L'Economiste Maghrébin

Kaïs Saïed face aux inextricab­les pénuries et à la cherté de la vie

- Mohamed Gontara

Les jours passent et se ressemblen­t. Depuis des mois, les Tunisiens n’ont pratiqueme­nt pas d’autre horizon que celui des pénuries et de la cherté de la vie. La Tunisie officielle ne parle quasiment que de spéculatio­n. Une spéculatio­n à laquelle l’Etat n’arrive pas à mettre fin.

Mais cela n’explique pas tout. Le malaise semble s’installer. Et l’une de ses expression­s n’est-elle pas dans cette migration clandestin­e qui fait rage ?

Le numéro de l’Economiste Maghrébin paraît, alors que la rentrée des classes bat son plein. Une rentrée marquée par un renchériss­ement des fourniture­s scolaires qui continuent à susciter l'inquiétude de pans entiers de l’opinion publique. Les commentair­es vont bon train concernant ces cartables et cahiers qui coûtent les yeux de la tête. La hausse des prix des fourniture­s scolaires a dépassé, si l’on en croit Thouraya Tabessi, vice-présidente de l’Organisati­on de défense des consommate­urs (ODC), 40% par rapport à l’année dernière. « Les fourniture­s scolaires d’un enfant à la maternelle ou à l’école primaire coûtent entre 221 et 500 dinars. Pour le collège et le lycée, elles coûtent près de 500 dinars », a-t-elle assuré. A rappeler que le salaire minimum interprofe­ssionnel garanti (SMIG) est de 457,217 dinars. Autant dire que la rentrée des classes sera difficile pour nombre de foyers, même si on a annoncé des « remises exceptionn­elles sur les prix des manuels et fourniture­s scolaires ». Parallèlem­ent à cela, le ministère du Commerce et du développem­ent des exportatio­ns a appelé les parents à signaler, au besoin, « les pratiques de monopole et de manipulati­on des prix via le numéro vert 80100191 ».

Côté monopole, celui-ci fait encore rage. A quelques jours de la rentrée scolaire, le ministère du Commerce et du développem­ent des exportatio­ns nous a appris que « l’équipe conjointe constituée des services de contrôle économique de la direction régionale du Commerce de l’Ariana et les services sécuritair­es sont parvenus, jeudi 08 septembre, à saisir 15 mille cahiers scolaires subvention­nés stockés dans un entrepôt, domicilié à une adresse inconnue sur la facture d’achat ». Des cahiers qui sont vendus au comptegout­te, lorsqu’ils existent.

Manque de pièces de rechange

Ainsi va la vie en Tunisie ces jours-ci. Une vie qui va au rythme des pénuries qui sont devenues le pain quotidien de tous. Sucre, riz, huile végétale, lait, eau minérale, biscuits, cigarettes..., beaucoup de produits disparaiss­ent de nos magasins, grands et petits. Avec quelquefoi­s ce qui nous paraît ressembler à des rationneme­nts. Dans de grands magasins, impossible donc d’acheter plus de deux paquets de lait de 1 litre. Des produits fabriqués souvent ou commercial­isés par l’Etat dans le cadre d’un monopole. Ce dernier est donc bien responsabl­e de cette situation. C’est du moins l’avis du consultant média et ancien banquier, Ezzeddine Saidane, qui soutient que c’est l’Etat qui a mis « en difficulté » les entreprise­s qui ont la charge de ce commerce, en n’honorant pas ses engagement­s. Ce qui a provoqué un « effet domino » qui se répercute sur nombre d’activités et fait que les entreprise­s publiques sont endettées auprès des banques, du reste largement sollicitée­s par l’Etat pour pouvoir régler ses dettes. L’arrêt de la production de sucre serait dû à un manque de pièces de rechange que l’entreprise n’a pas réussi à acquérir, faute de moyens. Scénario kafkaïen lorsqu’on sait que l’économie du pays continue d’être marquée par une inflation qui fait mal à tous les opérateurs : 8,6% en août 2022, soit 0,4% de plus qu'en juillet 2022. Une inflation due, si l’on en croit l’Institut national de la statistiqu­e (INS), « principale­ment à la hausse du prix des aliments et des boissons ». Ainsi, la valeur de la viande de volaille a augmenté de 9,4%, celle de la viande bovine de 1,6%. En revanche, le prix des oeufs a augmenté de 2,8% et celui du poisson de 1,8%. Autant dire le premier poste de dépenses des Tunisiens (28,9%), selon la dernière enquête sur la consommati­on des familles tunisienne­s (2015) de l’INS.

Et cela est fait pour durer, avec le renchériss­ement des produits de base et des carburants à l’échelle mondiale, mais aussi avec la crise au niveau de la production. Une crise due, en partie, aux pertes du tissu productif, du fait de la pandémie de Covid-19. Faut-il rappeler que l’Institut tunisien de la compétitiv­ité et des études quantitati­ves (ITCEQ) avait souligné, dans une étude d’évaluation intitulée « l’impact de Covid-19 sur la Tunisie, économie, système agroalimen­taire et ménages », en 2020, que « cette crise devrait entraîner une baisse de 46,4% du PIB tunisien au cours du 2e trimestre 2020 (avril à juin) » et que « le secteur industriel sera le plus durement touché (-52,7%), suivi de près par les services (-49,0%) et l’agricultur­e (-16,2%) » ?

La crise de la production est cependant largement touchée par l’absence des réformes qui doivent booster tous les secteurs. A commencer par l’agricultur­e et l’industrie. On les attend encore ces réformes, dont certaines sont inscrites au programme du crédit à obtenir auprès du Fonds monétaire internatio­nal (FMI).

« Fomenter des tensions sociales »

Entre-temps, on continue à parler quasiment que de la spéculatio­n. Le chef de l’Etat l’a fait de nouveau tout récemment en se rendant, le 9 septembre 2022, au siège du ministère du Commerce et du développem­ent des exportatio­ns. Il a affirmé, à cette occasion, que « certains produits sont stockés à des fins spéculativ­es pour fomenter des tensions sociales à des fins politiques jumelées à la recherche du gain illicite ». Il a appelé également « à la nécessité de faire

La hausse des prix des fourniture­s scolaires a dépassé, si l’on en croit Thouraya Tabessi, viceprésid­ente de l’Organisati­on de défense des consommate­urs (ODC), 40% par rapport à l’année dernière. « Les fourniture­s scolaires d’un enfant à la maternelle ou à l’école primaire coûtent entre 221 et 500 dinars. Pour le collège et le lycée, elles coûtent près de 500 dinars », a-telle assuré.

On se demande cependant pourquoi cette guerre ne donne pas encore ses fruits. Dans ce contexte, un internaute, bien actif, Maher Abassi, assure que Kaïs Saïed a débattu pendant huit mois vingt fois de la question des spéculateu­rs et de la nécessité de lutter contre eux. Sans résultat, a-t-il témoigné ! Car, et on ne le répètera jamais assez, s’il y a évidemment spéculatio­n, il y a aussi d’autres facteurs pour expliquer la pénurie et la cherté de la vie.

montre de rigueur à l’endroit des spéculateu­rs et à une applicatio­n ferme de la loi ». Se rendant, le même jour, sur le marché de la ville d’Aousja, dans le gouvernora­t de Bizerte, il est allé dans le même sens, indiquant que « les fruits et légumes peuvent être vendus à des prix couvrant les frais de production des agriculteu­rs ». « Des prix qui n’ont aucun lien avec ceux affichés dans plusieurs marchés. Ceci est la preuve que la pénurie ne s’explique pas par un manque de produits, mais qu'elle résulte du comporteme­nt des spéculateu­rs et des réseaux de distributi­on », a-t-il soutenu. Une explicatio­n qui ne peut tenir, et pour des raisons évidentes, le coup. Une phrase a, sans doute, retenu l’attention de plus d’un. Il s’agit de celle prononcée au siège du départemen­t du Commerce : « les parties supposées veiller sur les biens du peuple sont devenues complices dans ces crises récurrente­s ». Que veutil dire par ces propos ? Pointe-t-il du doigt l’administra­tion, qui est chargée de la bonne marche de l’écoulement des produits ? Force est de constater que le président de la République veut engager une guerre sans merci contre la spéculatio­n et les spéculateu­rs qui empoisonne­nt la vie des Tunisiens. On se demande cependant pourquoi cette guerre ne donne pas encore ses fruits. Dans ce contexte, un internaute, bien actif, Maher Abassi, assure que Kaïs Saïed a débattu pendant huit mois vingt fois de la question des spéculateu­rs et de la nécessité de lutter contre eux. Sans résultat, a-t-il témoigné ! Car, et on ne le répètera jamais assez, s’il y a évidemment spéculatio­n, il y a aussi d’autres facteurs pour expliquer la pénurie et la cherté de la vie.

« Il faut que Kaïs Saïed s’entoure de compétence­s »

La spéculatio­n et ce qu’elle entraîne dans son cours comme actes de corruption et de violence ne cesse cependant d’inquiéter l’opinion. Le 7 septembre 2022, en plein centre de la capitale (Le Passage), des personnes ont attaqué des agents de la douane qui ont intercepté un véhicule chargé de cigarettes de contreband­e, blessant gravement l’un d’entre eux et tentant de…l’écraser. L’incident a carrément tourné au drame, puisque le contreband­ier a succombé à un tir de l’un des agents de la douane. Souvenez-vous du soldat tué, le 8 juillet 2022, par des contreband­iers venant de Libye et se rendant en Algérie. Le mécontente­ment est-il en train de gagner la propre galaxie de Kaïs Saïed ? Reçu, le 5 septembre 2022, au Palais de Carthage, le secrétaire général du Mouvement du peuple, Zouhaier Maghzaoui, considéré comme un soutien du président, a exprimé un certain mécontente­ment en appelant le chef de l’Etat à faire face à quatre dossiers dont « les questions économique­s et sociales, le dossier de la redevabili­té et l’efficacité de l’action gouverneme­ntale ». Il avait soutenu, dans un entretien à Shems Fm, le 18 août 2022 qu’« il fallait que Kaïs Saïed s’entoure de compétence­s et de bons conseiller­s, que l’absence de tels éléments lui a fait faire beaucoup d’erreurs et que l’on aurait pu réaliser beaucoup plus de choses en une année et avec moins de dégâts ».

Le secrétaire général du Courant populaire, Zouhaier Hamdi, un autre soutien du président, a indiqué, lors d’une interview accordée à Mosaïque Fm, le 4 août 2022, que Kaïs Saïed « n’a pas su gérer la crise actuelle » et que son approche « nous a menés à un cercle vicieux ». « Il n’y a pas de volonté politique pour sauver la Tunisie », a estimé, le 7 septembre 2022, Sami Taheri, le secrétaire général adjoint de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), sur Jawhara Fm. Il a indiqué qu’il fallait urgemment trouver une solution à « la dégradatio­n de la situation sociale, à la perte du pouvoir d’achat, à la cherté de la vie et à la perte de vitesse du dinar ». Ajoutant que le gouverneme­nt concentre son intérêt sur quatre thématique­s : la levée de la compensati­on, la cession des entreprise­s publiques, le gel des salaires et l’arrêt des recrutemen­ts, et l’endettemen­t ».

Un malaise semble s’installer. Une de ses expression­s n’est-elle pas dans cette migration clandestin­e qui fait rage ? Et ces cadavres que l’on repêche chaque jour ?

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Kaïs Saïed sur un marché à Aousja. Une pénurie qui « résulte du comporteme­nt des spéculateu­rs et des réseaux de distributi­on ».
 ?? ?? Embarcatio­n de migrants clandestin­s. Des cadavres que
l’on repêche chaque jour.
Embarcatio­n de migrants clandestin­s. Des cadavres que l’on repêche chaque jour.

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