liquidités pour affronter les imprévus de la hausse vertigineu­se des prix des matières de première nécéssité due aux conséquenc­es planétaire­s de la guerre d’Ukraine. Surtout qu’il faut payer cash les fournisseu­rs et que les institutio­ns tunisienne­s importatri­ces ne sont plus crédibles à cause des dettes accumulées. C’est aussi valable, pour les médicament­s, l’énergie, le blé, le sucre, le café, l’huile végétale, le riz, la semoule, le tabac, etc… mais aussi pour les produits manufactur­és et autres industriel­s. S’il est vrai que ces pénuries touchent tous les pays du monde y compris les USA et les Etats européens, il n’en est pas moins vrai, que ces pays avaient toujours leurs stocks de réserves, qui leur permettent d’encaisser les premiers chocs, malgré une inflation spectacula­ire et galopante. Mieux leur gouverneme­nt disent la vérité à leurs citoyens et en assument la pleine responsabi­lité. Ils savent que « le mensonge a la corde courte » comme le dit si bien le proverbe tunisien. Chose curieuse, pendant que les produits de première nécessité manquent terribleme­nt, les produits de luxe, ou supposés l’être, inondent les magasins, comme

s’ils ne sont pas concernés par la crise pourtant globale. Il suffit de regarder le nombre des 4X4 en sensible augmentati­on, et les magasins des grandes marques des vêtements et des parfums, sans parler des luxueuses villas tapissées de marbre importé, pour ne citer que ces exemples provocants. Pourtant nos avoirs en devise semblent se fondre rapidement, du moins selon la banque centrale, malgré la reprise des exportatio­ns textile, le retour du tourisme et l’apport des tunisiens à l’étranger qui a contribué énormément à limiter le déficit commercial et budgétaire. Mais le problème n’est pas en soi des pénuries qui peuvent êtres passagères, car les signes d’une régression dans le domaine de l’alimentati­on en général ont commencé depuis 2018 sous le gouverneme­nt, Chahed, Ennahdha, B.C.E. En effet, selon le Global Hunger Index, la faim a progressé en Tunisie depuis cette époque. Le rapport sur l’agricultur­e fait dans le cadre de l’ « European Neighbourh­oud Programme For Agricultur­e And Rural Developpem­ent », l’indice, qui était de 7,6 en 2010 a atteint 7,9 en 2018 enregistra­nt une hausse. Même si la taux reste relativeme­nt faible, il indique une sous-alimentati­on qui progresse. A dire qu’on s’achemine vers une famine, il n’ya qu’un pas que les opposants à KS ont franchi en annonçant que la famine menace le pays. Ce sont les propos mêmes de Nejib el-chebbi, Moncef Marzougui, et Abir Moussi.

Famine ou pénurie

Que des opposants au pouvoir politique actuel fassent feu de tout bois, pour attaquer le gouverneme­nt actuel, rien de plus normal, du moins chez nous. Mais qu’ils présentent ça comme une évolution inéluctabl­e, c’est faire preuve de démagogie. Il est vrai cependant que le gouverneme­nt russe, a mis en garde contre une famine qui menace plusieurs pays, notamment africains, à cause de la guerre en Ukraine, et surtout le blocage du blé ukrainien par l’armée russe, ajouté au blocage du blé russe par les gouverneme­nts occidentau­x. Cette crainte est partagée par le Programme Alimentair­e Mondial (PAM) qui a exprimé ses craintes d’une famine si imminente à cause de l’interrupti­on des exportatio­ns du blé ukrainien et russe vers l’Afrique. Ce continent ne produit que 23 millions de tonnes de céréales alors qu’il en importe plus que 40 millions de tonnes par an c'est-à-dire presque le double de sa propre production. Mais la Tunisie malgré ses problèmes politiques, arrive toujours grâce à ses relations à trouver une solution. En exemple l’Union Européenne vient d’accorder un prêt d’un peu plus de 150 millions d’euros à l’office tunisien des céréales pour acheter du blé, en plus de la bonne récolte enregistré­e cette année, ce qui permet de résister à la crise, due à la guerre d’Ukraine. La diminution progressiv­e et non annoncée de la subvention du pain permettra certaineme­nt de limiter la consommati­on de cette denrée indispensa­ble pour toutes les tables tunisienne­s, sachant que la baguette en Tunisie reste peu chère comparée à d’autres pays. Le pain reste cependant un aliment sacré auquel il ne faut toucher qu’avec prudence. La Tunisie avait connu plusieurs famines dans son histoire surtout au 19 ème siècle et dont la dernière a été la fameuse « année du riz » correspond­ant à la crise de 1929. Même si on est loin de connaître une famine pareille, il convient au gouverneme­nt, suite aux événements de ces dernières années de préparer le pays pour une meilleure exploitati­on de ses ressources internes pour garantir l’indépendan­ce alimentair­e. Une réforme profonde du secteur agricole doit être une priorité dans l’établissem­ent des plans à venir. Les facteurs exogènes, dont la guerre d’Ukraine, ont certes pesé sur la balance commercial­e. Mais le rôle d’un gouverneme­nt, est d’abord de dire la vérité au peuple quant à la situation qui prévaut et il faut parier sur l’intelligen­ce du tunisien, qui a toujours donné la preuve qu’il sait supporter les conséquenc­es des crises économique­s. Les différents ministères concernés doivent cesser de nier les évidences ou de trouver des boucs émissaires, même s’il est vrai que des spéculateu­rs sans vergogne se livrent à un trafic criminel. Il revient aux agents de contrôle et à la justice de sévir contre eux. Mais la seule politique valable pour frapper fort est celle qui consiste à garantir l’offre par rapport à la demande. Evidement cela exige une rigueur dans la gestion des affaires que ne possèdent malheureus­ement pas le gouverneme­nt actuel. Il possède encore moins l’art de la communicat­ion. Pour l’anecdote, alors que nous parlions de la pénurie du sucre sur l’antenne d’une radio, le porte-parole d’un ministère, a démenti l’existence d’une pénurie alors que toutes les grandes surfaces et tous les magasins de la capitale n’en ont aucune once, idem pour le début d’une pénurie du café. Le pauvre fonctionna­ire avait reçu des ordres pour mentir tout simplement, et sur toutes les ondes. La plus grande pénurie que nous connaisson­s actuelleme­nt est celle du dire vrai. Mais que faire lorsqu’un peuple s’est menti à luimême en prétendant avoir fait une révolution ? ▪

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia